Ahmed Bedjaoui dévoile un précieux ouvrage recensant les films abordant d'une manière ou d'une autre la guerre d'Algérie. Intitulé La guerre d'Algérie dans le cinéma mondial (Chihab éditions, 2016), c'est une véritable somme de savoir sur le sujet. Le sous-titre Mille et une fiches de films traitant de la guerre d'Algérie à travers le monde n'est pas une expression publicitaire. Cette monographie regroupe en effet un millier d'entrées sur des réalisations algériennes, françaises mais aussi suisses, chinoises, égyptiennes, anglaises, américaines… Maîtrisant aussi bien l'arabe que le français, Ahmed Bedjaoui est aussi titulaire d'un P.H.D. en littérature américaine, ce qui lui assure déjà une large ouverture sur le plan linguistique. Cette monographie est née des innombrables fiches et critiques écrites par Bedjaoui depuis plusieurs décennies dans le cadre de ses activités universitaires et journalistiques. On y trouve naturellement les longs métrages de fiction inspirés de la guerre d'Algérie mais aussi les courts et moyens métrages, les documentaires, les téléfilms et même certains reportages et émissions télévisées qui présentent un intérêt particulier. La chronologie va quant à elle des premières images du cinématographe, tournées en 1903 par les frères Lumières venus à Alger en quête de lumière naturelle, jusqu'aux films algériens du cinquantenaire de l'indépendance qui n'ont pas encore vu le jour. Aucun point de vue n'est exclu dans cet ouvrage aux allures de dictionnaire thématique. Les images tournées sur le front par la résistance algérienne y côtoient le cinéma colonial. Autant dire que l'on n'est pas loin de l'exhaustivité. On a peine à le croire mais cet ouvrage, assure l'auteur, devait initialement figurer dans l'annexe d'un précédent livre sur le rôle du cinéma dans la guerre de libération. Ce qui devait être une liste de titres est devenu un ouvrage étoffé et, deux ans après, nous voilà devant 400 pages balayant un siècle de cinéma. L'ordre adopté est à la fois thématique et chronologique. Des chapitres regroupent les films traitant d'une période ou d'un aspect particulier (prémisses, scènes de guerre, archives, enfants dans la guerre, émigration, séquelles de la guerre…). Dans chaque chapitre les films sont organisés par ordre chronologique. On retrouve parmi les plus anciens Le bled, long métrage muet de Jean Renoir. Le réalisateur, considéré comme le plus grand cinéaste français de tous les temps, avait accepté une commande des autorités coloniales pour ce film sorti en 1929 en préparation du Centenaire de la colonisation. Le plus ancien film véritablement algérien est une production de Tahar Hannache intitulée Les plongeurs du désert. Sorti en 1953, le film a été boycotté par les autorités coloniales pour la simple raison qu'il était financé et réalisé par des «autochtones». Ce moyen métrage décrit le métier pénible des puisatiers du sud algérien avec le poète, acteur et champion de plongée Himoud Brahimi (alias Momo) dans le rôle principal. On retrouve également dans l'équipe du film le musicien Mohamed Iguerbouchen et le cinéaste Djamel Chanderli. Dans le panorama qu'offre cette monographie, on note que les chronologies des thématiques et des sorties des films sont loin de se superposer. Ce sont les sept ans de guerre d'Algérie qui focalisent l'attention dans un premier temps. Les évènements antérieurs, à partir de l'invasion française en 1830, ne surgiront que progressivement par la suite. Bedjaoui note par exemple une véritable « disette » d'images sur les massacres du 8 mai 1954. Un évènement pourtant crucial. C'est dire l'importance d'un film tel que Hors la loi de Bouchareb qui évoque explicitement cette page sombre de l'histoire. Ceci explique aussi la levée de bouclier suscitée en France par sa projection à Cannes le 13 mai 2010. 65 ans après les faits, le sujet est encore sulfureux. Les films sur les résistances populaires (Bouamama, Fadhma N'soumer…) ou encore les « bandits d'honneur » (Bouziane el Qal'i ou Djilali El Gatta'a de Belkacem Hadjadj) n'arriveront que tardivement par rapport aux films sur la guerre d'Algérie à proprement parler. Durant la guerre, les résistants algériens ont vite compris l'intérêt des images pour défendre la cause de l'indépendance. C'est ainsi que des films sont réalisés sous l'égide du FLN/ALN puis du ministère de l'information du GPRA. Parmi les cinéastes engagés on trouve des productions de Lakhdar-Hamina, Chanderli, Vautier, Pierre Clément... On découvre également le travail important de vidéos et photographies réalisé par Stevan Labudovic (ex-Yougoslavie), envoyé par l'agence Filmske Novosti comme journaliste avant de s'engager auprès des Algériens. Il a également assuré des formations pour les djounouds dans le cadre de l'école de cinéma initiée par Abane Ramdane. C'est dire l'importance accordée à l'image par les chefs de file de la lutte de libération nationale. Côté colonisateur, les images des actualités confortent le point de vue des autorités françaises et nombre de jeunes réalisateurs (dont Claude Lelouche et Philippe de Broca !) sont amenés à faire des images pour l'armée dans le cadre de leur service en Algérie. Parmi les films de propagande, Bedjaoui a déniché un petit documentaire réalisé pour le compte d'une agence dont on ne soupçonnerait pas la présence : la CIA. Cette dernière était partisane d'une alliance américaine avec la France tandis que Kennedy avait pris position pour l'indépendance algérienne. Le film est sorti en 1960, à la veille des élections, afin de tenter d'infléchir la position du futur président. Quelles que soient leurs positions, les films de l'époque offrent un inestimable gisement d'archives visuelles. En France, les archives de l'INA servent déjà dans l'enseignement de l'histoire. Une grande partie est numérisée et l'on a même réalisé un web documentaire interactif (Raspouteam sorti en 2011). En Algérie, le grand projet de centre d'archives audiovisuelles pensé par Mahieddine Moussaoui durant les années 60 n'a toujours pas vu le jour. Si les archives ont un usage pédagogique et documentaire, ils peuvent également servir pour des films de fiction ou encore des détournements à l'image du génial Combien je vous aime de Azzedine Meddour. Sorti en 1984, le film est composé d'images d'archives coloniales dont le discours est totalement retourné par la magie du montage et d'un commentaire sarcastique interprété par l'inimitable Abdelkader Alloula. De l'ironie à la farce, tous les ressorts du comique sont sollicités pour déconstruire subtilement le discours colonial. Combien je vous aime est «Sans doute le chef-d'œuvre le plus accompli dans le domaine du film d'archives, jamais réalisé des deux côtés de la Méditerranée sur la guerre d'Algérie», écrit Bedjaoui. L'auteur consacre par ailleurs tout un chapitre à l'humour avec l'incontournable Hassan Terro, pièce de théâtre de Rouiched déclinée à l'écran par plusieurs réalisateurs à partir de 1968. Quelques années après la guerre, le comique et son effet de distanciation, avait tout à fait sa place, même sur des sujets très sensibles : rappelons que le «héros» de Hassan Terro est homme dénué de courage qui passe pour un grand moudjahid. Avec le temps, la gravité a pris le dessus et il serait aujourd'hui très difficile, sinon impensable, de réaliser un film sur la guerre avec une telle liberté de ton. Ouvrant sur une incroyable diversité d'approches esthétiques et thématiques, La guerre d'Algérie dans le cinéma mondial est un outil précieux et une mine d'informations à l'usage des spécialistes comme du grand public. Parcourir ces images du passé permet d'appréhender la complexité de l'expérience humaine à la fois tragique et glorieuse que fut la guerre d'Algérie. W. B. Ahmed Bedjaoui, "La guerre d'Algérie dans le cinéma mondial : Mille et une fiches de films traitant de la guerre d'Algérie à travers le monde", Chihab éditions, Alger, 2016. Prix : 1.800 DA.