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APN : Les députés veulent monnayer cher leur soutien
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Publié dans El Watan le 15 - 12 - 2014

Les députés de la septième législature ont voulu marquer cette fin d'année d'une manière un peu spéciale. Les locataires de l'hémicycle de Zighoud Youcef sont montés au créneau pour demander la prise en charge d'une série de revendications. Le point fort de ces doléances résumées dans une proposition de loi pour modifier et compléter la loi 01/01 du 31 janvier 2001 portant statut du député concerne la revalorisation des salaires. Il s'agit aussi de faire bénéficier les députés de la retraite du Fonds spécial de retraite (FSR), et ce, quels que furent leurs statuts antérieurs.
Cette sortie non encore officielle selon les dernières déclarations du ministre des Relations avec le Parlement, Khalil Mahi (selon lequel le Bureau de l'APN n'a rien reçu en ce sens) a suscité moult réactions, que ce soit dans la rue, sur les réseaux sociaux, chez les experts, au sein-même de l'Assemblée ou de la part d'anciens députés. Les critiques et les accusations n'ont pas manqué à ce sujet. Les commentaires sont virulents. Et ce, d'autant que les députés remettent sur le tapis ce dossier dans une conjoncture économique difficile marquée par la dégringolade des cours de l'or noir.
Les interrogations sont également nombreuses sur le rôle que jouent les députés, notamment en cette période où les solutions pour la prise en charge des revendications socioprofessionnelles dans différents secteurs et pour la diversification de l'économie se font attendre. «Que font les députés pour apporter leur contribution dans le débat économique, politique et social ?» s'interroge Ryad, fonctionnaire avant de poursuivre en guise de réponse. «Rien ! Ils ne font qu'applaudir les lois proposées par le gouvernement. Au lieu de demander le contrôle des dépenses publiques et de proposer des solutions pour faire baisser le rythme du train de vie de l'Etat, ils réclament une hausse de leurs salaires. C'est vraiment inconcevable.»
L'avis de Ryad reflète la perception que se fait généralement la société sur le rôle des parlementaires qui sont par définition des élus du peuple appelés à participer au travail législatif et au travail de contrôle du gouvernement. Or, sur le terrain, ces députés qui coûtent cher au Trésor public sont quasiment absents. «Ils s'occupent beaucoup plus de leurs affaires personnelles que des préoccupations des citoyens qu'ils sont censés représenter», nous dira pour sa part Lynda qui s'interroge dans le même sillage sur le nombre des propositions émanant de la chambre basse dans l'intérêt des populations.
D'autres ironisent sur le fossé existant entre le niveau scolaire des députés et le niveau des salaires et des indemnités perçus, à l'image de cet internaute qui commentera : «A l'augmentation des salaires, une augmentation du niveau scolaire aussi serait appréciable. Car, effectivement, si on analyse bien les Chambres parlementaires, les niveaux d'études de nos députés laissent vraiment à désirer». Cela pour dire que les députés sont loin d'être soutenus dans cette démarche «eu égard à leur rendement».
Des salaires équivalents à ceux des cadres supérieurs et des ministres
La revendication liée au salaire ne fait pas le consensus au sein du Parlement. Certes, elle émane de la majorité écrasante, le FLN en l'occurrence, mais elle est «rejetée» par d'autres partis siégeant à l'Assemblée. C'est le cas du Front des forces socialistes (FFS) dont un communiqué rendu public à cet effet affiche sa désapprobation à cette doléance.
«Le groupe parlementaire du FFS à l'APN n'est associé en aucune manière et d'aucune façon à cette initiative. Les députés du FFS ne revendiquent aucun privilège et n'ont rien signé», indique le communiqué du parti d'Aït Ahmed rendu public récemment. Même son de cloche chez le Parti des Travailleurs. «Nous avons dénoncé la démarche adoptée et le contenu de la mouture», nous dira à ce sujet le député Smaïl Kouadria qui parle de «revendications inopportunes et exagérées» et qui fustige par ailleurs le FLN, le RND et certains indépendants étant, selon lui, à l'origine de cette demande. Un communiqué se démarquant de ces doléances a d'ailleurs été rendu public par le parti de Louiza Hanoune via le Secrétariat du bureau politique (SBP). «Le PT ne saurait s'associer à cette initiative provocatrice dénuée de toute morale politique, ces députés légiférant pour leurs propres intérêts restreints, ce qui est contraire aux missions du député telles que définies par la loi», est-il écrit dans ledit document.
Pour le PT, «cette proposition de loi intervient à la veille d'un rendez-vous politique de premier ordre, à savoir la réforme constitutionnelle. Comme en politique il n'y a pas de hasard, cette initiative honteuse s'apparente clairement à un chantage odieux et intolérable de la part des initiateurs, tout comme cela a été le cas pour l'augmentation de 2008 à la veille de la révision constitutionnelle».
Le PT souligne par la même occasion la nécessité de doter le pays d'une véritable représentation nationale «débarrassée de l'argent sale et des affaires», par l'organisation d'élections législatives anticipées réellement démocratiques.
Du côté du FLN, le dossier est vu autrement. Mahdjoub Bedda, président de la commission de l'Education, juge tout à fait normale la proposition de son parti. «Les députés sont des élus du peuple. C'est normal qu'ils réclament plus de considération en se comparant aux autres cadres de la Nation. Il faut voir l'institution qu'ils représentent. Il s'agit d'une institution législative. Réévaluer les salaires et les aligner sur ceux des cadres supérieurs et des ministres est une manière de donner à cette institution la valeur qu'elle mérite», tente d'expliquer M. Bedda.
Et de rappeler l'importance des dépenses engagées par les députés lors de leurs déplacements, notamment pour les parlementaires qui viennent de l'intérieur du pays. Comme pour justifier cette demande d'augmentation des primes, M. Bedda est allé plus loin en faisant la comparaison avec les députés des pays voisins. Pour ce député, ce n'est pas sorcier de satisfaire cette revendication. Il s'agit juste de jouer sur le point indiciaire.Comment ? Avant, les salaires des députés et des ministres étaient alignés avec un point indiciaire de 19 DA pour les deux. Ce dernier a été revu pour les ministres. Il a été porté à 25 DA. C'est ce que réclament les députés du FLN rejoints par leurs collègues du RND. «Je sais que nous sommes fustigés par d'autres partis qui se disent de l'opposition. Mais, même ces derniers ne jouent pas le jeu à l'APN. Ils sont souvent absents à l'Assemblée», ajoutera-t-il.
Un autre député du FLN opposé à la démarche, préférant garder l'anonymat, nous rappellera pour sa part que l'initiative émane d'un groupe de neuf parlementaires (5 FLN, 3 RND et 1 indépendant). «Ce sont les députés du président de l'APN qui ont entamé la démarche avec à leur tête Tahar Khaoua, chef du groupe parlementaire du FLN». Notre interlocuteur nous dira : «On ne doit pas parler d'avantages. Ceux qui portent la revendication salariale se comparent avec les ministres, alors que le travail n'est pas le même. A travail égal, salaire égal. Ils sont très peu nombreux les députés à jouer leur rôle. Il y a ceux qui ne viennent même pas aux débats. Dans ce cas, le salaire perçu actuellement est déjà plus qu'élevé.» Notre député estime qu'«au lieu de poser le problème de cette manière, il serait plus intéressant de se pencher sérieusement sur le statut du parlementaire», conclura-t-il. Ainsi, même au sein du FLN, chef de file de la proposition, il y a divergence.
Anciens parlementaires : «Une proposition surréaliste»
D'ailleurs, les anciens députés du FLN n'ont pas manqué de s'interroger sur la nécessité et l'opportunité d'une telle proposition. Pour Kennaï Mohamed, ce n'est pas le moment de le faire et de monter au créneau. «La baisse des cours du pétrole ne permettra pas à l'Etat de revoir à la hausse les salaires des représentants du peuple», nous dira-t-il, rappelant qu'auparavant, c'est-à-dire avant les amendements de 1989 (les Parlements de 1977, 1982, 1987), les députés percevaient les salaires qu'ils touchaient dans leurs anciens postes avant de rejoindre l'Assemblée avec comme complément des indemnités oscillant entre 2000 et 4000 dinars.
A partir de 1989, l'Etat leur versait le même salaire qu'un secrétaire général d'un ministère, c'est-à-dire 16 000 dinars. Depuis, les choses ont fortement évolué. Ce montant a été multiplié par 20 en 25 ans, soit une moyenne de 340 000 da actuellement. Et ce, pour des résultats bien en deçà des attentes des populations. Très peu d'enquêtes, très peu de propositions, mais seulement un rapprochement et des accointances avec le pouvoir en place pour une institution qui, au fil des ans, a perdu de sa crédibilité. L'ancien député du RND, Baïzid Benlarbi, relève justement une absence totale des parlementaires tant au niveau local qu'à l'Assemblée «Il vaut mieux se pencher sur le travail de la chambre que sur l'aspect financier», notera-t-il.
Et de souligner que les initiateurs d'une telle démarche cherchent à faire pression sur le gouvernement à l'approche de la révision de la Constitution. «Ils savent que le pouvoir a besoin d'eux pour faire passer ce projet. Ils essayent donc de jouer toutes leurs cartes en brandissant cette revendication salariale alors que c'est loin d'être le moment économiquement. Il faut tout de même être logique et réaliste. Les salaires perçus sont largement suffisants.»
De son côté, l'ancien député du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie), Boubekeur Derguini, juge la revendication «absurde, misérable et surréaliste». «C'est une proposition qui cache mal une tentative de provocation de la société dans une période où les revendications sociales ne sont pas satisfaites. D'autant plus qu'elle émane d'une chambre d'enregistrement, sans plus», nous dira M. Derguini avant de poursuive : «Avec la baisse conséquente de la rente, au lieu de réfléchir à des propositions pour réduire les dépenses de l'Etat et prendre en charge les besoins vitaux de la société, on nous sort ce dossier.» Un dossier qui, selon l'ancien député de Béjaïa, cache derrière la volonté de l'Etat de passer par le Parlement pour amender la constitution. «Il y a eu un antécédent en 2008 pour la suppression de la limitation des mandats. On veut perpétuer la tradition», conclura M. Derguini.


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