Helali Kouider était un pharmacologue a- typique, profondément passionné par une médecine de proximité sociale. Il refusait de se cantonner dans sa spécialité centrée sur le médicament comme élément premier, pour se préoccuper d'une approche globale et dynamique de la médecine ancrée dans la société, qui n'occulte pas les dimensions sociales et culturelles de la maladie, portées par les personnes qui produisent, à leur manière et avec leurs propres mots, une interprétation de leurs différents désordres biologiques et sociaux, en référence à leurs ressentis et à leurs expériences quotidiennes. Refusant de s'enfermer dans la stricte vérité de la norme médicale, il se vouait corps et âme aux questions de santé publique. Kouider était un chercheur passionné et riche d'une expérience aux niveaux national et international. Il était constamment sollicité par l'OMS en qualité d'expert. Il avait compris qu'il fallait sortir des certitudes faciles identifiées à des mauvaises greffes, pour tenter au contraire de décrypter profondément les enjeux de la santé, en partant de la société. Nos nombreuses discussions me montraient toute sa sensibilité aux apports importants des sciences sociales et en particulier de l'anthropologie, de la santé centrée sur le sens du mal (Augé Herzlich, 1984), indissociable des représentations et des pratiques sociales à l'œuvre dans la société. Refusant de s'enfermer dans un statut confortable, Kouider a toujours privilégié le «terrain» et toujours le «terrain», ne cessant de m'évoquer avec enthousiasme les multiples enquêtes engagées auprès des professionnels de la santé et des patients. Il était très proche des médecins généralistes avec lesquels il travaillait en permanence. Très peu valorisés, les praticiens généralistes devraient être pourtant les acteurs principaux du système de soins. Ailleurs, on l'oublie, la médecine générale est une spécialité reconnue. Ils assurent en effet une activité de régulation importante (médiateurs, proches de la famille, informateurs privilégiés sur l'histoire singulière des patients). Il avait conscience des limites de la médecine techniciste, orpheline d'une identité professionnelle socialement reconnue. Ces deux dernières années, Kouider s'était engagé avec beaucoup de ferveur et de passion sur la question de la médecine de famille. Celle-ci lui apparaissait très justement comme une alternative pertinente pour faire face à l'errance sociale et thérapeutique des patients anonymes, pour reconstruire progressivement une médecine qui ne considère plus la famille comme une simple consommatrice des soins, mais au contraire comme une partenaire incontournable dans le processus de soins. Je n'avais pas hésité à l'inviter au sein de notre unité de recherche en sciences sociales et santé, pour lui permettre d'exposer de façon brillante les enjeux que recouvre la médecine de famille à laquelle il était profondément attaché. Celle-ci lui rentrait symboliquement dans le corps. Il y croyait fortement, non pas dans une logique strictement idéologique, mais parce qu'il avait accumulé des études et des documents importants qui lui permettaient d'avancer à pas sûr surs cette piste importante représentée par la médecine de famille. Elle remettait en question des positions et des intérêts importants de certains acteurs sociaux du système de soins algérien fonctionnant à la verticalité, à la distance sociale et à la production d'une hiérarchie médicale sacralisée. Or, la médecine de famille permettait de dépasser la logique du patient isolé, pour prendre en considération les relations familiales, dans leur complexité et leur diversité. Kouider avait conscience qu'en privilégiant la médecine de famille, il allait à l'encontre d'une médecine standardisée et uniforme où les maîtres de séance sont les professionnels de la santé, occultant la dynamique socio-sanitaire profane produite par les membres de la famille détenteurs d'un savoir d'expérience invisible et à la marge du fonctionnement du système de soins officiel. Kouider avait le courage intellectuel de se remettre en question, de défendre avec abnégation ses idées, de lutter sans cesse pour tenter en vain de convaincre les responsables sanitaires de la pertinence des études qu'il a toujours menées de façon rigoureuse et autonome. Merci Kouider de nous avoir légué un capital culturel et scientifique dans le champ de la médecine, qui sera poursuivi et approfondi. Son ouverture vers les autres disciplines, ses multiples confrontations scientifiques avec les chercheurs d'autres sociétés ont été importantes dans la progression de sa réflexion critique sur le fonctionnement du système de soins qui lui apparaissait trop rigide et centralisé pour pouvoir s'adapter aux différentes logiques sociales des populations ayant leurs propres référents sur la santé et la maladie.
Référence bibliographique Augé M. Herzlich C.,(eds), 1984, Le sens du mal, Anthropologie, histoire, sociologie de la maladie, Paris, Editions des archives contemporaines.