Nabile Farès n'est plus. Ecrivain et dramaturge reconnu, Farès est décédé hier matin dans un hôpital parisien à l'âge de 76 ans. Né à Collo (Skikda), où son père Abderrahmane Farès, militant de l'UDMA, exerçait le métier de notaire, le jeune lycéen de Ben Aknoun s'est tôt engagé au FLN, après l'appel à la grève des étudiants de mai 1956. A l'indépendance, il part en France où il soutiendra un doctorat en sociologie sous la direction de Germaine Tillion. Il se fera connaître par un premier livre publié au Seuil en 1970, Yahia, pas de chance. Suivra une œuvre qui témoigne de la force créatrice du poète et dramaturge. Sa trilogie, Nouveau Monde, ses recueils de poésie, ses essais sur les contes berbères, l'exil, le sien et celui de ses nombreux compatriotes, informent sur l'exigence du travail engagé par le fils de Collo. Auteur de l'immédiate génération post-indépendance, Farès n'a pas fléchi malgré ses démêlés avec les autorités. «On a perdu un éclaireur. Nabile est resté vif malgré la maladie. Jeudi dernier, j'étais chez lui à l'hôpital Montsouris, il cherche constamment à s'informer sur l'Algérie. Il me demandait des informations sur Slimane Azem, Aït Menguellet. Il n'y pas un auteur qui a souffert pour son pays, l'Algérie, autant que Farès», raconte l'auteur et journaliste Ali Chibani, très affecté. Fils de Abderrahmane Farès, président de l'Exécutif provisoire algérien, il sera témoin des tracasseries que subira son père. L'écrivain connaîtra le même sort, puisqu'il aura maille à partir avec les tenants du régime. «Farès était un enseignant très engagé et impliqué dans les questions du moment. Son salaire a été bloqué durant 2 ans. Il y a eu une descente de la SM (sécurité militaire) chez lui», raconte l'universitaire. Il quittera au milieu des années 1980 le pays pour n'y revenir qu'une fois, à l'occasion d'un colloque «décevant» sur Mouloud Mammeri en 1991. Farès devait participer à un autre colloque, cette fois sur Jugurtha, organisé à Annaba par le HCA, auquel il a adressé sa contribution écrite sur son lit d'hôpital. «Il a terminé son texte qu'il a envoyé au HCA tout en s'excusant de ne pas pouvoir assister pour cause de maladie. Il n'a malheureusement pas reçu de réponse des organisateurs», s'étonne son jeune ami, qui rappelle que la communication mettait en avant la résistance de «l'Eternel Jugurtha» face à un pouvoir corrompu comme celui dont il a lui-même souffert. Malgré l'injustice, la maladie et l'exil, Farès, qualifié par l'auteur Youssef Zirem de «meilleur écrivain algérien», ne s'est jamais avoué vaincu. «On a travaillé durant deux ans pour réactualiser sa thèse. On devait faire aussi un documentaire sur Jean Amrouche, mais le projet n'a pas abouti faute de producteur», raconte Chibani, qui regrette que le documentaire consacré à l'auteur n'ait pas pu être diffusé par BRTV. «Une génération pas de chance ?» Son éditeur, Arezki Aït Larbi, garde de lui l'image d'un auteur resté à l'écoute des «pulsions» du pays. «Je l'ai rencontré, pour la dernière fois, en février dernier, à Paris, pour la publication de son livre. Malgré la maladie qui l'avait déjà affaibli, il était toujours aussi affable, aussi accueillant, et surtout, toujours à l'écoute des pulsations du pays», relève Aït Larbi, dont la maison d'édition, Koukou, publiera dans quelques jours son livre tiré de sa thèse : «Maghreb, étrangeté et amazighité De Gustave Flaubert, Louis Bertrand, Albert Camus à Jean Amrouche, Mouloud Feraoun, Kateb Yacine et Abdelkébir Khatib Etudes d'analyse littéraire post-coloniale.» Le journaliste et militant des droits de l'homme regrette que l'enfant de Collo soit méconnu chez lui : «C'est l'un des derniers géants de la littérature maghrébine d'expression française qui s'en va. Reconnu dans les milieux intellectuels de par le monde, il resté méconnu dans son propre pays. Nabile Farès s'est distingué également par son engagement en faveur de la démocratie et des libertés en Algérie, notamment par sa solidarité active avec les détenus tous les détenus d'opinion, notamment ceux du Printemps berbère (1980), ceux de la Ligue des droits de l'homme (1985) et ceux du Printemps noir de 2001.» Saïd Khatibi, jeune écrivain, parle à propos de Farès d'une «génération pas de chance», allusion au titre de son roman publié au Seuil et réédité par Achab, éditeur qui s'est fait fort de faire connaître son œuvre, même parmi les lecteurs amazighophones. Nabile Farès sera enterré samedi à Marseille.