Le procès de Saddam Hussein a mis à nu les failles d'un pouvoir qui tient sa légitimité de la seule volonté des occupants américains. Le procès de l'ex-président irakien Saddam Hussein, ouvert sous les sunlights des télévisions du monde entier, contraste singulièrement avec la modestie, -de fait le secret-, avec laquelle s'est effectué le transfert de «souveraineté» au gouvernement intérimaire irakien lui-même nommé par l'autorité provisoire de la coalition (CPA) qui s'est auto-dissoute quelques heures après une «fin de mission» qui n'en était pas une, suivie du départ précipité de l'ancien administrateur en chef américain Paul Bremer. Officiellement donc, le gouvernement provisoire de Iyad Allaoui assume désormais le pouvoir en Irak. Celui-ci s'est donné, en guise d'intronisation, -et sans doute pour conjurer le sort-, d'instruire le procès de celui par qui tous les malheurs de l'Irak sont arrivés. De fait, la grandiloquence même avec laquelle ce procès avait été mis en scène, met, a contrario, en lumière, comme le soulignait fort pertinemment le héros du jour, -Saddam Hussein- l'illégitimité irréfragable autant du tribunal spécial irakien (TSI, créé par l'ex-coalition des puissances occupantes pour juger Saddam et les anciens dirigeants irakiens) que du gouvernement intérimaire appelé à rendre la justice et le droit dans un pays qui en a été privé durant le long règne du régime baassiste. En privilégiant ce qui apparaît comme un règlement de comptes à la sérénité que lui impose sa future tâche, le gouvernement provisoire irakien fait une entrée en matière à tout le moins ratée qui, par ses décisions, rappelle plus les méthodes répressives honnies de celui pour lequel il a organisé un procès à grand spectacle, que le souci d'apaiser la tension qui pèse sur l'Irak par des mesures qui rassemblent. Saddam Hussein doit être jugé pour ses crimes, cela ne fait aucun doute, mais il semble bien que ce n'est pas là l'urgence de l'heure, ni en fait le moment opportun pour le faire dans un Irak en proie à la violence et à la division et victime de toutes les démesures. Hier encore des attentats ont endeuillé le pays avec l'assassinat de cinq gardes nationaux irakiens. Or, le gouvernement provisoire de Iyad Allaoui, lui-même ancien agent de la CIA, et nommé à son poste par l'ex-coalition, conscient de son déficit de légitimité voulait frapper fort en mettant en avant-scène un procès surfait et fabriqué. De fait, ce gouvernement dont la souveraineté n'est que nominale, -le fait que ce sont des Irakiens qui le dirigent ne lui confère en droit aucune légitimité du fait même que seul le peuple est source de légitimité et de souveraineté-, n'a pas le pouvoir de juger les citoyens irakiens et encore moins les condamner à mort, comme semble être le sort réservé à Saddam Hussein, comme le clame volontiers le ministre intérimaire de la Justice, Malek Dohane Al-Hassan. Il est patent que le gouvernement provisoire de MM. Al-Yaouar et Allaoui avait d'autres priorités et surtout d'autres voies pour établir cette légitimité qui reste déficiente car n'émanant pas du peuple irakien. Désormais en première ligne, le gouvernement transitoire irakien sait que la seule «légitimité» qu'il détient est celle que lui confère la présence des armées d'occupation américaine et britannique, qui sont encore en Irak pour au moins cinq ans, comme le confirma, vendredi, le chef d'état-major interarmées américain, Richard Myers, qui admettait que le contingent américain fort de 145.000 soldats séjournera pour une longue période en Irak, au moins « cinq ans » précise-t-il, au moment où Londres, dont les contingents sont stationnés dans le sud de l'Irak, cherche à étoffer sa présence militaire dans ce pays. Il est donc pour le moins absurde de parler de souveraineté pour un pays toujours militairement occupé, dont la sécurité dépend de contingents militaires étrangers et lorsque des compagnies pétrolières américaines qui ont la mainmise sur la production énergétique. Le gouvernement provisoire irakien a donc tout d'un gouvernement fantoche et la précipitation mise à faire juger Saddam Hussein, -symboliquement remis aux Irakiens, le mercredi, est présenté devant le juge vingt-quatre heures plus tard, le jeudi- cache mal le déficit de souveraineté et de légitimité d'une équipe qui donne l'impression d'être plus soucieuse d'asseoir son pouvoir et son ascendant sur le peuple irakien. Le fait même que l'illustre prisonnier irakien est toujours gardé par des geôliers américains et tenu au secret dans une prison gardée secrète par les Américains en dit long sur la bataille de légitimité que les hommes (intérimaires) d'un pouvoir (provisoire) ont encore à mener pour faire oublier qu'ils ne sont que les hommes liges de la toute puissante Amérique.