L'Algérie demeure rongée par un haut niveau de corruption. L'Indice 2006 de perception de la corruption (IPC), établi chaque année par Transparency International (TI) et rendu public hier à Berlin et à travers le monde entier, lui a accordé la note de 3,1 sur 10. Celle-ci n'est certes pas la plus mauvaise puisqu'elle reflète quand même une légère évolution avec 0,3 point gagné par rapport à 2005 et 0,5 par rapport à 2003. Comme elle a permis à l'Algérie de sortir du carré noir des pays les plus corrompus au monde, sachant qu'avoir une note inférieure à 3 signifie, pour les personnes chargées de l'élaboration de l'IPC, l'existence d'un niveau de corruption extrêmement élevé. Sur 163 pays, l'Algérie est classée à la 84e place. Elle partage cette mauvaise position avec le Madagascar, la Mauritanie, le Panama, la Roumanie et le Sri Lanka. Si elle a surclassé la Syrie (93e), l'Ukraine (99e), l'Iran (105e), la Libye (105e), la Russie (121e) et le Nigeria (142e), l'Algérie se trouve toujours derrière des pays comme le Botswana (37e), la Tunisie (51e), la Namibie (55e), la Thaïlande (63e), le Liban (63e), l'Egypte (70e) et le Ghana (70e). L'Algérie était classée, l'année dernière, à la 97e place. L'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC), qui abrite la section algérienne de TI, estime que ce score reste négatif et confirme l'existence « d'un très haut niveau de corruption ». Dans une conférence de presse tenue hier à la maison de la presse Tahar Djaout, à Alger, Djilali Hedjadj, président de l'AACC, a bien souligné que « les trois points sur dix gagnés ne sont pas significatifs d'une amélioration dans la lutte contre la corruption, encore moins d'une volonté politique effective sur le terrain ». Pour le conférencier, cela traduirait plutôt « l'engagement de l'Algérie en matière de ratification des conventions des Nations unies et de l'Union africaine contre la corruption ». Mais même cet engagement n'a pas été traduit « par une transposition en droit interne conforme à ces conventions », précisera-t-il encore. Pour lui, la loi de la lutte contre la corruption, approuvée en février 2006 par le Parlement, « est désastreuse » du point de vue qu'elle ne contient aucune disposition contraignante quant à la déclaration de patrimoine. En plus de manifester des insuffisances, notamment en matière de contrôle des marchés publics, de la protection des « dénonciateurs ». Le président de l'AACC se dit « étonné » qu'« au moment où plus de 100 milliards de dollars ont été mis sur le marché, on constate l'absence inquiétante d'organismes de contrôle de cet argent ». Selon lui, les organismes existants sont actuellement soit « grippés », tels que la cour des comptes, soit « déstabilisés sous l'effet de la pression », comme l'Inspection générale des finances (l'IGF). D'après lui, un tel vide a ouvert la voie aux corrupteurs et aux corrompus afin d'étendre leurs activités. Outre ce fait, la nature, souvent urgente, de nombreux projets titanesques à réaliser, conjuguée aux pressions du président Bouteflika quant à la nécessité de respecter, voire écourter, au maximum les délais de réalisation, ont ouvert la voie du gré à gré aux organismes en charge de ces projets, sous le prétexte que les procédures réglementaires font perdre beaucoup de temps. Pour le président l'AACC, le fait que l'Algérie ait très peu de relations et un volume des échanges commerciaux dérisoire avec les dix pays les moins corrompus renseigne on ne peut mieux sur l'ampleur de la corruption. En effet, les six principaux partenaires de l'Algérie sont mal classés. L'Allemagne, la mieux classée, se trouve à la 16e place, la France 18e, les Etats-Unis 20e, l'Espagne 23e, l'Italie 45e et la Chine 70e. L'affaire de la société mixte algéro-américaine, Brown Root et Condor (BRD), qui concerne la surfacturation et la surévaluation de certains marchés, dont elle a bénéficié, est, pour Djilali Hedjadj, une preuve on ne peut mieux du niveau très élevé de la corruption en Algérie. Cela sans oublier les énormes scandales et les détournements au niveau des banques. Le président de l'AACC n'a pas hésité à citer d'autres exemples de corruption comme le nouvel hôpital d'Oran sur lequel il avait préparé un dossier qui devait être publié dans le rapport annuel de TI, mais pour avoir reçu de « sérieuses menaces », M. Hedjadj a décidé de le retirer. Aussi, le conférencier a évoqué ce qu'il appelle « la culture de l'infructuosité » des appels d'offres qui est, selon lui, « un véritable lit de gré à gré ». Le phénomène de la corruption a également gangrené le secteur de la santé. M. Hedjadj a cité l'exemple de l'importation des médicaments. « En 2005, l'importation des médicaments s'est élevée à 1,2 milliard de dollars, alors que selon un rapport de l'OMS, 300 millions de dollars suffisaient pour couvrir les besoins des Algériens en la matière », a-t-il indiqué comme pour dire qu'il y a anguille sous roche. Mais il estime, lui qui est également médecin de formation, que cette situation a été favorisée par l'absence d'une « politique pharmaceutique ». La santé n'est, cependant, pas le secteur le plus corrompu en Algérie, selon le rapport de TI, les secteurs des travaux publics, du bâtiment, de l'eau, du transport et de la défense nationale le sont aussi. Insistant sur ce dernier, le président de l'AACC a noté que l'Algérie a dépensé, ces trente dernières années, 20 milliards de dollars dans l'importation de l'armement, le dernier contrat de 7,5 milliards de dollars avec les Russes inclus. Il estime, par ailleurs, que la lutte contre ce fléau, qui ronge notre économie et notre société, nécessite « une grande mobilisation de la société civile » en conjuguant les efforts avec les secteurs économiques publics et privés et les pouvoirs publics. Il a également relevé le rôle de la presse dans cette entreprise. Dans ce contexte, le conférencier trouve « scandaleuse » la condamnation du quotidien arabophone Echourouk dans le procès intenté par le guide libyen, Mouammar Kadhafi.