Petite promenade dans le marché aux oiseaux de Biskra qui fait le bonheur des marchands et des passionnés de volatiles. Sofiane a 21 ans. C'est un jeune de Biskra encore imberbe qui n'a jamais voyagé, ni lu la légende d'Icare ou les tentatives de voler dans les airs d'Abbes Ibn Fernas, ou même vu Birdy, film de 1984 réalisé par Alan Parker, mais le rêve qui le hante le plus est d'avoir des ailes. Exclu de l'école à 17 ans, il suit une formation en froid et systèmes frigorifiques dans un institut de formation «pour faire plaisir à ses parents», précise-t-il. En vérité, son ambition est d'avoir un magasin de produits et de matériel pour l'élevage d'oiseaux ; il faut dire que les boutiques dédiées à cette activité pullulent à Biskra. Profondément attaché à ces animaux volants auxquels il voue un culte sans commune mesure, il a souvent des accrochages avec son vieux père et ses frères aînés qui voient d'un mauvais œil son activité quotidienne exclusivement dévolue aux volatiles. On l'appelle «Titi», du célèbre dessin animé Titi et gros minet où un canari ingénu et intelligent défait à chaque fois les manigances et les stratagèmes d'un chat rusé voulant le dévorer. Il habite le quartier populaire de Sidi Barket où la malvie suinte des murs et où se cristallisent tous les maux sociaux générés par une urbanisation échevelée et anarchique. «Ils pensent que je perds mon temps et que je suis un peu fou sur les bords parce que la maison est remplie de cages et que ce qui m'intéresse le plus est de m'occuper de mes canaris que j'achète et revends. Je gagne honnêtement ma vie. Mon rêve est d'avoir des ailes pour voir le monde d'en haut et m'échapper dès que l'envie m'en prend», confie-t-il avec une sincérité déconcertante. Apparemment, notre Titi n'est pas le seul à aimer les oiseaux à Biskra. Un espace pittoresque à visiter Ils sont des centaines venus de toute la wilaya et même de Batna, M'sila, Khenchela et El Oued à se retrouver chaque vendredi au Marché des oiseaux qui se tient sur la place Youcef Lamoudi (ex-Place Lavigerie) ouvrant sur la rue de la Liberté (ex-rue Berthe), laquelle est interdite et inaccessible aux automobilistes à cette occasion. Singularité attractive de la ville de Biskra, le marché aux oiseaux qui rassemble chaque vendredi matin les amoureux de volatiles de toutes espèces est en pleine expansion eu égard au nombre de marchands et de visiteurs qu'il reçoit. En effet, chaque semaine, des dizaines d'éleveurs d'oiseaux, d'oiseleurs et d'ornithologues en herbe se donnent tacitement rendez-vous pour échanger, acheter, vendre ou simplement admirer les oiseaux, ces petites créatures auxquelles visiblement ils vouent un culte étonnant et atypique. Les cages sont de sortie. Posées à même le sol ou portées à bout de bras, elles sont équipées de tous les accessoires nécessaires, comme les balançoires, mangeoires, nids artificiels et perchoirs. Dans un brouhaha dont seuls les souks arabes ont le secret, on marchande, on discute, on valorise les qualités lyriques et les couleurs de tel ou tel emplumé. La journée est belle. Le soleil toujours au rendez-vous tempère les rigueurs de l'hiver. L'ambiance est doucereuse et rythmée par les chants d'oiseaux. On jase, gazouille, piaille, roucoule, pépie, glougloute et babille sans modération ni avarice. On se croirait dans un parc ornithologique réunissant les plus beaux spécimens d'oiseaux que la création ait pu enfanter. Certains affirment qu'ils aiment les oiseaux plus que leurs propres enfants. «Ces créatures ne mentent pas, ne volent pas, ne trahissent pas. Elles vivent leur vie éphémère et précaire en donnant leur beauté et leurs chants sans contrepartie ni duplicité ou jalousie», exagère un revendeur volubile autour duquel s'agglutinent des clients aux regards admiratifs. Une activité lucrative L'attraction du jour est une paire de poules d'Inde sans plumes, au corps recouvert d'un duvet blanc attirant la curiosité de tous qu'un agriculteur de Meziraa a ramenées d'Abu Dhabi. Evidemment, l'espèce la plus présente sur ce marché est celle des canaris revendus à l'unité ou en couple. Les prix varient de 3000 à 15 000 DA selon la couleur, les qualités lyriques et l'âge du spécimen. Les tractations vont bon train et chacun semble y trouver son compte. On vante les mérites de ses oiseaux et on indique qu'ils ont été ramenés d'Espagne par la frontière ouest. Les autres espèces d'oiseaux ne sont pas en reste. On trouve des centaines de pigeons, de perruches, de perroquets, de serins, de chardonnerets, de verdiers, d'oies, de canards, de poules arabes (poules de ferme et non de batterie) et d'autres passereaux constituant le plus important taxon d'espèces aviaires. Il y a aussi des éperviers et un aigle dont le commerce est interdit. Bigarré et grouillant de monde, le Marché des oiseaux de Biskra fait le bonheur de Titi et de ses homologues et confrères amoureux des oiseaux. Vers midi, Titi rentre chez lui, heureux d'avoir vendu 8 canaris et acquis une paire de perruches à un prix raisonnable. Les oiseaux sont-ils nés pour vivre en cage ? «L'homme est ainsi fait qu'il emprisonne ce qu'il aime. Je ne voudrais pas relâcher mes oiseaux dans la nature. Ils ne survivraient pas une journée tant les dangers sont nombreux. Je préfère les bichonner dans leurs cages et passer des heures à les écouter chanter et à les regarder virevolter au lieu de traîner dans rues ou de trafiquer dans la revente de drogue et des pilules de psychotropes», répond-il nonchalamment mais avec une étonnante maturité.