Dans la rue ou sur les planches, il ne peut pas passer inaperçu, non pas parce qu'il est d'une corpulence imposante mais bien pour son engagement artistique qui fait parler de lui. Il s'impose dans le théâtre et il se fait une place dans le cinéma. L'appétit de Mohamed Yargui pour les arts est vorace, pourtant rien ne prédisposait ce jeune bougiote, ingénieur en agronomie, à s'engager dans le monde fabuleux de la création. Il aurait pu se suffire de l'amour de la terre, qui n'est pas moins créatrice. Mais non. Diplômé de l'université de Tizi Ouzou en 2000, il a rejoint le monde peuplé des chômeurs. L'amour de la terre est alors resté platonique. La soupape que lui propose un contrat de pré-emploi ne va pas au-delà du délai têtu de deux ans. «Fin de contrat !» lui a t-on dit, la réplique a fait tilt dans sa tête et … il en a fait un film : Ad van tifrat (au bout du tunnel). Sorti en 2006, il a décroché L'Olivier d'or au festival du film amazigh. Un coup de maître qui sanctionne deux ans de formation dans le domaine à la Maison de la Culture de Béjaïa. Sans le savoir, nos vieilles bonnes grand-mères ont nourri cette flamme pour la caméra. Entre 2001 et 2005, Mohamed Yargui a dispensé des cours d'alphabétisation au sein de l'association Alpha. Il y avait dans son auditoire des élèves du troisième âge pour lesquelles il a dû créer des récits. Si dans ses films domine le fait anthropologique kabyle, ces bonnes dames, véritables muses, y sont pour quelques choses. «Elles m'ont beaucoup donné» reconnaît le jeune cinéaste qui récidive avec un autre film, Houria, sorti en 2007. La même année il décroche l'Ahagar d'or au festival du film arabe d'Oran. Le dernier né, Ouhdagh kem (Je te promets) a séduit le public de la dernière édition des journées cinématographiques de Béjaïa. Sa filmographie fait place aussi au documentaire Murmures des fougaras (2011), projeté une seule fois à Tlemcen. Mais bien avant nos vieilles muses, il y a un fait déclencheur dans la jeunesse de Mohamed Yargui : très jeune, il accompagnait son oncle cinéphile à la cinémathèque Caravano de la ville. Le western de la toute première fois s'accroche dans sa mémoire et l'intérêt pour le grand écran l'accompagne au lycée Ibn Sina où il aidait à vendre les tickets pour les films du cinéclub. Mohamed Yargui a de l'énergie à revendre qu'il dégage généreusement aussi au théâtre. Depuis 2005, les rôles se succèdent : barah, bourreau, musicien, sultan, avocat, policier, vizir,… tous campés avec le même plaisir ressenti dans les dialogues en classe par le petit écolier timide qu'il a été. Aujourd'hui que la timidité est vaincue, il a «besoin d'être sur scène». Il s'y plaît. Et c'est le plaisir qui l'a fait aussi pizzaïolo, concepteur d'effets vidéo pour les représentations du TRB et animateur d'une émission hebdomadaire à la radio locale (Gouttelettes d'art). C'est vous dire que, insatiable et imposant comme un personnage sorti des romans de Hugo ou des pièces de Molière, Mohamed Yargui a une faim de loup qui dévore les arts.