Alors que la loi de finances 2017 était encore en débat la semaine écoulée, les prix des cigarettes, eux, n'ont cessé de connaître des augmentations qualifiées par les organisations qui suivent de près le dossier de «non justifiées». Ces dernières dénoncent une «spéculation éhontée» et accusent les «fournisseurs et les grossistes» qu'elles tiennent pour responsables. «La cigarette est un produit hors contrôle. Le ministère du Commerce ne supervise, en vrai, que les facturations et n'a aucun pouvoir sur les prix imposés par le marché», avoue un cadre du ministère du Commerce, joint par téléphone. Cette nouvelle ne fera certainement pas plaisir aux 7 millions de fumeurs algériens qui assistent, depuis quelques mois, à des augmentations régulières des prix des cigarettes, qualifiées d'ailleurs d'«inexplicables» par les organisations qui suivent de près ce dossier. La déclaration du cadre du ministère du Commerce n'apporte, malheureusement, aucun élément sur les vrais détenteurs de ce grand marché commercial en Algérie. La cigarette rapporte. Selon l'Association nationale des commerçants et des artisans (Anca), «les Algériens déboursent annuellement plus de 50 milliards de dinars et consomment plus de 30 milliards de cigarettes par an», un chiffre qui dépasse largement celui des Marocains et des Tunisiens réunis. Cela veut dire que si les prix sont amenés à connaître d'autres hausses à l'avenir, rien ne peut stopper réellement la machine. D'où viennent ces augmentations ? Sont-elles justifiées ou non ? Pour ne prendre que l'exemple d'une seule marque, Marlboro en l'occurrence (rouge et light), vendue chez les buralistes à 220 DA, cette dernière a augmenté de 40 DA en l'espace d'une semaine, soit une hausse de 18% de son prix initial. Il y a quelques mois, un paquet de la même marque était vendu à 200 DA. Comparé au prix actuel, Marlboro, qui était à 160 DA le paquet, a connu en moins d'une année une hausse de 62,5%. C'est le cas également de toutes les autres marques avec des taux variables. A la Société nationale des tabacs et allumettes (SNTA) ou à la Staem, dont une partie des actions a été rachetée à des Emiratis par le géant américain Philip Morris, toutes les marques ont connu des hausses. PLF 2017 Les augmentations, comme le signale le chargé de communication du ministère des Finances, rencontré à l'Assemblée populaire nationale (APN) en marge des débats organisés autour du projet de la loi de finances 2017 (PLF), seraient probablement dues à cette dernière. En effet, la nouvelle PLF prévoit des augmentations de la Taxe intérieure de consommation (TIC) imposée par l'Etat sur le tabac. Elle concernera la partie fixe de cette taxe avec une augmentation de près de 100% pour les tabacs blancs et de 60% pour les tabacs bruns. Sauf que ladite loi, actuellement en débat, n'est même pas encore promulguée. «Le projet de la loi de finances 2017 ne rentera en vigueur qu'à partir de janvier 2017, et ce, dans le cas où elle sera votée par l'Assemblée et signée par le président de la République», explique le chargé de communication de ce ministère. Alors, qui est responsable de ces augmentations ? Ni la SNTA, ni même la Staem n'ont eu réellement envie de répondre à cette question. Quant à la responsabilité du ministère des Finances, son chargé de communication a «dégagé toute responsabilité de la tutelle dans cette affaire» ; c'est également le cas de celui du ministère de Commerce. «Le tabac est nocif pour la santé. Et de ce point de vue, pour être sincère avec vous, même si la nouvelle loi de finances 2017 sera validée, notre association ne s'opposera pas à une hausse des prix de la cigarette. Maintenant, sur le plan commercial, nous considérons que ces augmentations des prix imposées avant même l'entrée en vigueur de la PLF 2017 sont du vol», dénonce Mustapha Zebdi, président de l'Association de protection et d'orientation du consommateur et son environnement (Apoce), joint par téléphone. Sur le même sujet, Mustapha Zebdi déresponsabilise carrément l'Etat et les sociétés de production de tabac. «Le consommateur doit savoir que ces hausses ne sont pas justifiées. Néanmoins, il est rationnel d'expliquer que l'Etat ne peut imposer une taxe qui n'est même pas encore réglementée, ce qui est le cas aussi des sociétés de production qui sont soumises aux mêmes règles», insiste-t-il. Marlboro Le président de l'Association nationale des commerçants et des artisans (Anca), Hadj Tahar Boulenouar, épargne de son côté les buralistes de toute responsabilité : «Ce ne sont pas les commerçants qui en sont responsables. Dans le marché du tabac, ce sont les fournisseurs et les importateurs qui décident des prix et qui contrôlent le marché. Ils spéculent et, du coup, chacun d'eux rajoute sa marge bénéficiaire.» Et d'ajouter : «J'ai appelé dans la semaine un grossiste de l'Ouest qui m'a informé que son fournisseur venait tout juste de l'avertir sur les prochains changements de tarifs. Selon lui, un paquet sera augmenté de 10 DA à sa prochaine livraison. Evidemment que ce dernier va faire de même.» Joint par téléphone, l'ancien ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, explique les dessous d'un tel marché qu'il décrit comme «compliqué». «La spéculation est un phénomène purement commercial. Le marché de la cigarette est limite informel. C'est l'un des marchés où il y a le plus de spéculation, car les réseaux d'approvisionnement et de distribution sont désordonnés.» Hadj Tahar Boulenouar pense que le secteur de l'importation «n'est pas aussi important que celui de la production nationale». «L'importation ne représente que 10% du marché global. La production sous licence représente 33% du marché. La SNTA, elle, produit environ 53% du tabac commercialisé en Algérie», estime-t-il. En effet, la cigarette est complètement produite en Algérie, même si la matière première est entièrement importée de l'étranger, ce qu'explique, sous couvert d'anonymat, un cadre de l'une des entreprises déjà citées. Certaines marques connues de la SNTA, comme Rym et Nassim, sont produites par cette dernière. Les autres, comme Marlboro, L&M, Winston, West ou Camel, elles, sont toutes produites en Algérie par la Staem. De ce point de vue et comme le défendent les responsables des deux associations interviewées, les spéculateurs seraient donc «les fournisseurs et les grossistes». «Les gens savent que les prix vont augmenter avec la LF 2017 et décident, de leur propre chef, d'anticiper sur les prix. Nous avons déjà connu plusieurs anticipations sur certains produits avant même que les lois ne produisent leur impact», assure l'ancien ministre. Mustapha Zebdi est du même avis. «C'est exactement ce qui s'est passé avec la loi de finances 2016. A la fin 2015, plusieurs produits ont connu des hausses, y compris pour le prix des transports avant même l'augmentation des prix du carburant», se rappelle-t-il. Contrefaçon Ce que dit l'ancien ministre n'est certainement pas fortuit, car beaucoup qualifient ces derniers de «mafia de la cigarette». Le président de l'association Anca, Hadj Tahar Boulenouar, attire l'attention sur les pratiques de certains fournisseurs. «Le premier problème est que 40% du tabac qui circulent dans le marché sont contrefaits. L'estimation financière de cette marchandise est de deux milliards de dollars, confie-t-il. De plus, 50% du tabac passent par les points de vente informels. Ce sont les fournisseurs qui décident et qui contrôlent le marché. Non seulement ils leur vendent la marchandise au prix que eux ils veulent, mais aussi ils évitent ainsi de payer les charges à l'Etat, créent le besoin et fixent les tarifs à leur guise.» Toujours sous couvert d'anonymat, un cadre de la Staem assure que «son entreprise a toujours fonctionné 6 jours sur sept et 24h/24» et qu'«elle n'a jamais privé ses fournisseurs de marchandise». Alors comment se fait-il que certaines marques, pour ne citer que Marlboro light, ont connu des pénuries durant cette année ? «C'est pour éviter de payer les impôts et gagner plus, pouvoir contrôler les prix en privant le marché formel de la marchandise», affirme le président de l'Anca. D'autres se demandent comment l'Etat peut réguler ou agir sur les prix ? «Avant de contrôler, il faut d'abord éradiquer l'informel pour réguler le marché. Il faut aussi interdire toute vente sans local et sans registre. Malheureusement, l'Etat ne contrôle que les produits subventionnés ou plafonnés. Et du coup, je pense que c'est le seul moyen qui nous reste afin de combattre la spéculation», avoue Hadj Tahar Boulenouar. Nous avons tenté de joindre certains fournisseurs et importateurs, en vain. Hadj Tahar Boulenouar affirme que ces derniers «n'accepteront jamais de parler à la presse car ils ont, selon lui, beaucoup de choses à cacher, comme les questions liées au monopole, la spéculation, la qualité du tabac et l'approvisionnement du marché informel». L'ancien ministre trouve que «pour conforter ses caisses, l'Etat a tout à fait raison de recourir à la taxation des produits de luxe comme la cigarette». Un avis partagé par les responsables des deux associations qui évoquent, entre autres, la question de la préservation de la santé. Dans son projet de loi de finances 2017, L'Etat justifie sa politique de taxation en expliquant que ceci rentre «dans sa politique de lutte contre le tabagisme». Pour rappel, l'Algérie est signataire de la convention de la lutte anti-tabac. «L'OMS considère que l'interventionnisme fiscal demeure le moyen le plus utilisé en termes de lutte contre le tabagisme», se justifie le gouvernement algérien dans le PLF 2017. Mais reste à savoir, jusqu'à quand les prix vont-ils continuer à augmenter ? Et jusqu'à quelle limite les fournisseurs vont-ils s'arrêter ? Entre-temps, en l'absence de régulation, ce sont les consommateurs qui subissent les augmentations répétitives.