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Etats-Unis : Une élection peu ordinaire
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Publié dans El Watan le 08 - 11 - 2016

Les Etats-Unis pourraient élire aujourd'hui, pour la première fois de leur histoire, une femme à la tête de la Maison-Blanche, devant un adversaire au style provocateur et résolument extrémiste après une campagne électorale décrite par les observateurs comme l'une des plus indigentes politiquement.
Au terme d'une longue et houleuse campagne remplie de spectaculaires rebondissements, les Américains vont pouvoir enfin trancher aujourd'hui par les urnes pour désigner le 45e président(e) des Etats-Unis. Choisir entre le volcanique «républicain» Donald Trump et l'impavide démocrate Hillary Clinton. Deux candidats qui symbolisent deux Amériques antagoniques et inconciliables. L'une représentée par un Trump conservateur et isolationniste, qui défend une société fermée ; l'autre incarnée par une Hillary Clinton porteuse d'une Amérique ouverte sur le monde, mais ferme et «guerrière» en matière de politique étrangère.
Les deux camps se sont violemment affrontés sur tous les sujets durant les longues semaines d'une campagne aux allures de guerre civile où tous les coups étaient autorisés. Mais sans permettre à l'un ou l'autre candidat de s'assurer d'avance la Maison-Blanche, même si par moments, la démocrate caracolait en tête des sondages lui donnant l'impression d'une victoire certaine. Rejeté dans son propre camp, en chute libre dans la totalité des enquêtes d'opinion et largement devancé par Hillary Clinton, le candidat républicain Donald Trump a pu et su à chaque fois remonter la pente.
Deux semaines avant le scrutin, le sort de l'élection paraissait scellé avant l'heure ; l'ancienne secrétaire d'Etat filait sereinement vers la victoire finale et Donald Trump semblait avoir fait une croix sur le bureau ovale. Mais un ultime rebondissement, dont seuls les Américains détiennent le secret, a remis les compteurs à zéro. L'ex-Première Dame est mise en cause par le FBI qui a rouvert l'enquête sur «l'affaire des e-mails» provocant sa rechute dans les intentions de vote. Certes, le patron du FBI, James Comey, a décidé de clore le dossier, non sans impacter l'image de la candidate. Ce qui a permis à son rival de la rattraper et de se relancer dans la course, assurant ainsi le suspense jusqu'au bout.
A l'opposé des deux dernières présidentielles (2008 et 2012) gagnées par Barack Obama et qui ont suscité un enthousiasme et une ferveur mondiaux, celle d'aujourd'hui provoque colère, inquiétude, stupeur et exaspération. Vue de l'étranger, la présidentielle américaine de 2016 aura révélé un système «à bout de souffle». «Comment une grande démocratie, une première puissance mondiale peut offrir au monde entier un compétition politique de premier ordre aussi affligeante», s'interroge-t-on partout dans le monde.
Si Hillary Clinton, «candidate du système», représente l'Amérique réconciliée, assumant sa diversité culturelle et religieuse, ouverte sur l'immigration et qui rassure ses partenaires internationaux, elle incarne par ailleurs une politique étrangère interventionniste. Sur le Moyen-Orient, elle serait une Présidente qui militerait en faveur de l'Etat d'Israël. Sur le dossier iranien, si elle est favorable à l'accord sur le nucléaire, elle n'en demeure pas moins hostile au rôle de Téhéran dans la région. Favorable au renforcement du rôle de l'OTAN, l'ex-secrétaire d'Etat ne fait pas mystère de son opposition frontale à Vladimir Poutine.
Elle a une préférence pour son Premier ministre, Dmitri Medvedev. Face à la Corée du Nord, Hillary Clinton milite pour un accroissement des pressions sur Pyongyang. Et au plan géostratégique, l'ancienne sénatrice de New York travaille pour un redéploiement substantiel dans la région de l'Asie du Sud-Est pour mieux contrer la puissance chinoise. «L'Amérique est une puissance globale, avec des intérêts globaux et donc une stratégie globale», analyse l'ex-ambassadeur d'Algérie à Washington, Abdallah Baali. Hillary Clinton «froide, expérimentée, rationnelle et cohérente», semble celle qui a intégré cette vision.
Nouveau visage de l'Amérique
Son rival, Donald Trump, est un homme clivant, provocateur, excessif et exaspérant. Ses adversaires — ils sont nombreux chez les démocrates comme chez les républicains, au sein des élites économiques et intellectuelles — le présentent comme un personnage dangereux, à qui il ne faudra pas confier le bouton nucléaire américain. Il est le visage risqué de l'Amérique. Cependant, derrière la caricature qu'il surjoue à l'extrême, maîtrisant parfaitement la communication politique, se cache un animal politique parti en guerre contre le système représenté par sa concurrente. En hystérisant la campagne, le milliardaire à la tête d'un empire immobilier ratisse large parmi les couches populaires dont il cherche à être le porte-parole.
Le personnage, qui a déjoué les pronostics en remportant d'abord la primaire républicaine, a bien senti la colère qui gronde au sein de la société américaine. Jouant sur une défiance de l'Amérique profonde vis-à-vis des élites de Washington, Trump s'est employé par tous les moyens à transformer cette colère en force électorale en mesure de le porter à la Maison-Blanche pour dynamiter le système de l'intérieur.
«Si Trump est à bien des égards exaspérant et inquiétant, il y a néanmoins quelque chose de pourri et d'endogame dans le royaume de Washington», décrit Laure Mandeville, reporter au Figaro, qui vient de publier Qui est vraiment Donald Trump ? «Le discours de Trump menace de ramener l'Amérique vers les années 1950», redoute de son côté Vish Sakthivel, chercheure au Foreing Policy Research Institute. En matière de politique étrangère, Donald Trump prône l'isolationnisme.
Il menace de sortir de l'OTAN, est opposé à la politique du libre-échange, favorable à la construction d'une muraille à la frontière mexicaine pour lutter contre la migration dite illégale ainsi qu'à l'instauration de règles drastiques pour l'entrée sur le sol américain. Il brocarde une mondialisation qui menacerait les Etats-Unis. Depuis son entrée en campagne, l'ancienne vedette de téléréalité ne fait que renforcer la peur des partenaires étrangers de Washington. Ils prient tous la victoire de Hillary. Mais aux yeux de ses partisans, il a pris les allures d'un «rebelle».
Et paradoxalement, il représente le changement dont une partie des Américains ne veulent pas. De toute évidence, cette présidentielle a révélé une Amérique profondément divisée entre un peuple en colère et des élites soucieuses de préserver le système. Elle a levé le voile sur des clivages profonds d'une société ballottée entre l'esprit d'ouverture et le racisme, la diversité et le puritanisme. Des tendances lourdes et franchement assumées qui dessinent désormais le nouveau visage des Etats-Unis.


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