Si Sellal monte au créneau pour défendre son bilan, c'est qu'il est sérieusement mis à mal. Derrière le devoir de s'expliquer devant l'opinion publique, il y a une carrière — ou ce qu'il en reste — à sauver. Une carrière cependant qui, après avoir connu une fulgurance atypique, semble avoir atteint ses limites puisque les milieux politiques autorisés n'évoquent plus son nom dans la liste des candidats potentiels à la succession présidentielle. Si à un certain moment, il était effectivement donné par des «experts internationaux» comme partant pour cette succession qui sera probablement tranchée au terme d'un quatrième mandat de Bouteflika plutôt poussif, il n'est aujourd'hui cité que comme un «fidèle du clan présidentiel» dont l'ambition s'arrête à la gestion des affaires courantes. La courbe descendante du Premier ministre apparaît ainsi de plus en plus perceptible aux observateurs avertis qui ne le considèrent désormais que comme un simple pion sur l'échiquier politique, là où le sérail s'implique en cercle fermé dans les grandes décisions engageant l'avenir du pays et, bien sûr, ayant un rapport direct avec la forte personnalité qui aura l'immense privilège de diriger les destinées de la nation. Dans cette optique, les jeux restent encore ouverts et certainement imprévisibles, bien que les Algériens n'arrivent toujours pas à entrevoir le profil idéal du prochain postulant capable d'être plébiscité pour cette lourde tâche. Il faut dire que l'élection d'un président de la République n'a jamais été une affaire véritablement transparente en Algérie. Encore moins le résultat d'une consultation populaire «propre et honnête» tant celle-ci a de tout temps été l'objet de manipulations et entachée d'irrégularités. On se rappelle, à l'instar de celles qui avaient prévalu pour tous les présidents installés avant lui, les conditions très complexes dans lesquelles Bouteflika avait été élu (désigné ?) pour engager son premier mandat. Six candidats et non des moindres, représentant notre paysage multipartiste dans sa diversité, s'étaient brutalement retirés de la course la veille du scrutin — une fait inédit dans nos annales électorales — pour protester contre la fraude qui allait sévir et faire sortir de l'urne «l'homme du consensus» sur lequel le choix des décideurs s'était porté. Toute l'organisation électorale — administrative, technique, médiatique — n'était (et est restée à ce jour) qu'une mise en scène pour aboutir à un résultat programmé à l'avance. La caution de l'armée étant à l'époque encore très dominante pour «placer» le prétendant qui correspondait le mieux à ses exigences, à sa vision. Et quitte à discréditer le processus démocratique, la «grande muette» ne s'est jamais départie de son rôle de tuteur incontournable concernant la désignation du chef de l'Etat, même en partageant cette prérogative avec un «pouvoir civil» plaidant pour une méthode plus démocratique, lequel cependant n'a, à ce jour, pas encore saisi exactement sa part de responsabilité ou d'influence dans cette partie d'échecs où le rapport de force reste difficilement conciliable. Bien qu'elle soit donc «retournée aux casernes», l'armée conserve intacte son emprise sur l'élection du président de la République et, à ce titre, tout porte à croire que si le futur postulant doit impérativement être un produit du système, rien n'indique qu'une unanimité dans les rangs de l'institution militaire se dégage déjà au profit de la promotion du Premier ministre qui aurait perdu, en raison de ses approches tatillonnes, une part importante d'estime qu'il avait auprès de cette dernière. Pourtant, on ne peut pas dire que Sellal soit resté inactif pour mériter les honneurs. A la tête du gouvernement, en plus de son travail technocratique, il s'est mis souvent, lorsque les occasions s'y prêtaient, dans la peau d'un «présidentiable» aguerri qui pourrait bien être l'homme des équilibres entre les clans tant recherchés, tout en promettant la fidélité à un système qui lui a souri jusque-là. La séquence de sa visite aux Etats-Unis ponctuée par une photo de famille avec les Obama résume à elle seule la projection qu'il s'était tracé dans sa tête. Sans jamais la déclarer ouvertement, de peur d'être déclassé avant l'heure, il aurait, selon son proche entourage, aiguisé une réelle ambition présidentielle en se considérant comme un candidat ne partant pas dans l'inconnu compte tenu de son «expérience» et qui aurait donc des atouts non négligeables pour tenter sa chance. Sauf que la succession n'a rien avoir avec la chance ni avec le tempérament de gagneur si on pense l'avoir. Elle obéit à d'autres critères établis dans le plus grand mystère et qui vont au-delà de la stature. Faut-il croire que Sellal lui-même ne fait plus confiance à son étoile et cède déjà au pessimisme ? Il y a des signes qui ne trompent pas à son égard. Depuis quelques mois, le Premier ministre volontaire et visiblement audacieux, qui avait pris les rênes de l'Exécutif avec le ferme engagement de transformer le visage de l'Algérie, a laissé progressivement place à un homme gagné par la lassitude et un certain sentiment de fatalisme. Il a gardé son sourire en coin, mais on sent que sa politique populiste ne porte plus et ne lui sert plus de tremplin. La crise que traverse le pays est certes un adversaire qui ferait redouter les plus téméraires, mais sur son visage fatigué se lit une perte de confiance, une prise de conscience de sa part que sa cote a baissé. A le voir désormais ciblé dans son propre camp, on comprend mieux les raisons de son abattement, surtout lorsque les coups les plus durs viennent du côté où il les attendait le moins. Mais c'est de bonne guerre et le Premier ministre sait qu'il n'a jamais été seul dans la compétition. Son frère-ennemi, le directeur de cabinet de la Présidence, est lui aussi dans la même interrogation. Pensera-t-on à lui ? Sans se faire trop d'illusions, Ouyahia pense qu'il n'est pas encore temps pour lui de dévoiler ses cartes, même si tout le monde sait qu'il cache mal son ambition de prendre la place de Bouteflika. Il lui faut pour cela la bénédiction des Tagarins, qui est loin d'être acquise. Devant la désolation et l'assèchement du personnel politique dans lequel les partis de l'opposition ont leur part de responsabilité, la perspective de la présidentielle reste plus que jamais une affaire de spéculations, mais dont le sort est réglé à huis clos.