Une question essentielle se pose : si la mondialisation ne convient plus aux pays qui en sont le cœur nucléaire, alors peut-être est-ce parce qu'elle profite surtout aux pays de la périphérie dont fait partie l'Algérie. L'argumentaire du Brexit et du vote Trump le laissent penser. Ils reprochent à la City et à Wall Street d'avoir envoyé les capitaux et les emplois dans le reste du monde. Et d'avoir laissé «le pire» aux métropoles «mondialisantes» : le chômage et la pression migratoire. La Chine est l'archétype de l'hyper-croissance tirée par l'entrée des investissements étrangers et l'exportation des marchandises locales. Ce modèle «vertueux» se décline en gros sur les BRICs, les pays émergents devenus une puissance économique aux côtés de l'ancien G7. Les émergents ont donc plus profité de la libération de la circulation des capitaux et des marchandises de ces 30 dernières années. Sauf que eux-mêmes, en changeant de statut économique dans la hiérarchie mondiale, peuvent subir les mêmes dégradations que celles connues ces dernières années par les grands centres historiques de la mondialisation. Bulles spéculatives, blocage de la redistribution sociale et déclin de l'investissement. Voire l'entrée en récession de l'économie brésilienne depuis 2013. De nouveaux émergents viennent «émarger» sur les flancs des BRICs pour détourner vers eux une partie de l'épargne mondiale flottante et pour détenir un bout de l'atelier du monde. Le Vietnam et le Pakistan dans le sillage de la Chine et de l'Inde. Les anciennes Républiques soviétiques dans celui de la Russie. La Colombie et le Chili autour du Brésil. La mondialisation a accéléré spectaculairement la sortie de la pauvreté dans les pays qui en ont le mieux tiré parti. Et qui avaient, au départ, une structure sociale peu inégalitaire, comme la Chine sous le Parti communiste. Les pro Trump et pro Brexit n'aiment pas savoir que les meilleurs taux de croissance dans le monde depuis 20 ans sont dans des pays «basanés», comme la Turquie ou la Malaisie, alors que la croissance chez eux se traîne à 1,5% en moyenne depuis la crise de 2008-2009. Vu en zoom arrière, la diffusion rapide du capital sur la planète a globalement plus profité aux pays de la périphérie proche, qu'à ceux du centre. Dans le détail, elle a plus intégré de populations dans les émergents qu'elle n'en a marginalisé du processus ou précarisés. C'est un peu l'inverse pour les Etats-Unis et l'Europe, Grande-Bretagne en tête. L'Algérie ne se situe nulle part dans cette cartographie. Elle est restée liée au monde selon une insertion vieille d'un siècle, dessinée par l'ère coloniale. Elle fournit une matière première de base, l'énergie fossile, et organise sa relation avec la mondialisation comme client final des excédents commerciaux d'autrui. C'est sans doute pour cela que les Algériens, en dépit de leur forte connectivité aux contenus de l'information globalisée (Al Jazzera, les chaînes françaises d'info en continu, internet…), n'ont jamais été particulièrement stressés par les cataclysmes de l'histoire du capitalisme mondial. Ni en 2008, avec la crise financière, ni en 2016, avec les messages xénophobes et anti-libre-échangistes envoyés par le Brexit et le vote Trump. Cette attitude défiante vis-à-vis de la mondialisation est la constante politique de l'Algérie fournisseuse d'énergie selon le modèle colonial amélioré. D'une certaine façon, le vote Trump et le Brexit sont idéologiquement au pouvoir depuis très longtemps en Algérie. Sous Bouteflika de manière plus nette. Non pas parce que l'Algérie a tenté l'expérience d'une autre insertion dans l'économie mondiale que celle primaire qui est la sienne depuis un siècle. Mais parce que son axiome politique dominant est que cette insertion est dangereuse pour le pays. Comprendre ici dangereuse pour le bloc dominant le pays. Car une insertion «moderne» aux flux de capitaux et de marchandises du monde suppose un délitement de la gestion par la rente énergétique. C'est ici que se situe le risque pour le «pays». S'affranchir, en partie, de la rente et donc de celui qui la redistribue. Lorsqu'elle est disponible. Elle ne le sera plus bientôt. C'est maintenant une certitude. Non plus liée aux prix qui peuvent toujours revenir à 60 dollars le baril, mais aux volumes, insuffisants pour revenir à 50 milliards de dollars de recettes par an. L'Algérie commence donc à se poser la question d'une autre relation au monde. Or, le lien conquérant à la mondialisation est connu. Attirer des capitaux en IDE et sur un marché financier dynamique, exporter des biens et des services dans un premier temps. Opérer à des acquisitions d'actifs patrimoniaux à l'international dans un second temps. Le pouvoir politique algérien ne s'y engage toujours pas. 17 mois après le début du contre-choc pétrolier de juin 2014, le réflexe phobique anti-mondialisation est plus fort. Chez Trump et Boris Johnson (leader britannique pro Brexit, aujourd'hui ministre du Foreign Office), le protectionnisme et le discours patriotique sont calculés. Il surfe sur les dégâts d'un modèle ouvert qui a oublié de redistribuer ses dividendes chez lui. En Algérie, il obéit à un autre agenda. La reproduction à l'équivalent du rapport de domination du pouvoir politique. Un événement de la semaine dernière illustre la posture systémique du pouvoir politique hostile à l'inversion du modèle algérien de fermé à ouvert. Il a eu lieu à Larba, près d'Alger, lundi 14 novembre, inauguration de la 2e ligne de verre plat de MFG, la filiale de Cevital, qui exporte 60% de sa production et qui devient, avec une capacité de 1400 tonnes par jour, le leader africain de la filière. Cérémonie à la mesure du bond en avant et déclinaison, par son président Issad Rebrab, de l'agenda à l'export du groupe Cevital à 2020. Il y est question de 3 milliards de dollars, dont 2 dans l'électroménager. Il a aussi parlé de ses projets d'investissements en Amérique du Sud pour sécuriser ses différentes chaînes d'approvisionnement dans l'agroalimentaire et dans la sidérurgie. Aucun ministre du gouvernement algérien. En dépit de la présence à Larba de Nahyane Al Nahyane, membre de la famille régnante des Emirats arabes unis et gouverneur de Abu Dhabi. Le pouvoir politique avait des raisons domestiques de ne pas apprécier Issad Rebrab et sa démarche d'entreprise. Pas dans le sérail. Il en a des nouvelles. C'est par lui que s'insinue la nouvelle insertion possible de l'Algérie dans l'économie mondiale. Celle économiquement conquérante qui en fera un exportateur massif de biens et de services que «détestent» les électeurs de Trump et du Brexit. Mais que redoutent encore plus les décideurs politiques algériens. Issad Rebrab, l'Algérien mondialisé, est devenu, sans doute, sans le savoir, encore plus perturbant pour le gouvernement algérien qui ne veut pas sortir de l'ancien modèle de relation aux puissants du monde.