Depuis l'an 2000, les annonces s'enchaînent sur la relance du secteur industriel à travers ses différentes filières. Des annonces suivies de mesures portant appui au privé, de programmes de mise à niveau et de plans de redressement, d'assainissement et de réorganisation du secteur public, mais aussi de révision du code des investissements, et de facilitation d'accès au foncier et aux financements bancaires. Les notes ministérielles, les instructions gouvernementales et les lois n'ont pas manqué au fil de cette période dans l'objectif de diversifier l'économie et de promouvoir les exportations hors hydrocarbures. Certains dispositifs ont été appliqués, d'autres ont été ajournés alors qu'une autre série de décisions a été complètement ignorée ou abandonnée à mi-chemin. La dégradation de la situation du pays a fini par accélérer cette course à l'industrialisation. Certes, c'est à partir de 2007 que le débat sur la nécessité d'adopter une stratégie industrielle a été relancé par Abdelhamid Temmar via l'organisation des assises nationales sur la stratégie industrielle sous le signe «Réveil d'un géant». Une feuille de route soumise à l'approbation des experts, des organisations patronales et du gouvernement avait été élaborée à cette époque. Elle avait mis l'accent sur les conditions de la mise en place progressive de segments compétitifs en favorisant la transformation industrielle des produits primaires et en promouvant l'internationalisation de l'industrie de support des activités d'assemblage et de conditionnement. Qu'a-t-on fait dix ans après ? Pour certains, la stratégie de Temmar a ouvert le cap du changement ; même si elle n'a pas été complètement appliquée, elle a eu le mérite de remettre sur le tapis le débat sur l'industrie après la phase de déstructurations des années 90' et mettre le doigt sur ce qui ne va pas. Depuis 2007, beaucoup a été dit à travers les constats des différents responsables qui se sont succédé à la tête du secteur (Temmar, Bemeradi, Rahmani), sans pour autant réussir à profiter des années fastes pour assurer la diversification industrielle tant prônée dans les discours. Aujourd'hui, le géant n'est pas encore complètement sorti de son sommeil. Pourquoi ? «Parce qu'il n'y avait pas de stratégie, une vision à moyen et long termes en prenant en considération que l'économie s'est mondialisée et qu'il n'y avait plus de place pour un développement industriel pensé à l'échelle du pays» nous répondra à ce sujet Lotfi Halfaoui, expert industriel. «Du temps de Temmar, l'on parlait de la création de PME championnes, mais ces champions ont tardé à voir le jour», rappellera à ce sujet Mohand Amokrane Zoreli avant de poursuivre : «Tout simplement parce qu'on n'a pas assuré les facteurs de compétitivité. On ne peut réussir une stratégie d'industrialisation si on n'a pas compris qu'étant dans un monde de concurrence aiguë, l'industrie appelle la réunion de facteurs de compétitivité.» Une lacune immense à laquelle tente de remédier aujourd'hui le département de Abdessalem Bouchaoureb qui a fait de la réindustrialisation «une cause nationale» et dont l'ambition est de mettre en place «un nouveau modèle industriel propre à l'Algérie qui s'insère dans les tendances façonnant la nouvelle carte industrielle mondiale». Pour cela, nous dira-t-on au ministère de l'Industrie et des mines, «nous déployons de nouveaux moyens afin de créer un environnement compétitif pour les investisseurs algériens et étrangers. La démarche est d'agir avec volontarisme et simultanéité sur plusieurs leviers. Le principal est de bâtir notre tissu industriel autour des filières productives structurantes en stimulant les alliances intra et interfilières susceptibles de provoquer une remontée vers les segments à haute valeur ajoutée. C'est ce que nous avons appelé la ‘‘politique des filières''. Cela aura un effet démultiplicateur de création d'activités, d'emplois et de valeurs.» Cap sur les filières Le cap est donc mis sur les filières comme préconisé en 2007 dans l'avant-projet de Temmar portant «Stratégie et politiques de relance et de développement industriel», un document resté au stade d'avant-projet puisqu'Ahmed Ouyahia, à l'époque, l'avait reconnu en 2009 lors d'une sortie médiatique. «Pour cette stratégie industrielle, je vais être brutal, elle a fait beaucoup plus l'objet de communications que d'actions. Elle n'a jamais été adoptée en Conseil des ministres», avait relevé Ouyahia qui était à la tête de l'Exécutif. Même si cette stratégie n'a pas eu de cadre réglementaire, elle a fini par inspirer les ministres venus après Temmar dans plusieurs segments. La politique des filières en est un exemple. Pour le département d'Abdessalem Bouchaoureb, le développement des filières va permettre de passer du stade de simple fournisseur d'hydrocarbures bruts vers celui de producteur et d'exportateur de biens transformés. Et ce, avant de passer dans une seconde étape à la production de biens situés dans les segments aval de la chaîne des valeurs. Ainsi, l'on mise sur les filières motrices dont l'industrie du renouvelable, les industries chimiques et pétrochimiques et l'industrie du numérique. S'ajoutent également, selon les données recueillies auprès du ministère de l'Industrie et des Mines, les filières structurantes à caractère stratégique comme la sidérurgie et la métallurgie ; les liants hydrauliques ; l'électriques et l'électroménager ; la mécanique ; l'automobile & l'aéronautique ; la chimie industrielle et la pharmacie ; la construction et la réparation navale ; l'agro-industrie ; les THC (Textile-habillement-cuir) ; le bois et l'industrie du meuble. A titre illustratif, pour le ciment, il est prévu des capacités de 28 millions de tonnes en 2017, contre 10 millions de tonnes/an à partir de 2018 pour les produits sidérurgiques. En 2019, les projets en chantier porteront les capacités à 12 millions de tonnes/an. Faudrait-il aussi rappeler, comme nous le fera remarquer Lotfi Halfaoui, que certaines filières se sont développées en dehors de toute intervention étatique. Comment ? «En s'organisant quelque peu, à l'exemple des Boissons rafraîchissantes non alcoolisées (BRNA) et qui se sont vite retrouvées sur le marché de l'export alors que le reste des filières patauge», notera t-il, non sans soulever au passage les contraintes auxquelles font face certains opérateurs qui ont pourtant réussi à décoller sans l'appui de l'Etat. «Nous relevons que nos gouvernants, par facilité, n'hésitent pas à ‘‘ponctionner'' ces entreprises qui réussissent par l'entremise d'impositions nouvelles en lieu et place de facilitations et encouragements», regrette t-il, alors que du côté du gouvernement, on affiche la volonté de mise en œuvre de la politique des filières. Et ce, via l'amélioration du cadre réglementaire, de l'environnement de l'investissement, de l'appui aux PME et de la disponibilité du foncier. Justement, à propos de cette dernière question, Lotfi Halfaoui estime que beaucoup reste à faire : «Nous avons 1200 km d'autoroute Est-Ouest bordant en majorité des terres incultes prêtes à recevoir des milliers d'hectares de complexes industriels, de zones d'activité qui induiront la création de centaines de milliers d'emplois. C'est dire à quel point la question foncière est biaisée dans notre chère Algérie», résumera-t-il. Le CNI, un verrou ? C'est l'une des questions-clés de l'amélioration du climat des affaires promise par le gouvernement qui prévoit d'ici fin 2016 de finaliser la modernisation de l'ensemble du cadre réglementaire relatif à la politique d'investissement (nouveau code des investissements), de compétitivité (nouvelles lois sur la normalisation et la métrologie) et d'appui à la PME. Une manière de baliser le terrain aux investisseurs nationaux et étrangers. Mais faudrait-il que le Conseil national de l'investissement joue pleinement son rôle, de l'avis des experts. «Il est aberrant que le Conseil national d'investissement (CNI), censé booster le développement industriel et l'offre d'emploi dans le pays ne donne pas de suite favorable à des projets d'investisseurs nationaux. Le CNI apparait malheureusement comme un verrou administratif pour une institution qui a pour mission de drainer d'importants investissements industriels et lever toute contrainte à leur mise en œuvre, surtout vis-à-vis des nationaux», regrette encore M. Halfaoui, pour qui il faut beaucoup plus de mesures fortes et faciles à prendre et à mettre en œuvre rapidement pour que le code des investissements soit vraiment attractif. Sur ce point, le ministère de l'Industrie estime que la démarche est cohérente et mise clairement sur la promotion de l'investissement «désormais rendue stable et transparente tout en garantissant les droits des investisseurs et en promouvant l'IDE». Secteur public à réformer L'autre chantier sur lequel travaille également le gouvernement est la réforme des entreprises publiques en les transformant en groupes industriels autonomes, indépendants dans leur management et dans la prise de décisions stratégiques. En d'autres termes, le cap est mis sur l'institution d'un nouveau mode gouvernance plus propice à la rentabilisation des fonds publics injectés dans les entreprises à travers les plans de modernisation et de développement. Car, jusque-là, les plans d'assainissement n'ont pas donné les résultats escomptés faute d'un système de management performant. Une situation qui n'a fait que ralentir l'essor de l'industrie et affaiblir sa contribution dans la création de l'emplois. Une étude élaborée en 2015 par le professeur Rafik-Hassen Bouklia le montre clairement. La part de l'emploi dans l'industrie est passée de 17% en 1977 à 12,6% en 2014 . La même source note qe l'Algérie a moins de 10 points par rapport à l'industrie des pays de la région et elle a 4 points de moins par rapport aux pays producteurs de pétrole. C'est-à-dire que même avec les pays ayant les mêmes ressources, il n'y a pas d'alignement. En termes de productivité des entreprises du secteur, la productivité n'a évolué que 2, 55% en 40 ans (1974-2014). Autant d'éléments qui montrent l'ampleur du travail à accomplir pour remettre la machine industrielle sur les rails. Pour cela, l'Etat doit se désengager dans le secteur industriel et économique, de l'avis de M. Halfaoui qui conclura : «La mondialisation ne permet plus la réussite à des entreprises étatiques de par le monde, encore moins en Algérie. Plus vite nos gouvernants en seront convaincus, moins difficilement nous subirons les effets de la crise.»