Périodiquement, le thème de la stratégie industrielle refait surface. Comment inverser la courbe de la désindustrialisation d'une manière efficiente ? Il y a deux éléments essentiels liés à la problématique du développement industriel. Le premier est largement débattu. Il s'agit de la meilleure manière de concevoir une stratégie industrielle. Il y a de nombreux détails à régler. Qui sont les donneurs d'ordre ultimes, les concepteurs, les contributeurs, la méthodologie de maturation du projet et le reste ? Le second point rarement débattu, surtout après la conception, demeure l'analyse de l'efficience opérationnelle du programme. Et en ce sens, c'est du rapport input/output qu'il faut débattre. Et non pas juste ce qui sort comme output industriel ! Par exemple, de nombreux analystes jubilent à l'idée que nous commençons à avoir une croissance industrielle plutôt qu'un processus de désindustrialisation que l'on avait par le passé. Il faut être content lorsque de bonnes nouvelles arrivent. Il est utile de comptabiliser le coût de cette amélioration. Bien sûr que la réindustrialisation se fera progressivement. On ne doit pas s'attendre dès les premiers mois à des croissances à deux chiffres. Mais les réalisations obtenues doivent toujours être comparées à deux éléments : les buts fixés et les ressources engagées. Cet exercice nous rappelle les fameuses analyses de nombreux de nos économistes durant les années 2006 à 2013. On était super contents que la croissance économique moyenne était supérieure à la moyenne mondiale de un ou deux points. Mais lorsqu'on analyse les ressources injectées dans le PIB hors hydrocarbures, on se rapprochait de 25%. Il est rare qu'un pays arrive à 7% d'injection de fonds publics en tant que plan de relance. Le ratio ressources injectées/croissance obtenue nous est défavorable. D'ailleurs, faire abstraction du volume des ressources utilisées a été une constante de la pensée économique algérienne. Les écrits de toutes les décennies sont surtout polarisés sur l'output, ce qui est obtenu en faisant fi des inputs. Les stratégies industrielles : Quelques facteurs-clés de succès Les efforts de conception d'une stratégie industrielle sont louables. Un secteur économique sans stratégie est soumis à tous les aléas possibles. Les différents développements nationaux et internationaux le tiraillent vers différentes directions. Les différents responsables qui se succèdent vont alors chacun promouvoir des priorités différentes, ce qui va induire une grande confusion auprès des hommes d'affaires appelés à contribuer grandement à l'essor sectoriel. C'est pour cela qu'un fameux principe managérial stipule : «Une personne moyenne qui demeure dix ans à un poste de responsabilité obtient de bien meilleures performances que dix génies qui se succèdent». La raison en est simple : elle s'appelle la lisibilité. Le flou est l'ennemi de l'investissement et donc des performances économiques. Il vaut mieux avoir une stratégie industrielle de qualité moyenne que pas de stratégie du tout. Ceci dit, nous vivons dans un monde de plus en plus globalisé et de plus en plus dangereux. Ce que vont faire les autres induira fatalement des conséquences sur notre avancée économique. La stratégie industrielle de notre pays est en compétition avec le reste des stratégies industrielles des autres pays. D'où la nécessité d'en concevoir une de classe mondiale. Nous n'avons pas le temps d'évoquer les méthodologies et les principes inhérents aux stratégies industrielles de pays. Nous allons simplement clarifier quelques pistes susceptibles d'améliorer la formulation stratégique. Il est devenu récurrent d'annoncer une stratégie pour réindustrialiser notre pays. Les résultats jusqu'à présent ont été mitigés. Les toutes dernières décisions sont en train de produire quelques effets salutaires, mais sont-elles conformes au volume des ressources mobilisées ? Nous pouvons nous permettre de réfléchir sur la problématique des conditions de réussite d'une stratégie sectorielle. Le premier point concerne le fameux mécanisme Brownien (il faut que les différentes priorités sectorielles tirent vers la même direction). Il est utile de rappeler qu'une stratégie industrielle devient extrêmement complexe à concevoir et à exécuter sans stratégie globale. C'est-à-dire que si le pays n'a pas de stratégie, alors l'industrie aura toutes les peines du monde à formuler et réussir une quelconque stratégie. Parce que le plan stratégique d'un secteur nécessite une cohérence globale. Je prendrai un seul exemple : supposons que notre stratégie industrielle s'oriente vers le développement de nouvelles filières (nano technologie, informatique quantique, etc.). Notre secteur de l'enseignement supérieur doit réaliser une mise à niveau de son mode de fonctionnement en plus de privilégier ces nouvelles filières. Nous ne parlons pas des autres secteurs qui doivent suivre (finance, formation professionnelle, etc.). La cohérence des principes Nous avons évoqué ci-haut la cohérence des activités. Ce qui fait dire à certains chercheurs que la stratégie est globale ou pas du tout. Ceci implique qu'il est extrêmement compliqué de réussir une stratégie sectorielle si le pays n'a pas de plan stratégique global. Le second élément concerne le rôle des acteurs. Une stratégie globale s'exécute par des entreprises publiques, privées, petites, moyennes et grandes, nationales et internationales. Quel est le rôle de chaque groupe d'acteurs au sein de la configuration stratégique ? Par exemple, le plan stratégique qui a permis l'émergence de la Malaisie repose sur le secteur national, tout en orientant les activités internationales uniquement vers le high-tech. La Chine, tout en privilégiant le secteur national, met en compétition le secteur privé et public national en veillant à laisser les entreprises non stratégiques (publiques ou privées) à faire faillite, tout en ayant des politiques très efficientes de traitement des effectifs et de l'outil industriel à récupérer. Le rôle des acteurs doit être compris d'eux-mêmes, clairement explicité et internalisé par tous. Il ne doit pas être uniquement dans la tête des dirigeants, mais dans les convictions et les agissements des acteurs. Il faut souligner que les premiers plans industriels ont donné lieu à de formidables concertations. Pratiquement toutes les parties prenantes et ceux qui pouvaient apporter quelque chose ont été sollicités. Nous pouvons critiquer la méthodologie d'approche qui consistait à choisir parmi les multitudes d'idées avancées. Mais le processus fut très participatif. Mais comment rendre le plan cohérent est une autre problématique ? Il n'en demeure pas moins que la formulation d'une stratégie industrielle se fait en benchmarking, car nous sommes en compétition avec le reste du monde. En dehors du plan lui-même, nous avons à nous mettre au niveau mondial pour ce qui est des facteurs-clés de succès. Mais le gros des problèmes de stratégie industrielle dans notre contexte demeure comment agir sur les facteurs-clés de succès de réussite qui ne dépendent que très partiellement du seul secteur industriel. Les qualifications humaines et le niveau d'efficacité du management des institutions publiques sont deux des paramètres les plus importants de réussite des stratégies industrielles. Pourtant, le secteur industriel n'a que des impacts très limités sur ces activités ! Mais sans les booster à un niveau substantiel, ils risquent de devenir un frein important de la stratégie industrielle. Le pari n'est pas aisé. Mais nous pouvons nous consoler en disant que sans stratégie industrielle très approximative, on ne peut que faire pire.