Des milliers de Montréalais, dont beaucoup d'origine algérienne, ont rendu un dernier hommage, jeudi, à trois des six victimes de l'attentat terroriste contre une mosquée de Québec, la capitale provinciale. L'Aréna Maurice Richard, qui accueille habituellement les matchs de hockey sur glace, a été transformée en lieu où ont été célébrées les funérailles de Khaled Belkacemi et Abdelkrim Hassane, les deux victimes algériennes de la tuerie de dimanche dernier, ainsi que celles de la victime tunisienne, Aboubaker Thabti. Le lieu a été choisi sur proposition de la ville de Montréal, nous a expliqué Omar Chikh, de la maison funéraire Magnus Poirier qui est en charge du culte musulman. «La mosquée avec laquelle nous avons l'habitude de travailler n'allait pas suffire pour accueillir ceux qui comptaient assister, soit à la prière ou bien à la cérémonie», a-t-il ajouté. Plus de 5000 personnes ont commencé à affluer dès le matin en un flot continu que déversait la bouche du métro proche de la salle.
Toute la classe politique canadienne et québécoise était présente : le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, le Premier ministre provincial, Philippe Couillard, les chefs des principaux partis, des ministres, le maire de Montréal et celui de Québec, ville où a eu lieu le massacre ainsi que le consul général d'Algérie à Montréal. Les cercueils des victimes étaient exposés, couverts du drapeau algérien. Ils devraient arriver aujourd'hui en Algérie. Khaled Belkacemi, 60 ans, professeur en génie alimentaire à la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation de l'université Laval (Québec), sera enterré à El Harrach. Abdelkrim Hassane, 41 ans, informaticien, analyste-programmeur pour le gouvernement québécois, sera enterré à Staouéli. Le Premier ministre canadien, qui a été le premier à prendre la parole par quelques mots en arabe, a affirmé que «c'est le moment pour tous les Québécois, tous les Canadiens, d'être unis en deuil, de repousser l'intolérance, mais surtout d'être là pour les familles et une communauté qui ont énormément de peine aujourd'hui». Il est rejoint par le Premier ministre provincial, Philippe Couillard, qui s'est adressé aux Québécois d'origine musulmane en leur disant qu'ils sont chez eux au Québec et au Canada. «Les mots prononcés, les mots écrits ne sont pas anodins. A nous de les formuler, à nous de les choisir, car ces mots peuvent unir, peuvent guérir ou peuvent trancher, blesser», a-t-il ajouté, faisant référence, à demi-mot, certes, à l'islamophobie et au climat de stigmatisation quotidienne que subissent les musulmans, que ce soit dans les médias ou de la part de politiciens en mal d'appuis populaires. Les mots ont un impact Le même discours est partagé par Denis Coderre, le maire de Montréal, qui lui aussi a utilisé l'arabe au début de son intervention. «Il est temps de réaliser que les mots prononcés ont un impact. Que chaque message, tous ces messages sur les médias sociaux ne doivent plus être pris à la légère», a-t-il dit. Lors de son intervention, le consul général d'Algérie à Montréal, Abdelghani Cheriaf, a rappelé que les communautés étrangères «sentent depuis un certain temps se poser sur elles un regard de méfiance et de suspicion». «Ces victimes innocentes sont tombées sous les balles du fanatisme, de la haine et de l'intolérance. Un acte commis dans une ville où on disait que rien ne présageait d'une telle violence. Faut-il payer de sa vie le simple fait de vouloir pratiquer sa foi ou sa religion ? Faut-il s'étonner de voir ce déferlement de violence ? Quand bien même ce phénomène est réduit, il ne faut pas le négliger ou le banaliser», a-t-il déclaré. Il a fini son discours sur une note d'espoir. «Mais une lumière a jailli à travers toutes ces bougies allumées à Montréal, à Québec et dans d'autres lieux pour dire le rejet de l'ostracisme et surtout pour marquer leur solidarité avec la communauté musulmane du Canada et partager son deuil sincèrement.» Le maire de Montréal a appelé tout le monde à «profiter de la journée d'aujourd'hui pour faire notre propre examen de conscience». De même que celui de Québec. «Que leur sacrifice soit le ferment d'un nouvel espoir pour nous tous», a-t-il dit. Le Québec, une société pacifique qui a su par différents mécanismes démocratiques réduire la violence politique à pratiquement zéro, est sous le choc. L'opinion publique est toujours marquée par la tuerie à la Polytechnique, où 14 jeunes étudiantes avaient été tuées le 6 décembre 1989 par un homme armé. De quoi sera fait demain ? Le Premier ministre provincial a affirmé récemment qu'il y aura «un avant et un après attentat» contre la mosquée de Québec. La réaction du député fédéral libéral, Joël Lightbound, de la formation politique du Premier ministre canadien, résume bien l'attitude des hommes politiques. Dans une déclaration faite devant le Parlement canadien au cours de la semaine, il demandait pardon aux victimes qui sont issues de sa circonscription électorale. «Pardon d'avoir vu prendre racine dans le cœur de mes semblables la peur, la méfiance et la haine. Pardon de ne pas en avoir fait assez. Si les mots ont des conséquences, les silences aussi ont des conséquences. Plus jamais !» a-t-il déclaré.