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«L'Administration Obama s'est fourvoyée sur le dossier syrien»
Abdallah Baali. Ancien ambassadeur d'Algérie à Washington
Publié dans El Watan le 25 - 10 - 2016

Fin connaisseur de l'Administration américaine pour avoir passé près de vingt ans en tant que diplomate entre New York et Washington,
Abdallah Baali décrypte la politique des années Obama en matière de politique étrangère et ses relations compliquées avec le Moyen-Orient.
A l'actif du Président sortant, «la politique d'ouverture, la rupture avec l'interventionnisme, la normalisation avec Cuba, le dégel avec l'Iran». A sa décharge, Obama s'est «fourvoyé en Syrie, a déçu l'Afrique et surtout a échoué au Proche-Orient en dépit de sa volonté».
- Barack Obama s'apprête à quitter la Maison-Blanche après deux mandats présidentiels. Celui qui a suscité tant d'espoirs partout a-t-il réussi à changer le visage des Etats-Unis dans le monde ?
Il est indéniable que le président Obama est parvenu, au cours de son premier mandat, à améliorer l'image de son pays, gravement ternie par le désastre qu'ont été la guerre contre l'Irak et la campagne interminable d'Afghanistan. Bien que d'aucuns aient considéré le prix Nobel de la Paix qui lui avait été décerné en 2009 comme prématuré et immérité, je pense que l'obtention de ce prix a contribué, comme l'espérait sans doute le comité Nobel, à le rendre plus prudent et plus responsable dans son approche des affaires du monde.
Rompant avec l'interventionnisme et l'esprit de confrontation de son prédécesseur, il a opté pour l'ouverture et le dialogue, notamment à l'égard du Monde arabe et musulman. Cela s'est traduit par le discours historique du Caire, la main tendue à l'Iran et la recherche d'un règlement définitif au conflit israélo-palestinien.
Le retrait des forces américaines d'Irak et des troupes opérationnelles d'Afghanistan, la normalisation avec Myanmar et La Havane et l'accord sur le nucléaire iranien sont des décisions fortes et courageuses qui doivent être portées à son actif. En revanche, Obama a plutôt déçu aussi bien les Africains qui attendaient beaucoup de lui que les Arabes qui espéraient de lui encore davantage après son discours du Caire et son engagement à réaliser la promesse des deux Etats vivant côte à côte en Palestine.
Ceci étant, force est de reconnaître que malgré quelques points noirs — comme les erreurs et les dérives liées au soi-disant Printemps arabe — l'Amérique d' Obama présente un visage bien plus avenant que celle de son prédécesseur.
- Obama quitte la Maison-Blanche sans pouvoir donner au processus de paix au Proche-Orient une dynamique allant dans le sens de son règlement. Pourquoi a-t-il échoué sur ce dossier ?
Obama a voulu frapper un grand coup en s'engageant personnellement, dès l'entame de son premier mandat, dans le règlement du conflit israélo-palestinien. Convaincu que dénouer ce nœud gordien ouvrirait la voie à la stabilisation définitive de l'ensemble de la région et lui vaudrait dans le même temps un prestige considérable. Il avait compris que la politique de colonisation israélienne était le problème le plus épineux à résoudre et en avait donc fait un préalable.
Il n'avait cependant pas pris toute la mesure de l'irrédentisme israélien sur cette question et, de manière générale, de la difficulté à convaincre les dirigeants sionistes de renoncer à un statu quo qui somme toute les arrangeait. De guerre lasse, il dut se résoudre à jeter l'éponge, mécontentant à la fois les Palestiniens et les Israéliens.
Ces derniers l'accuseront même d'être anti-israélien. Accusation qui sera également portée contre son secrétaire d'Etat, John Kerry, lorsqu'en 2014, il se lança avec énergie dans une nouvelle tentative de bons offices vite avortée. Dans cette affaire, il semble bien que l'on soit, une fois de plus, allés «dans l'Orient compliqué avec des idées simples».
- Sur le conflit syrien, l'Administration Obama donnait l'impression d'une hésitation et d'un rôle moins décisif, laissant ainsi l'initiative à Moscou. Pourquoi une telle position ?
Il est évident que l'Administration Obama s'est fourvoyée sur le dossier syrien, mais elle n'est pas la seule à l'avoir été. Convaincue que la rébellion qu'elle a décidé de soutenir politiquement et militairement triompherait assez rapidement et que le régime Al Assad dont elle était confiante que les jours étaient comptés n'aurait d'autre choix que de négocier son départ, elle a peu à peu réalisé qu'elle avait mal pris la mesure de ce qui se passait réellement sur le terrain. Face à une situation fluide et extrêmement complexe, où les alliances se nouent et se dénouent continuellement, les Etats-Unis ont été contraints de revoir en permanence leur stratégie, donnant ainsi l'impression de n'en n'avoir aucune.
Tout en acceptant d'intensifier son soutien militaire à la rébellion dite modérée, Obama a cependant refusé avec force — il faut s'en féliciter — d'intervenir militairement en Syrie, même lorsque des armes chimiques furent utilisées contre les populations civiles. Lui qui s'était retire d'Irak et d'Afghanistan ne voulait pas engager son pays dans une nouvelle aventure militaire à l'issue incertaine et provoquer un désastre humanitaire encore plus grand. Cette attitude lui a valu et lui vaut encore beaucoup critiques et de reproches dans son pays et de la part de ses alliés arabes et occidentaux, alors que celle de la Russie est jugée plus résolue.
Dans l'autre camp, les choses sont en revanche, si je puis dire, beaucoup plus simples. Les Russes sont allés en Syrie pour soutenir le régime syrien. Tous ceux qui sont en face, ce sont des terroristes sur lesquels ils peuvent taper sans hésitation. Hostiles à l'intrusion de la Russie dans le théâtre d'opération syrien, les Etats-Unis ont fini — après les succès militaires remportés par le régime syrien et face a la montée en puissance de Daech — par composer avec Moscou, qui s'est imposé comme un acteur incontournable dans le règlement de la crise syrienne, au grand dam des pays du Golfe déjà mécontents de l'inclusion de l'Iran dans les négociations sur la Syrie.
- La tension monte entre Russes et Américains sur fond de crise syrienne. Sommes-nous en passe de revivre un épisode de la Guerre froide ?
En fait, nous sommes quasiment en pleine guerre froide depuis déjà pas mal de temps. Ce refroidissement, pour ne pas dire cette hostilité entre la Russie d'une part et les principales puissances d'autre part, remonte à la crise ukrainienne et l'annexion de la Crimée. Aujourd'hui, les deux grandes puissances se font face en Syrie où elles ont des appréciations pour le moins divergentes concernant le règlement de la question syrienne.
Même si Washington a adouci son ton concernant le départ d'Al Assad et que l'élimination en priorité de Daech et du Front Al Nosra constitue un objectif partagé par les deux pays. Pourtant, le président Obama s'était assigné au début de son premier mandat pour objectif de relancer (reset) la relation américano-russe d'ou la signature en 2010 du traité Start, l'abandon du bouclier antimissile en Pologne et la facilitation de l'accession de la Russie à l'OMC.
Très rapidement, les relations se sont détériorées surtout que Washington ne cachait guère sa préférence pour Medvedev, alors Président, jugé être un partenaire plus civil et plus souple que Poutine. Aujourd'hui, malgré le bruit des tambours et la rhétorique guerrière, il est douteux qu'un conflit armé opposerait les deux pays. Obama, qui veut rester dans l'histoire comme un homme responsable et épris de paix et mériter enfin son prix Nobel, ne voudra pas terminer son mandat par une guerre dévastatrice pour son pays et pour la planète tout entière.
- Les rapports entre Washington et Riyad semblent connaître des «tensions». Washington prend-il ses distances vis-à-vis d'un «ami» devenu encombrant ?
De toutes les présidences américaines, celle d'Obama aura été la pire pour l'Arabie Saoudite. Elle s'estime injustement trahie par un allié qui, selon elle, a lâché sans ménagement le président Moubarak — un ami fidèle des Etats-Unis —, pris le parti des rebellions arabes y compris à Bahreïn, refusé d'intervenir militairement en Syrie et, beaucoup plus grave, a normalisé ses relations avec l'ennemi iranien.
Le coup de grâce est la loi autorisant les victimes du terrorisme à poursuivre les Etats accusés d'aider directement ou indirectement le terrorisme, adoptée unanimement par le Congrès une première fois puis une deuxième fois pour contourner le veto opposé par Obama et que ni les lobbies saoudiens ni l'Exécutif américain n'ont pu bloquer.
De son côté, l'Arabie Saoudite n'est pas restée inactive. Elle n'a pas ménagé ses critiques — portées par les princes Turki et Bandar contre la gestion américaine des dossiers israélo-palestinien, syrien et iranien. Le prince Bandar allant, par dépit, jusqu'à courtiser la Russie. Elle a surtout recouru à son arme absolue, le pétrole, pour à la fois pousser à la faillite les petites compagnies américaines qui s'étaient endettées dans l'exploitation des huiles de schiste et gêner le rival iranien. Elle a enfin menacé de retirer les 700 milliards de dollars placés aux Etats-Unis.
- Est-ce que cela signifie pour autant la fin du Pacte du Quincy conclu entre le roi Ibn Saoud et le président Roosevelt pour 60 ans et renouvelé en 2005 ?
Ce serait allé trop vite en besogne. En dépit des tensions, depuis 70 ans, l'Administration Obama est celle qui a vendu le plus d'armes (190 milliards de dollars) à l'Arabie Saoudite. De plus, même si le pétrole saoudien ne revêt plus la même importance pour une Amérique qui en produit désormais presque autant que l'Arabie Saoudite, les Etats-Unis ne renonceront pas à leur relation privilégiée avec Riyad et les autres pays du Golfe qui demeurent des partenaires commerciaux et militaires majeurs. S'il y a une leçon a tirer de cet épisode, c'est que lorsqu'il s'agit de leurs intérêts les plus vitaux, les Etats-Unis, qui sont une puissance globale avec des intérêts globaux, feront toujours ce que leurs intérêts leur dicteront.
- Comment est perçue l'Arabie Saoudite par les élites de Washington ?
L'Arabie Saoudite dispose aux Etats-Unis de soutiens importants dans les milieux pétroliers et militaires et a recours à plusieurs agences de lobbying. Ces soutiens, mobilisés pour contrer le projet de loi susmentionné, ont lamentablement échoué à modifier la donne, et cela en dit long sur les limites de l'influence de ce pays et sur la place qu'il occupe aujourd'hui sur l'échiquier géostratégique des Etats-Unis.
En ce qui concerne l'élite et en dehors de quelques analystes qui continuent de considérer l'Arabie Saoudite comme un partenaire important, Riyad n'a pas bonne presse aux Etats-Unis et est, en fait, souvent très critiquée notamment pour son palmarès en matière de droits de l'homme, son financement des écoles et des mosquées enseignant et prêchant le wahhabisme et sa collusion supposée avec l'intégrisme.
- Existe-il au sein de l'establishment US une «politique arabe» ?
Il existe au département d'Etat et au Conseil national de sécurité (NSC) une bonne connaissance du Monde arabe alimentée par les rapports et les analyses d'un personnel diplomatique de qualité, souvent arabophone, déployé dans l'ensemble des capitales arabes, et de brillants experts et chercheurs travaillant dans différents think tanks tels que le CSIS, le Middle East Council et Carnegie, qui organisent d'excellents séminaires à longueur d'année. Hélas, cette bonne connaissance ne se traduit pas toujours par une politique arabe forte et cohérente. Cela varie d'une Administration à une autre et selon que le lobby pro-israélien pèse de tout son poids ou pas.
Obama est sans aucun doute bien disposé a l'égard du Monde arabe dont il connaît et apprécie l'apport à la civilisation universelle, mais la dure réalité et certaines circonstances imprévues ont eu raison de sa volonté de mener à bien la politique généreuse qu'il avait envisionnée dans son discours du Caire. Enfin, quand on parle de politique arabe aux Etats-Unis, il s'agit en fait et surtout des relations avec le Moyen-Orient car le Maghreb ne suscite qu'un intérêt marginal, même si sous Obama l'intérêt pour notre région s'est quelque peu accru.
- Est-il vrai de dire que les Etats-Unis opèrent un «retrait stratégique» de la région du Moyen Orient pour mieux se déployer dans le Pacifique ?
Je ne pense pas que l'on puisse parler de retrait stratégique du Moyen-Orient tant les intérêts nationaux et les préoccupations de sécurité nationale des Etats-Unis dans cette région demeurent considérables. Dans la nouvelle stratégie de défense américaine présentée le 5 janvier 2012 par le président Obama en personne, celui-ci confirme d'ailleurs l'importance du Moyen-Orient pour son pays tout en consacrant la primauté de la région Asie-Pacifique sur toute autre région, y compris l'Europe.
De fait, face à la montée en puissance aux plans économique et militaire de la Chine qui inspire a ses voisins une peur grandissante et préoccupe grandement aussi les Etats-Unis, le président Obama a resserré les liens avec les pays de la région, y compris avec l'ennemi d'hier, le Vietnam, et fait notamment construire une nouvelle base en Australie. A cette occasion, il a déclaré devant le Parlement australien que son objectif était de «projeter la puissance et de dissuader les menaces». A terme, 60% de la puissance navale américaine sera déployée dans la région.
- Le républicain Donald Trump et la démocrate Hillary Clinton se disputent la présidence des Etats-Unis. Existe-t-il une profonde différence entre les deux candidats en matière de politique étrangère ?
De manière générale, il existe très peu de différences entre les démocrates et les républicains en matière de politique étrangère. S'agissant de Donald Trump et d'Hillary Clinton, tout les sépare. Sur la forme comme sur le fond. Autant le premier est bouillonnant, incompétent et fantasque, autant la seconde est froide, expérimentée, rationnelle et cohérente.
Si elle est élue – elle le sera sauf accident — sa politique étrangère sera, à quelques différences et nuances près, proche celle d'Obama, mais elle fera montre de beaucoup plus d'autorité et de détermination que lui, notamment sur le dossier syrien et les relations avec la Russie. Si Trump est élu, ce sera un saut dans l'inconnu.


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