Réflexion n Aujourd'hui, le monde est fondamentalement fondé sur la problématique opposant l'Occident à l'Orient. Bruno Etienne, membre de l'Institut universitaire de France, directeur de l'observatoire du religieux à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, et dont tous les travaux tournent essentiellement autour des religions et des civilisations, notamment musulmane, a animé, dimanche, au Centre culturel français, une rencontre sur le thème du «Refus du clash des civilisations». Depuis quelques années, notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001, l'on ne cesse, en effet, de parler, ici comme ailleurs, du choc des civilisations, et la nécessité d'engager un dialogue interculturel et interreligions afin de rapprocher, dit-on, les deux mondes – à la fois si proches et si différents. Aujourd'hui, le monde est fondamentalement fondé sur la problématique opposant l'Occident à l'Orient, voire le christianisme à l'islam ; du côté musulman, il est question de djihad contre l'infidèle qui n'est autre que le chrétien, d'où les attentats perpétrés en Europe comme aux Etats-Unis, ou ailleurs, à l'encontre des intérêts occidentaux ; du côté occidental, les politiques justifient leurs actions militaires en terre d'islam par le souci de lutter contre le terrorisme, voire par extension apporter – exporter – la démocratie dans les pays musulmans. De cette confrontation entre Occident et Orient naissent des tensions et des contentieux définissant souvent violemment les rapports des uns aux autres, c'est-à-dire les rapports de force existent. Il se trouve que, selon le conférencier, ces agissements des uns comme des autres révèlent en filigrane des visées politiques, voire géostratégiques. D'où la question : «Qui a intérêt à traduire en termes exclusivement religieux des conflits géostratégiques ?» et, dans ce cas, «peut-on réellement parler de clash des civilisations ? » Bruno Etienne perçoit le discours utilisé par les politiques comme étant un langage doublement articulé : manifestement, l'on parle d'humanisme, c'est-à-dire de démocratie et de droits des peuples, de lutte contre le terrorisme et les gouvernants autoritaires, voire «voyous», mais il est question, à l'évidence, et au second degré du discours, d'intérêts de diverses natures, notamment économique et énergétique. Ainsi, la situation d'adversité dans laquelle se trouvent les deux protagonistes (les musulmans et les Occidentaux) s'explique, selon Bruno Etienne, par des intérêts relevant de l'ordre du géostratégique, et toutes ces manœuvres politiques sont pernicieusement masquées par des discours soutenus et justifiés en termes exclusivement religieux. Et de dire : «Je refuse l'idée du clash des civilisations», car, pour lui, il ne s'agit que d'un prétexte pour imposer à l'autre une hégémonie dominatrice ou afin de justifier les véritables enjeux qui motivent les réactions des uns comme le refus des autres ; et cela est possible lorsque la représentation d'autrui se fait à partir d'un imaginaire cousu de toute parcelle et de croyances fantasmatiques. «Ce qui est important, ce n'est pas ce qui est vrai, mai ce que les gens croient», a-t-il dit, ajoutant que l'idée de l'islam versus Occident – et inversement – fonctionne sur la méconnaissance des uns et l'ignorance des autres. Autrement dit, les Occidentaux se font une représentation lacunaire, erronée et réductrice de l'islam, et les musulmans ont une idée incomplète et inexacte de ce qu'est l'Occident. Cette méconnaissance, selon le conférencier, est dangereusement répandue et cultivée au sein des sociétés par les images que ne cesse de diffuser la télévision ; ainsi, la télévision, à l'ère de la mondialisation, joue un rôle stratégique dans les fonctionnements divers consistant à légitimer le fantasme des uns et l'imaginaire des autres et du coup, à justifier des actions et à autoriser des réactions.