L'équilibre alimentaire des enfants scolarisés est menacé. L'enquête de la Société algérienne de la nutrition (SAN), menée dans le milieu scolaire en 2014, a révélé un sérieux problème de santé, qui risque de compromettre l'avenir des enfants en raison de la malbouffe. Depuis, les spécialistes ont tiré la sonnette d'alarme. Mais leurs recommandations ont-elles été respectées par les élèves, leurs parents et surtout les autorités concernées, à savoir celles qui tiennent les cantines scolaires ? Les parents ne cessent de se plaindre des habitudes alimentaires de leurs enfants, qu'ils n'arrivent pas à gérer. «Je suis vraiment dépassée. J'ai du mal à les convaincre à manger à la maison même lorsque je ne travaille pas», se plaint une mère de famille rencontrée à l'entrée du lycée El Idrissi, (Alger). Elle atteste que ses enfants préfèrent les sandwichs et les boissons gazeuses que de manger les repas préparés à la maison. «J'essaie de leur diminuer les sodas mais je n'arrive pas. Moi-même, je bois une bouteille de deux litres en un temps record. Je suis accro à la boisson gazeuse, même si je sais que c'est nocif», reconnaît cette mère. Cette attitude est confirmée par Asma, lycéenne : «Même les week-ends, je préfère manger dehors.» «Je n'aime pas les fruits, je préfère une canette de coca que de manger un fruit. Ce sont les sodas qui me rafraîchissent, je bois pratiquement deux canettes par jour, surtout lorsqu'il fait chaud», relate Asma, qui cherche à présent à acheter un appareil pour presser ses sandwichs à la maison. «Lorsque ma mère prépare berkoukes, je prends deux cuillerées difficilement, rien que pour ne pas la vexer», témoigne cette jeune fille. «20% des enfants sont en surpoids», s'alarme Mustapha Zebdi, président de l'Apoce (Association de la protection et de l'orientation des consommateurs) renvoyant cette situation au déséquilibre dans l'alimentation. En premier lieu, M. Zebdi charge les parents, qui donnent de l'argent à leurs enfants pour s'acheter le repas de midi. Ces derniers optent dans la majorité des cas pour les sucreries, la pizza et tous ce que les fast-foods proposent (sucre et gras). Pour protéger les enfants de ce fléau, le président de l'Apoce assure : «Il y a un travail de sensibilisation qui devrait se faire. Celui-ci englobe la société civile, l'école et la famille. Que chacun assume ses responsabilités.» Le rôle des cantines scolaire, qui peuvent veiller sur l'équilibre alimentaire des enfants, n'est pas à prouver, quand on sait que le taux de scolarité a atteint 98% en 2016, selon les statistiques du ministère de l'Education nationale. Manque de cantines dans les wilayas de l'intérieur Cependant, M. Zebdi estime qu'il n'y a pas une grande nécessité pour ces cantines dans les grandes villes. Par contre, «ce problème se pose avec acuité dans les wilayas de l'intérieur et du sud du pays. C'est dans ces régions qu'on peut parler de malnutrition. La responsabilité des directeurs des établissements et des P/APC est entière», insiste-t-il. Pour sa part, Ali Benzina, président de l'Organisation nationale des parents d'élèves, abonde dans le même sens : «Je défie tous les responsables de me prouver que la restauration couvre 90% des établissements scolaires. Dans les wilayas de l'intérieur du pays, il y a un manque flagrant et les élèves souffrent.» Bien qu'aucune enquête englobant les conditions sociales des élèves n'ait été menée jusque-là dans ces régions, l'éloignement, la malnutrition et le climat rude peuvent-il expliquer en partie les dernières places qu'occupent ces régions des Hauts-Plateaux dans le classement des résultats des examens de fin d'année ? Un conseiller de la nutrition, exerçant dans la wilaya de Tizi Ouzou, révèle que dans cette région les élèves des écoles primaires ont droit, en plus du repas chaud de midi, au goûter de la matinée (un bol de lait bien chaud et une tartine à la confiture). Il convient de noter que Tizi Ouzou demeure indétrônable en matière de résultats des examens. Si la prise en charge des élèves du point de vue nutritionnel ne peut pas constituer le seul facteur de réussite dans cette wilaya, il n'en demeure pas moins qu'elle contribue dans une large mesure à ces résultats. D'après ce conseiller, 92% des écoles primaires de Tizi Ouzou ont des cantines scolaires et les élèves bénéficient de repas chauds. «Nous avons interdit les repas froids dans toute la wilaya de Tizi Ouzou», assure-t-il, sachant que cette région est une zone montagneuse et que les écoles se situent parfois à plusieurs kilomètres des villages. Le menu à 45 da dans les écoles primaires Ce conseiller de l'alimentation juge insuffisante la somme allouée au repas de l'élève. Vu la cherté de la vie, 45 da le repas reste insuffisant. Certains présidents d'APC contribuent financièrement. Mais l'aide diffère d'une APC à une autre en fonction des moyens financiers de chacune et l'engagement de chaque maire à prendre en charge les enfants de sa commune. «Lorsque le maire est issu du secteur de l'éducation, le courant passe facilement», reconnaît-il. Dans d'autres cas, les gestionnaires des cantines essaient de veiller tant bien que mal sur l'équilibre du repas destiné aux écoliers. «La viande est proposée aux enfants au moins une fois par semaine. Quelquefois on donne aussi du poulet. Sinon, il y a toujours un apport en protéines animales (œufs, fromage, poisson, parfois sardines)», affirme notre interlocuteur. Ce dernier estime qu'au primaire, les repas sont bien étudiés, du moins pour la wilaya qu'il représente. «On conseille puis on inspecte», souligne ce conseiller qui déplore le manque flagrant de conseillers spécialisés dans la nutrition scolaire. La chose qui rend le contrôle difficile. Néanmoins, «on essaie toujours d'avoir des échos à travers les élèves et leurs parents». Autre problème ! «Les cantines scolaires sont envahies par les externes. Ces pratiques privent dans la plupart des cas les élèves de bénéficier d'un repas équilibré», dénonce Ali Benzina, président de l'Organisation nationale des parents d'élèves, regrettant la gestion irrationnelle des cantines scolaires. Les cantines scolaires sont une nécessité Actuellement, le repas est donné dans un cadre social, mais certains parents interrogés réclament la cantine pour tous, y compris dans les grandes villes où les écoles sont à proximité de la maison. Cette demande est venue essentiellement des couples qui travaillent et dans la plupart des cas loin de chez eux. «Je suis contraint de payer une dame qui récupère mon fils à midi pour lui donner à manger, sinon il se retrouve à la rue. Je dépense 9000 da par mois pour faire garder mes deux petits enfants ainsi que celui scolarisé», se plaint une dame infirmière de son état. Si cette femme a pu trouver une solution, même onéreuse, les enfants des couples qui travaillent, notamment les collégiens et les lycéens, sont contraints de déjeuner dans des fast-foods, s'exposant ainsi à tous les risques d'ordre sanitaire : intoxication et repas déséquilibré (pizza, soda, sandwich, hamburger…). M. Zebdi regrette le fait que dans certains cas le taux de sucre dans les boissons dépasse les 140 g/l. Certains parents ignorent ce qui guette leurs enfants en adoptant ce mode de consommation, d'autres avouent qu'ils sont dépassés. Leur fonction ne leur permet pas d'avoir le privilège de partager un repas préparé à la maison avec leurs enfants. «Soit je travaille pour subvenir aux besoins de mes enfants, soit je reste à la maison pour préparer leur déjeuner. Je ne peux pas faire les deux. Même si je prépare de la nourriture qu'ils peuvent prendre avec eux, ils ne trouveront pas d'endroit pour la réchauffer», déplore Hakima, qui travaille dans un laboratoire d'analyses médicales et qui se déplace chaque jour de Boumerdès jusqu'à Alger. D'autres parents préparent des repas de fast-food, une aubaine pour gérer leur portefeuille. Un sandwich garantita coûte 20 à 30 Da. Une mère de famille avoue que cela lui revient moins cher que de préparer un repas à la maison. Ainsi, les cantines scolaires deviennent plus qu'une nécessité afin de pallier l'éloignement, l'absence des parents et le dénuement de certains élèves. En ces temps de crise économique et de politique d'austérité, les subventions de l'Etat peuvent être orientées vers les couches les plus vulnérables, à savoir les écoliers.