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Dois-je faire appel au peuple pour financer un film sur mon père ?
Nacer Boudiaf. Auteur
Publié dans El Watan le 09 - 12 - 2016

Dans cet entretien, Nacer Boudiaf parle avec amour de son défunt père, Mohamed Boudiaf. Il revient sans détour et sans ambages sur le combat qu'il mène depuis des années pour faire la lumière sur l'assassinat de son paternel.
- Pourquoi avoir opté d'éditer votre livre Si Tayeb El Watani aux éditions Apopsix, en France, en 2011, avant de le rééditer en Algérie en juillet 2016 ?
En 2011, vu les circonstances que vous connaissez, j'ai été obligé de partir à l'étranger pour publier mon livre sur mon père, Mohamed Boudiaf, Si Tayeb El Watani. Ce qui est paradoxal, ce n'est pas tant de le faire à l'étranger, mais c'est de l'avoir fait dans un pays qui a colonisé le nôtre pendant 132 ans, et Boudiaf a été parmi les premières étincelles de la Révolution du 1er Novembre 1954, pour justement mettre fin au colonialisme.
En 2016 seulement, il m'a été possible de le publier en Algérie. Mieux, je vais vous donner un scoop. Alors que ses premiers compagnons du 1er Novembre, comme Ben Boulaïd, Krim Belkacem, etc. ont eu droit à un film en reconnaissance de leur poids et leur rôle dans la glorieuse Révolution du 1er Novembre, je me suis dit que peut-être Boudiaf méritait lui aussi un film pour ce qu'il a fait pour notre pays. Mais après avoir déposé le dossier auprès du ministère des Moudjahidine, à la Présidence et au ministère de la Culture il y a déjà des mois, je n'ai, à ce jour, reçu aucune réponse.
On fait le mort de ce côté-là. Faut-il que je me retourne cette fois-ci également à l'étranger, ou dois-je faire appel au peuple pour financer le film sur l'homme qu'il a tant aimé ? J'interpelle le ministre des Moudjahidine pour lui dire que le film se fera avec ou sans vous. L'histoire retiendra que vous avez refusez un film sur Si Tayeb El Watani. Faites un sondage d'opinion sur votre quotidien et attendons pour voir la réponse du peuple.
- C'est un livre de mémoire poignant dans lequel vous déversez votre colère contre ceux qui ont tué votre père en 1992, le président Mohamed Boudiaf...
C'est un livre poignant parce qu'il présente un homme simple, qui a fait avec des hommes simples l'une des plus grandes Révolutions du siècle passé. C'est un livre qui peut être lu comme un cri d'une incomparable injustice commise non seulement contre un homme, mais aussi contre un peuple qui avait renoué avec l'espoir avec le retour de cet homme en Algérie. Ceux qui ont préparé «l'acte isolé» ont commis un double crime, ils ont froidement et lâchement assassiné un homme, puis se sont permis de mentir au peuple.
Ce n'est pas un cri de colère contre seulement l'assassinat, mais c'est aussi un cri contre l'injustice et «la hogra», parce que le crime a été commis contre un homme qui a refusé depuis l'indépendance confisquée de faire partie de ce système. C'est un cri de colère parce que des personnes ont fait l'objet, il y a quelques mois, d'arrestation et le monde a levé des boucliers, alors qu'un homme assassiné en direct à la télévision, n'a pas connu le même soutien. Où va l'Algérie ?... reste toujours une devinette.
- Justement, pourquoi avoir attendu autant d'années pour consacrer un livre sur l'histoire tragique de cette figure de proue de la Révolution algérienne et président de la République algérienne ?
C'est une question pernicieuse qui laisse croire que je n'ai rien fait, ni rien dit durant toutes ces années et attendu ce jour pour l'éditer. Non, je suis formel sur cet aspect qui fait partie du complot contre Boudiaf. Le jour-même de l'enterrement de Si Tayeb El Watan, j'ai déclaré au Journal Télévisé du 20 heures en direct que ceux qui l'ont ramené sont ceux qui l'ont assassiné. Je n'ai pas été poursuivi pour diffamation. Donc, mon accusation a été acceptée par ceux qui l'ont ramené.
Depuis son assassinat, j'ai interpellé tout le personnel politique de l'époque, c'est-à-dire le chef de l'Etat qui lui avait succédé, le Premier ministre, le ministre de la Défense, le ministre de l'Intérieur, le ministre des Moudjahidine, le secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine, etc. Aucune réponse à ce jour.... Toutes les lettres ouvertes adressées à ces responsables, les articles sur «l'acte isolé», sont là comme preuve matérielle et historique du double crime commis contre Boudiaf, le crime d'assassinat, puis le crime de l'oubli... Mais le peuple ne l'a jamais oublié et ne fait que demander justice, mais le système fait semblant de ne pas entendre...
- Vous n'avez pas été tendre à l'égard de certaines personnes influentes du pouvoir qui, rappelons-le, sont restées muettes à la suite de vos accusations ?
Non, je n'ai pas été tendre avec ceux qui sont restés muets, comme le disait Jean-Paul Sartre : «Je déteste les victimes quand elles respectent leurs bourreaux.» Les assassins ont-ils été tendres avec mon père en lui vidant un chargeur dans le dos et une balle dans le thorax ? Qui a démissionné pour ne pas cautionner l'assassinat ? Personne. Qui a été limogé pour avoir laissé le chef de l'Etat faire l'objet d'un «acte isolé» ? Personne. Demandons au peuple s'il faut être tendre avec les assassins de l'espoir et ceux qui ont cautionné le lâche assassinat par leur mutisme...
- Vous avez toujours exigé la révision du procès en toute transparence et en toute souveraineté sachant que vous refusez la théorie de l'acte isolé. Dans le cas contraire, vous serez contraint de recourir à la justice internationale...
En fait, je ne demande pas la révision du procès parce qu'il n'y a pas eu de procès. Faites un sondage populaire et le peuple vous répondra. Ce que je demande à vrai dire, c'est un réel procès avec une réelle défense de l'assassin et... une réelle défense de la partie civile. Ce n'est qu'avec un réel procès sur l'assassinat de Boudiaf que l'Algérie tout entière renouera avec la crédibilité de la justice et c'est la crédibilité de la justice qui fait la différence entre les nations. Partir à l'étranger pour demander justice revient soit à accepter la «main étrangère», soit à accepter l'injustice. Non, le peuple qui a accepté le sacrifice de plus de sept ans de guerre sans merci et un million et demi de martyrs est bien capable de se faire justice chez lui.
- Vous avez toujours aspiré à relancer le Rassemblement patriotique national(RPN), parti politique fondé par votre défunt père Mohamed Boudiaf. Qu'en est-il de ce projet ?
Oui, j'ai bien l'intention de relancer le RPN que je nommerai le Rassemblement national (RN), avec comme devise : «L'Algérie avant tout». Une devise simple, mais porteuse de sérénité, de courage, de bon sens, de sacrifice, de nationalisme, d'intégrité, de vision et de projection vers l'avenir : tous des éléments qui ont fait, font et feront défaut au personnel politique algérien, tant qu'il continue à vivre avec le faux, pour le faux en allant toujours vers le faux.
Avec la même plateforme du RPN retouchée et qui demandera à ceux qui voudraient suivre la voie de Boudiaf de contribuer à l'enrichir. Un appel est déjà prêt et j'attends le moment opportun pour le lancer au peuple. Enfin, j'espère que cette interview sera publiée telle je l'ai faite, à cœur ouvert.


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