La frontière algéro-tunisienne a été momentanément fermée la semaine dernière au poste frontalier de Betita (Bir El Ater, Tébessa) par des passagers algériens qui réclamaient d'appliquer la réciprocité pour la taxe de 30 dinars tunisiens (DT) — l'équivalent de 2250 DA — réclamée à tout véhicule qui entre sur le territoire tunisien. Une matière de protester contre cette mesure appliquée pourtant depuis septembre 2014. Pourquoi une réaction aussi tardive ? C'est l'article 30 de la LFC, votée le 7 août par l'Assemblée nationale constituante (ANC), qui impose cette taxe dès la mi-août 2014 à tous les étrangers non-résidents qui quittent le territoire tunisien. Elle devait s'appliquer à chaque personne — et non pas aux véhicules comme c'est le cas actuellement — qui quitte le territoire tunisien. Il y avait, à ce moment-là, près de 400 000 Algériens en vacances dans ce pays qui ont eu l'impression d'avoir été pris en otage en apprenant la nouvelle. Un sentiment partagé par ailleurs par nombre de Tunisiens et dont la presse s'est par ailleurs fait l'écho. Les atermoiements et les déclarations contradictoires des ministres tunisiens du Tourisme et des Finances sur l'entrée en vigueur de la mesure avaient ajouté au désarroi des Algériens. On avait annoncé une annulation pure et simple de la taxe, puis son application après l'Aïd El Adha (5 octobre 2014) mais, contre toute attente, elle a été imposée – uniquement 30 DT par véhicule et à l'entrée de la Tunisie – dès le 10 septembre 2014, après le retour du plus gros du contingent des vacanciers rentrés en Algérie pour la rentrée scolaire. Une vague de réprobation avait suivi l'entrée en vigueur de la décision «souveraine des autorités tunisiennes», avait-on rappelé ici et là. Des transporteurs, touchés en premier, avaient observé un mouvement de protestation au poste frontalier d'El Ayoun (El Kala, Tarf), d'autres avaient juré par tous leurs saints de ne plus remettre les pieds dans ce pays et réclamé l'application de la réciprocité pour les dizaines de trafiquants tunisiens de carburant qui font des allers-retours quotidiens, ou encore ceux qui viennent faire leurs courses dans les souks de la région et jusqu'à Dubaï (El Eulma, Sétif). Puis on s'y est fait et les choses ont repris leur cours normal. La taxe a été intégrée dans le prix de la place du taxi clandestin qui vous mène à Tunis et celui des transports de marchandises ; les seuls à en pâtir vraiment sont les frontaliers qui franchissent la frontière plusieurs fois par an pour changer d'air. A l'époque, des supputations avaient déjà fait état d'une approbation préalable de l'Algérie sur l'application de cette taxe dès la visite à Alger, début mai 2014, du Premier ministre tunisien, alors en difficulté financière, qui est reparti avec un chèque de 500 000 dollars. A cette occasion, le responsable tunisien avait déclaré que «les touristes algériens avaient sauvé plusieurs années de suite la saison touristique dans son pays».Une année plus tard, en août 2015, un responsable tunisien, représentant officiel de notre voisin de l'est, avait déclaré, en marge d'une rencontre d'hommes d'affaires, que les autorités algériennes avaient réagi à l'annonce de la mesure et, devant les difficultés financières du pays, elles ont accepté le principe d'un timbre fiscal de 30 DT par véhicule et non plus par personne, au profit du fonds de préservation de l'environnement en Tunisie. C'est donc avec l'assentiment d'Alger que la nouvelle mesure a été revue et avalisée par l'Assemblée tunisienne en avril 2015. On comprend ainsi mieux le silence des autorités algériennes sur cette question par rapport à leurs homologues tunisiennes, plus loquaces. En effet, sans rien apporter de nouveau, la ministre du Tourisme et de l'Artisanat, Selma Elloumi Rekik, a déclaré il y a quelques jours à nos confrères d'Echourouk TV qu'en ce qui concerne les Algériens, la mesure est appliquée aux véhicules et non pas aux personnes, comme c'est le cas pour les autres ressortissants étrangers. Cette agitation soudaine à la frontière tunisienne deux ans après l'entrée en vigueur de la mesure laisse perplexe. Pour les autorités algériennes, appliquer la réciprocité à un voisin et frère dans la difficulté, qui n'a jamais fermé sa frontière et permet de la sorte à plus d'un million d'Algériens de s'échapper un peu de leur prison nationale, ne peut se faire à la légère et sans conséquences, même si cela est très profitable pour l'économie de notre voisin. Il n'y a plus un seul centre de décision dans ce pays et des parties peuvent pousser à l'escalade en cas de réciprocité. Quitte à faire payer les vacances plus cher, la Tunisie doit toutefois rester accessible à la classe moyenne algérienne pour faire oublier les destinations de rêve de la nomenklatura. Reste à savoir à quoi doit-on ce sursaut tardif à la frontière pour le «nif» (honneur, dignité) des Algériens ? La baisse du dinar algérien face à des prix tunisiens pas aussi attractifs qu'on le dit ? Un réel sentiment patriotique face à la contrebande du carburant ou à celui d'être plumé par la Douane tunisienne ? Tentative de manipulation des contrebandiers ou des politiciens locaux dans la perspective des prochaines élections ? Mystère.