Leurs enfants sont enlevés puis assassinés. Blessés, choqués, traumatisés, les parents se disent livrés à eux-mêmes. Il n'y a aucune prise en charge psychologique. Outre les effets néfastes sur leur vie, certains psychologues redoutent… la «vengeance». «Mes enfants sont continuellement irrités, ils ont tendance à s'isoler. Je surprends souvent la plus jeune, ma petite fille de 12 ans, en pleurs sans raison. Que peut-on faire face à cela ? Mes enfants n'ont bénéficié d'aucune aide des autorités, aucune prise en charge psychologique ne leur a été prodiguée suite au drame. J'ai dû me débrouiller tout seul pour leur assurer un suivi psychologique.» Mourad Hachiche, le père du petit Brahim de 9 ans, enlevé puis assassiné en mars 2013 à Constantine, est encore en deuil mais surtout en colère. Si le temps a tendance à guérir les blessures, les parents des enfants enlevés puis assassinés sont toujours en deuil. Ils se sentent aujourd'hui non seulement tristes, mais surtout abandonnés et livrés à eux-mêmes. Pour Mourad, seule aide, une omra offerte par l'association de la mosquée Bellevue de Constantine. L'assassinat de Nihal a remué le couteau dans la plaie. Le souvenir du drame est encore vivace. Les familles des victimes organiseront, demain, une marche. Exigence : demander la peine de mort pour pouvoir faire leur deuil. «Il faut que nous soyons des millions dans toutes les rues d'Algérie à marcher, pour dire non et non à ce genre de crime», nous font savoir des proches venus chez les parents de Nihal, à Oran. Une peine tant demandée réparera-t-elle les dégâts psychologiques ? «Lorsque le criminel est arrêté, jugé, condamné, c'est-à-dire qu'il a payé son crime, cela diminue certainement le degré de culpabilité des parents», explique une psychologue. Autrement dit, explique-t-elle, «cela joue sur la psychologie des parents qui, souvent, ont un sentiment de culpabilité et de remise en cause pour ne pas avoir assumé leur rôle de protecteur. Cela, peut-être, aidera les membres de la famille à surmonter le drame». Suivi Ce n'est pas le seul élément, il faut « que la société joue son rôle et arrête de culpabiliser les parents et de les pointer de doigt», préconise Djamila Bellala, psychologue clinicienne. Il s'agit, selon elle, d'un trauma extrême qui «équivaut aux actes des années de terrorisme». Et c'est particulièrement dans les premiers moments qui suivent le drame qu'il est important d'apporter une prise en charge psychologique, explique encore Mme Bellala. «Le vrai travail psychologique doit se faire dans la société. Aujourd'hui nous sommes dans une société pathologique. Ces familles ont besoin d'être contenues. Il ne faut pas les culpabiliser. Et les parents doivent aussi faire le deuil et accepter l'idée de la disparition. Mais tout cela doit être accompagné par une prise en charge psychologique», préconise la psychologue. Comment ces familles ayant perdu leur enfant vivent-elles ? A la nouvelle-ville Ali Mendjeli, à Constantine, où le 9 mars 2013, Ibrahim et son ami Haroun étaient enlevés, tout semble tranquille : les patrouilles des services de sécurité sont désormais systématiques, des enfants jouent dans la cour de la cité, mais surtout, les parents sont vigilants. Mais les séquelles sont là. Le traumatisme est toujours vivace. Toute la famille est traumatisée. Frères, sœurs et parents, ne trouvent pas le moyen de s'en débarrasser. Qu'est-il advenu des familles de Haroun et Brahim ? C'est ce que nous avons tenté de savoir en nous rapprochant d'elles. Mourad et Jamel Boudaira, respectivement père de Brahim et Haroun, veulent «le retour de la peine capitale, une sanction suspendue en Algérie par un moratoire depuis 1993, est une revendication toute légitime. L'exécution des bourreaux de nos enfants nous permettra de faire enfin notre deuil. Le rétablissement de la peine de mort pour les meurtriers d'enfants est le meilleur moyen de les protéger. Les crimes contre l'innocence doivent être punis de manière implacable». Depuis le 12 mars 2013, jour où les corps ont été retrouvés sur un chantier, à l'unité de voisinage n°17, ces familles vivent le cauchemar. Elles sont déstabilisées. Leurs enfants, les six frères et sœurs de Brahim et l'un des frères de Haroun, sont encore traumatisés. C'est toute une vie qui a changé. Jamel, le père de Haroun, explique que son fils de douze ans est traumatisé. Ses autres enfants — les deux autres frères de Haroun avaient quatre ans au moment du drame —n'en ont, selon leur père, heureusement gardé aucun souvenir. Les auteurs de l'enlèvement et de l'assassinat de Haroun et Ibrahim ont été condamnés à la peine capitale, le 22 juillet 2013, par le tribunal criminel de Constantine. Badreddine Et c'est encore plus dramatique du côté de Aïn Bessam, à Bouira. Chez les Lamouri, la famille n'arrive pas à faire le deuil. Leur fils de 13 ans, Badreddine, est porté disparu depuis le début de mois de mai. Depuis, aucune nouvelle ! «Nous vivons l'enfer depuis la disparition de Badreddine. Nous avons perdu l'envie de vivre. Nous n'avons décliné toutes les invitations aux fêtes et même les voisins évitent toute manifestation de joie de peur de nous blesser. Ils organisent leur festivités ailleurs», avoue Mohamed, père de Badreddine, commerçant de profession. Les voisins sont là, quelques amis aussi, mais Mohamed se sent seul. Il avoue que sa famille, qui a suivi de près la disparition de Nihal, s'est sentie touchée. «La disparition de Nihal nous a tous affectés. C'est tragique ce qui lui est arrivé. Que Dieu l'accueille en Son Vaste Paradis», confie-t-il, avant de regretter «le deux poids deux mesures» dans le traitement médiatique des cas de disparition d'enfants. Pour Mohamed, «il y a eu inégalité dans le traitement médiatique des disparitions. Mon fils n'a que 13 ans, c'est encore enfant. J'aurai aimé que son cas soit aussi médiatisé pour nous aider à le retrouver. Les médias, qui ont montré des photos d'enfants disparus pendant le cas Nihal, n'ont même pas pris la peine d'inclure celle de Badreddine ! C'est vraiment malheureux». Un sentiment d'abandon, mais aussi d'incompréhension. A Oran, mercredi vers midi, au quartier populaire d'Eckmül, au sud-ouest de la ville, la vie semblait reprendre son cours. Mais à mesure que l'on approchait du domicile mortuaire, on s'est rendu compte que l'émotion était toujours là, palpable. Un homme d'un certain âge, natif de Nedroma, arrive devant le domicile des Si Mohand, il cherche à voir le père de la petite Nihal. On lui répond qu'il n'est pas là. «Je viens d'arriver de France, où j'habite. J'ai suivi ce drame horrible par internet. J'ai été touché et bouleversé : ce qui est arrivé à Nihal aurait pu arriver à ma petite-fille. J'ai été vraiment effondré. C'est pourquoi, à peine arrivé en Algérie, j'ai tenu coûte que coûte à me rendre à Oran pour présenter mes condoléances à la famille. Je suis de tout cœur avec elle», explique-t-il. En fait, les habitants du quartier, tellement habitués au flux de visiteurs venus présenter leurs condoléances à la famille, dès lors qu'une «nouvelle tête» s'amène, disent : «C'est pour la petite Nihal ? La famille habite par là-bas !» Solidarité A côté du domicile, il y a toujours un groupe de voisins, de proches, d'amis de la famille ou de visiteurs. «Il ne suffit pas d'être là juste au moment où il y a les chaînes de télévision, il faut venir même après, pour signifier à la famille qu'on est toujours là, qu'on partage sa douleur et sa peine, qu'on ne l'oublie pas», explique un visiteur. Il faut dire que si l'émotion est là, la colère l'est aussi, presque palpable. Coupable ? «Il faut être sans pitié avec les meurtriers. Le problème, en Algérie, est qu'on nous a trop humiliés. La concorde civile et la réconciliation nationale nous ont obligés à avoir pour voisins des assassins et si on objecte quoique ce soit, c'est nous qui subissons les foudres de la justice. Il faut que cesse le temps de l'impunité et que l'Etat soit intransigeant avec ces sans-cœur.» Bien que nous n'ayons pas pu parler au père de la petite Nihal, absent ce jour-là, il nous a été loisible de constater que ses proches et ses voisins ne l'ont pas oublié et sont à pied-d'œuvre pour le soutenir moralement. «Avant les obsèques, il a reçu des appels de pas mal de responsables, dont Ouyahia, lui disant que s'il désirait organiser les obsèques dans le village, à Tizi Ouzou, il aurait toutes les facilités. Mais au final, la famille a préféré que la petite soit enterrée à Oran, là où sont enterrés les autres membres de la famille», raconte un proche. Un autre habitant du quartier, qui a des proches résidant en Espagne, explique pour sa part qu'au consulat algérien d'Alicante, «il y a tous les jours des dizaines de personnes qui viennent pour écrire sur le registre de condoléances et signifier leur sympathie et leur compassion aux parents de Nihal» Et de nous apprendre encore que le jour de l'enterrement, quatre cars sont venus de Aïn Témouchent, chargés de personnes désirant rendre un dernier hommage à Nihal. «Cette solidarité et cette chaleur humaine nous donne de l'espoir. Elle nous fait conclure que si l'humanité recèle, hélas, des monstres de l'acabit des tueurs de Nihal, il y en a d'autres qui sont aux antipodes et ont le cœur sur la main», nous confie un habitant touché par ce drame, qui réside non loin d'Eckmül.