Dans une conférence-débat animée hier au Centre culturel français d'Alger, Bruno Etienne, directeur de l'Observatoire du religieux à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence (France), a battu en brèche la thèse du conflit entre les civilisations occidentale et musulmane. Ainsi, s'interroge-t-il, « qui a intérêt à traduire en termes religieux des conflits essentiellement géostratégiques ? ». Ces derniers, explique M. Etienne, également membre de l'Institut universitaire de France, sont alimentés par des velléités du contrôle de l'eau, du pétrole ou tout simplement de l'hégémonie. A titre d'exemple, l'accord de l'Algérie avec la Russie pour fournir l'Europe en gaz, ne peut s'expliquer que par du « business ». De même, la visite de Jacques Chirac en Arabie Saoudite pour vendre des armes à un pays surarmé. L'orateur affirme que c'est la Turquie qui contrôle l'eau du Proche et Moyen-Orient. En macrogéostratégique, M. Etienne se demande si nous nous dirigeons vers un monde unipolaire, incarné par les Etats-Unis, ou vers un monde multipolaire avec l'émergence spectaculaire de la Chine et de l'Amérique latine. Une problématique qui trouve sa genèse en 1945 lors de la conférence de Yalta, quand le président américain Roosevelt s'est arrêté en Arabie Saoudite pour assurer l'indépendance énergétique des USA. Aujourd'hui, souligne M. Etienne, tout le monde subit les conséquences de la lutte qu'ont menée les USA et l'Arabie Saoudite contre le communisme. Depuis l'effondrement de l'URSS, les USA ont décidé de redessiner la carte du Proche et Moyen-Orient. Pour l'orateur, le centre du monde se trouve aujourd'hui entre Hawaï et le Japon et l'hégémonie du marché libre s'est avérée plus redoutable qu'une attaque militaire. L'un des effets récurrents de la mondialisation réside dans l'audimat et la télévision. Le conférencier déplore le fait d'opposer l'Occident à l'Islam sans même la définition des deux concepts. M. Etienne explique que l'Occident signifie la Bible et le grec. Il précise, toutefois, que si l'Occident a pu accéder à la civilisation grecque, c'est grâce, en partie, aux philosophes arabes et musulmans dont Ibn Rochd, Ibn Kathir et Ibn El Haytham… Le politologue français récuse un clash entre Occident et Islam, puisque les deux civilisations reposent sur des religions monothéistes. D'ailleurs, le Coran se réfère, dans plusieurs versets, à la religion chrétienne. « Traduire en termes religieux les conflits actuels nous empêche de voir les vrais problèmes qui sont de nature géostratégique », dira-t-il. Le plan des USA, pour redessiner le Proche et Moyen-Orient, se base sur trois éléments : qu'est-ce que ça nous coûte de soutenir Israël ? L'Arabie Saoudite n'est plus fiable ; la Turquie est un porte-avions de l'OTAN et finira par rentrer en Europe. M. Etienne avertit que devant l'hégémonie des USA et la montée spectaculaire de la Chine, l'Europe doit se constituer en force d'opposition, sinon elle risque de disparaître (vieillissement et manque de fécondité).