Après 44 mois de détention jugée arbitraire, dans le cadre d'une affaire montée de toutes pièces pour le réduire au silence, Kada Hazil, ancien directeur de l'action sociale d'Oran, le premier à avoir dénoncé le cartel de l'Ouest en 2001, ne semble pas désespérer de voir la justice faire la lumière sur cette affaire. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il a mis en exergue les connexions entre les barons de la drogue et certains hauts responsables de l'Oranie. Vous étiez directeur de l'action sociale de la wilaya d'Oran. Qu'est-ce qui vous a poussé à faire une enquête sur le phénomène de la drogue ? D'abord, je tiens à préciser que cela fait cinq longues années que je m'intéresse à ce fléau. Au début, de par ma fonction, j'ai reçu des rapports effarants sur la consommation de drogue dans le milieu juvénile. C'est alors que j'ai mené ma propre enquête qui a duré 18 mois. C'était en 2001. J'ai découvert que les barons bénéficiaient de la complicité de ceux-là mêmes qui étaient censés protéger la jeunesse de ce mal ravageur. J'ai alors établi un rapport détaillé et je l'ai remis en main propre à un officier du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), lequel à son tour a fait son travail, puisqu'il a mené des investigations sur le milieu et il est arrivé aux mêmes résultats. J'ai par la suite transmis le même dossier au président de la République et j'ai même été reçu par Larbi Belkheir, dans son bureau à la présidence, alors directeur de cabinet de Bouteflika. Toutes ces démarches ont eu lieu entre mars et juin 2001. A l'époque, le président de la République était venu à Oran et a lancé une phrase qui a fait l'effet d'un séisme au sein de l'organisation. Il avait demandé à la population oranaise de l'aider à couper la tête aux trafiquants de drogue qui manipulent le terrorisme. Ces déclarations ont été suivies par la saisie de 9 quintaux de kif, puis trois autres à Sidi Chami, dans le domaine agricole de Zendjabil. Ceux qui ont été arrêtés à l'époque n'étaient que des chauffeurs ou des agents d'exécution du réseau. Les vrais parrains n'ont jamais été cités ou inquiétés. J'ai également profité de la visite du ministre des Finances, M Benachenhou, lors d'une réunion avec l'exécutif d'Oran, pour lui parler de ce que j'ai qualifié à l'époque de complot contre le président, lequel a été destinataire d'un rapport détaillé. La riposte des mis en cause a été rapide, puisque le 13 juin 2001 j'ai été arrêté et incarcéré, pour soi-disant une affaire de détournement. Avec la mise aux arrêts du colonel Abdelaziz, directeur régional du contre-espionnage, le trio a rendu dociles tous les services de sécurité à l'échelle locale et aucun responsable n'osait dire la vérité à sa hiérarchie fonctionnelle d'Alger. Ils étaient obligés, sous la menace, de rédiger des rapports complaisants à l'autorité centrale. Le gouvernement était coupé de ses relais d'information au niveau de toutes les wilayas de l'Ouest. Pour revenir à mon cas, la prison a été pour moi une expérience. J'ai appris beaucoup de choses à l'intérieur, parce que j'étais en contact avec les nombreux éléments du réseau arrêtés, dont la plupart ne savaient même pas ce qu'ils transportaient. J'ai aussi connu certains barons et passeurs qui m'ont fait des révélations importantes, notamment sur leurs relais. Raison pour laquelle j'ai continué mes investigations, parce que je considérais que j'étais sur la bonne voie et que je n'ai ni diffamé ni calomnié les autorités mises en cause. Mes investigations ont permis de cerner l'ensemble des données relatives à l'acheminement, la commercialisation et l'exportation de la drogue. De ma cellule à la prison civile d'Oran, j'ai écrit plus 170 lettres et rapports aux plus hautes autorités du pays. Je sais que bon nombre de mes proches et amis ont subi les foudres des autorités locales à cause de mes écrits. Parmi eux, l'ex-wali d'Oran, Bachir Frik. Celui-ci n'aurait jamais fait la prison si je n'avais pas transmis les rapports à la présidence. L'opinion publique aurait souhaité que l'enquête faite sur la gestion de Frik soit élargie à celle de Kouadri par exemple, parce que c'est sous son règne que la drogue a empoisonné la jeunesse, en se répandant dans tous les secteurs : lycées, collèges, universités, cafés et maisons de jeunes. Les victimes de ce trio sont très nombreuses. Je peux citer aussi le cas du sénateur Habibi Djamel Eddine, qui m'a soutenu et transmis mes rapports sur le réseau de la drogue à la présidence dès mon incarcération en juin 2001. Il adressait tout mon courrier à Bouteflika, sous le sceau du sénat en tant que président du tiers présidentiel. Habibi et sa famille ont été terrorisés. Il a été totalement isolé de l'activité sénatoriale et a même failli être privé de son statut de sénateur. Il a fait l'objet d'une campagne médiatique virulente. Mais il a su tenir tête. Peut-on connaître quelques détails du contenu du rapport que vous avez transmis au président de la République ? J'ai dénoncé l'existence d'un vaste réseau de trafic de drogue parrainé par le trio Kamel Abderrahmane, ancien chef de la deuxième région militaire, Mustapha Kouadri, ex-wali d'Oran, et Mokhtar Mokrani, ancien chef de la sûreté de wilaya. Durant l'exercice de leurs fonctions, ces responsables ont terrorisé les cadres et tous ceux qui osaient s'opposer à leur œuvre macabre, à savoir le trafic de drogue. Avec des dossiers préfabriqués, ils ont jeté en prison le quart de l'effectif des douaniers d'Oran, à leur tête le divisionnaire du port. Ils ont organisé une véritable chasse à l'homme qui n'a épargné aucun milieu : civil, police, militaire et sécuritaire. Tout élément jugé hostile à leur organisation se voit emprisonné, muté, radié ou mis à la retraite d'office. Ils avaient la mainmise totale sur l'ensemble des secteurs, notamment de la justice. De 1996 à juin 2004, les juridictions locales se sont transformées en appareils-appendices chargés d'exécuter les projets de règlements de compte de ce trio. Son objectif était de mettre tous les secteurs d'activité au service du crime organisé international. Oran échappait complètement aux lois de la République . Selon vous, Ahmed Zendjabil ne constitue en fin de compte qu'un élément dans le trafic de drogue ? Zendjabil n'est qu'un exécutant. Je peux même affirmer qu'il est la victime de l'organisation… N'a-t-il pas profité de ce réseau ? Il agissait sous leur protection. Sans eux, il n'aurait jamais pu exporter la drogue vers l'Espagne, la France, la Belgique et l'Italie. Lorsque je menais mon enquête sur le trafic, j'ai découvert que 40 % du kif produit au Maroc transitait par l'Algérie avant d'être exporté par les ports d'Oran et d'Alger ou par voie terrestre. J'espère qu'il dévoilera toutes les ramifications de cette organisation au sein de l'administration et des institutions de l'Etat. Certains peuvent penser que l'affaire Zendjabil va être étouffée. Quant à moi, je suis persuadé que le gouvernement a tout à gagner à faire un procès en bonne et due forme en traduisant en justice toutes les personnes impliquées, quel que soit leur rang. Dans la justice, il ne devrait pas y avoir d'exception. Il y a bien eu des ministres qui ont été entendus dans le cadre de l'affaire Khalifa. Le trafic de drogue est bien plus grave que les affaires de dilapidation à travers Khalifa ou la BCIA. La drogue est une affaire de destruction du potentiel humain de la jeunesse à long terme. Se taire, c'est être complice d'un crime contre l'humanité. J'ai toujours appelé à l'ouverture d'un débat national à tous les niveaux du pouvoir et de la société civile. Nos prisons recèlent des données inestimables sur les réseaux de trafiquants et peuvent donc servir pour assainir les rouages de l'Etat infectés par des complices au service du crime organisé aux frontières.