Un hémicycle déserté par des députés plus intéressés par les prochaines législatives et une retraite dorée que par la défense des intérêts de ceux qui les ont élus. Qu'ils soient de gauche, de droite ou du centre, ils pointent du doigt la composante de l'actuel Parlement, issu des législatives de 2012 marquées par le mélange de la politique et de l'argent. L'absence des députés aux dernières plénières de l'Assemblée reflète la piètre image qu'ils donnent du pouvoir législatif qu'ils incarnent… Il est 10h en ce dernier jour du mois de janvier et les sièges de l'hémicycle de l'Assemblée nationale sont toujours vides. Dans le hall, quelques députés sirotent tranquillement thé et café, en discutant sous un nuage de fumée de cigarettes. Ils ne se soucient guère du signal sonore strident qui agresse les oreilles pour annoncer le début des travaux de cette dernière plénière de l'Assemblée consacrée au vote de quatre projets de loi. Ils n'ont plus la tête aux débats. La course aux prochaines législatives et les départs à la retraite constituent leurs principales préoccupations. Déjà midi, et dans la salle le quorum n'est toujours pas atteint, alors que les couloirs et le hall de l'hémicycle commencent à grouiller. Les députés arrivent par petits groupes. Nonchalants, ils passent par le comptoir de la cafétéria, devenu le lieu de discussion privilégié, notamment avec les journalistes, et prennent tout leur temps pour se saluer, échanger les dernières informations, fumer quelques cigarettes avant de rejoindre bien tranquillement leurs sièges à l'intérieur de la salle. 12h30, seulement un tiers des députés ont pris place. Le ministre des Finances, Baba Ammi, a déjà entamé l'exposé des motifs du projet de loi sur le règlement budgétaire pour l'année 2014. Il peine à articuler les mots de son intervention très technique et pleine de chiffres. En face, les députés sont ailleurs. ça discute de partout et les va-et-vient deviennent incessants. Le nombre de sièges vides diminue, aussi bien dans l'aile droite que dans l'aile gauche, ou au centre. Certains députés discutent, consultent leurs téléphones, envoient des SMS et d'autres lisent discrètement la presse. Rares sont ceux qui suivent le discours du ministre. Visiblement le plaidoyer de Baba Ammi, pour un meilleur contrôle du fisc, ne semble pas intéresser outre mesure les députés, appelés à la rescousse pour obtenir le quorum. Perturbé par le brouhaha dans l'hémicycle, le ministre s'énerve. Il s'arrête pour mettre le holà : «S'il vous plaît, un peu de silence…», lance-t-il à l'adresse d'un parterre qui a la tête ailleurs. Jamais une fin de législature n'a connu un tel désintéressement. La plénière de lundi clôt ses travaux avec 40 députés La veille, lors des débats sur le même projet de loi, sur les 88 députés inscrits pour intervention, 27 se sont retirés et une trentaine ont déposé leurs remarques par écrit pour ne pas être obligés d'assister. La plénière s'est d'ailleurs terminée avec 20 députés de l'opposition et 19 de la majorité. Pourquoi une telle démission alors que le mandat de cette législature n'a toujours pas expiré ? Les députés avec lesquels nous nous sommes entretenus sont unanimes à reconnaître cette situation de «laisser-aller» due, selon eux, aux conditions dans lesquelles les élections de 2012 ont eu lieu. «Cette législature a vu l'arrivée de députés qui n'ont aucun contrat moral ni des obligations envers la population. Ils sont là pour leurs propres intérêts. C'est une réalité que personne ne peut nier. Que vont-ils faire ici maintenant, alors qu'ils savent que dans quelques jours leur mandat prendra fin ? Ils sont en train de courir pour s'assurer une place sur une liste», affirme Lakhdar Benkhellaf député du parti El Adala. Pour lui, le mode de fonctionnement de l'Assemblée «ne favorise pas» l'émergence d'une force parlementaire indépendante. «Lorsque le bureau de l'APN refuse des propositions de loi, écarte certaines questions orales ou écrites et rejette tout amendement venant des députés, que laisse-t-on à ces derniers ?» demande-t-il. Vice-président de l'APN, Saïd Lakhdari, député FLN de Tizi Ouzou, s'offusque de cet absentéisme des parlementaires lors des travaux. «C'est inimaginable. Lors de la plénière de mardi, j'ai été obligé de prendre la parole pour dénoncer cette situation de démission. Mais en vain. Les députés ont la tête ailleurs», lance-t-il. Plus modéré, le député RND, Salah Dkhili, vice-président de l'APN, reconnaît le désintéressement des parlementaires, mais explique que «cette tendance est due au fait que la législature arrive à sa fin. Nous sommes à la veille des législatives, c'est tout à fait normal que les députés s'absentent pour se préparer à ce rendez-vous. Certains doivent aller dans leurs wilayas d'origine pour préparer les documents nécessaires à la constitution du dossier de candidature ou de retraite, et d'autres doivent courir pour s'assurer un débouché après leur fin de mandat», révèle le député. Président du groupe parlementaire du Parti des travailleurs (PT), Djelloul Djoudi refuse de mêler les députés de sa formation aux autres. «Notre groupe a assumé son mandat pleinement. Lors des deux dernières plénières, nos députés étaient les rares à intervenir et à débattre des projets de loi. Ils ont fait de nombreuses propositions et n'ont jamais déserté l'hémicycle», déclare M. Djoudi. Pour lui, cette législature a été marquée par «le mélange de l'argent et la politique. Cela a donné cette Assemblée qui a voté des lois extrêmement graves, comme la loi de finances 2016, la loi sur l'investissement, celle sur la retraite, etc. qui remettent en cause les acquis sociaux des citoyens. Rien que le contenu de ces textes vous donne une idée sur ceux qui les ont votés. Je ne pense pas que cet absentéisme soit le fait de la course aux prochaines législatives ou au départ à la retraite. Nous avons suffisamment de temps pour cela. Un mandat doit être respecté jusqu'au bout. C'est ce que nous avons toujours fait au PT». Président de la commission finances à l'Assemblée, Mahdjoub Bedda, député FLN, pointe du doigt la composante même de l'Assemblée, issue des dernières législatives. «Les élections de 2012 ont charrié un large spectre de personnes à l'APN. Cela va des ignorants jusqu'aux intellectuels, en passant par des militants engagés et des candidats malhonnêtes qui travaillent pour leur propre intérêt, même pas pour celui de leur parti», déclare Bedda. Il insiste beaucoup sur les législatives de 2012 marquées, selon lui, par l'argent sale et le système de quotas. «Le recours à l'argent pour acheter les sièges et l'obligation d'un quota de femmes a eu des conséquences néfastes sur le choix des candidats. Dans beaucoup de wilayas de l'intérieur du pays, la qualité n'était pas le souci majeur, parce qu'il était difficile de trouver des candidates, mais aussi des candidats qui acceptent d'être en sixième ou septième position sur une liste. En bout de course, on s'est retrouvé à faire du remplissage. Aujourd'hui, beaucoup sentent la fin approcher. Ils désertent pour prendre le temps d'assurer l'après-mandat. Ils savent que ce sont les derniers projets de texte de loi», révèle Mahdjoub Bedda. 120 dossiers pour une pension de retraite allant de 75 000 DA à 310 000 DA Démissionnaire de son parti le Front des forces socialistes (FFS), le député Ahmed Betatache estime, pour sa part, que l'absentéisme des parlementaires lors des débats «n'est pas nouveau», cependant, «il a pris de l'ampleur» durant cette législature. «Habituellement, à l'approche de la fin de mandat, les députés tentent d'arracher des choses pour les citoyens. Ils dénoncent et viennent en force. Ils ne quittent l'hémicycle qu'une fois la convocation du corps électoral lancée. Cette fois-ci, c'est vraiment désolant. Lors de la plénière de lundi, les travaux ont fini dans une salle presque vide. Certains sont déjà dans la préparation des prochaines élections. D'autres préparent leur retraite», nous dit-il, d'un ton plein d'amertume. Lui-même ne sait plus quoi faire et l'idée de prendre sa retraite, à 42 ans, lui trotte dans la tête. Il n'est pas le seul dans ce cas. Bon nombre de députés savent que la prochaine législature verra l'arrivée d'au moins 80% de nouveaux élus. «La course sera très rude pour bon nombre de députés qui veulent revenir, notamment avec les nouvelles dispositions de la loi électorale», révèle un député indépendant. Visiblement, une bonne partie des parlementaires s'empressent de déposer leur dossier de retraite. Au bureau de l'Assemblée, affirme un député, au moins 120 dossiers sont déjà à l'examen. «C'est la meilleure sortie pour un député, même s'il n'a fait qu'un seul mandat. Le système de retraite de l'Assemblée permet de sortir avec une pension partielle minimum de 75 000 DA, elle peut être totale au bout de deux mandats, avec un montant de 310 000 DA. Une aubaine que de nombreux députés préfèrent prendre au lieu de miser sur une course aux élections qui peut leur être fatale», explique un député sous le couvert de l'anonymat. Soulever la question de la retraite avec les parlementaires s'avère aussi difficile que compliqué. Les députés restent discrets et évitent de parler de leurs revenus ou même de leur retraite. En tout cas, la majorité des parlementaires ont marqué par leur désintérêt total des travaux de l'Assemblée, alors que leur mandat n'a pas encore pris fin, puisqu'ils doivent attendre les réponses des ministres auxquels ils ont posé des questions orales. Ce comportement reflète une piètre image des représentants du peuple, dont le mandat est de défendre jusqu'au bout les intérêts de ceux qui les ont élus.