“La realpolitik, c'est les contrats”. Voilà une sentence qui devrait résumer l'excellente conférence prononcée hier par Bruno Etienne, éminent politologue, directeur de l'Observatoire du religieux à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence. Il était l'invité du Centre culturel français d'Alger dans le cadre d'un cycle de conférences. Le thème de celle d'hier tournait autour de l'islam et le clash des civilisations, un sujet sur lequel Bruno étienne émettra un avis tranché en martelant que la thèse selon laquelle il y aurait un clash ou un “choc” (comme dirait Samuel Huntington) entre l'islam et l'Occident est complètement fallacieuse, et que l'opposition formelle entre les deux termes cache mal des enjeux plutôt “terre à terre” et “cyniques”, des enjeux de “géopolitique stratégique” pour reprendre la formule du conférencier. À ce propos, Bruno Etienne développera une antithèse selon laquelle les conflits qui opposent les deux camps sont principalement d'ordre économique et stratégique et tiennent tout bêtement, tout “bassement”, du “business”. Pour illustrer son propos, Bruno Etienne axera son analyse sur la situation au Proche-Orient en avançant comme argument que l'essence du ou des conflits qui embrasent la région n'est pas idéologique et religieuse comme on a coutume de le répéter, mais que l'enjeu est avant tout énergétique et nourri par le marché de l'armement. À quoi ajouter une lutte féroce pour le contrôle de l'eau, une ressource dont les vannes sont entièrement aux mains de la Turquie. Esquissant une carte du monde depuis la chute du bloc soviétique, Bruno Etienne soutient qu'à la configuration d'un monde unipolaire dominé par l'hégémonie américaine fait pendant celle d'un monde multipolaire où des pays comme la Chine, l'Inde et le Japon, le bloc asiatique en somme, sont en train de bouleverser l'échiquier postguerre froide. L'éminent politologue évoquera à ce propos la conférence de Pékin qui se tient en ce moment de concert avec les pays africains — et à laquelle prend part l'Algérie —, en soulignant le rôle de “nouveau leader” qu'entend jouer la Chine dans ce nouvel ordre qui se dessine. Au chapitre “boule de cristal”, un jeu dans lequel excellent en général les analystes de l'envergure de Bruno Etienne quand ils sont appelés à “prédire” le monde de demain, le conférencier fait une grosse annonce en conjecturant que les Etats-Unis vont tôt ou tard négocier avec l'Iran pour pouvoir acheminer les “pipes” qui vont bientôt pomper les puits du Tadjikistan et autres ex-Républiques soviétiques qui préfèrent “dealer” avec les trusts américains qu'avec le voisin européen. “Poutine n'ayant pas rempli son contrat de façon à pacifier la Tchétchénie et permettre ainsi l'acheminement du pétrole par ses terres, les Etats-Unis n'ont d'autre choix que de dealer avec l'Iran et cela va être le cas dans les trois ou quatre années à venir, j'en fais le pari”, lance-t-il. Une manière d'appuyer sa théorie de la primauté de la “realpolitik” et des intérêts économiques imposés par l'idéologie du “tout-marché” sur le scénario “guerre des religions”. Nous reviendrons sur les développements de cette conférence dans notre prochaine édition. M. Benfodil