Au moment où le navire Timgad, acheté par la Compagnie nationale algérienne de navigation (Cnan), est réceptionné en grande pompe à Alger, deux navires, le Gouraya et le Titteri, acquis depuis un peu plus d'un an, sont en panne technique dans les ports de Marseille et de Tunis. Sept des neuf navires acquis il y a moins de deux ans sont des bateaux d'occasion et bon nombre d'entre eux ont connu des arrêts techniques en raison de pannes récurrentes. Celles des Kherrata, Saoura et Stidia ont été les plus coûteuses pour la compagnie, qui n'arrive pas à sortir du creux de la vague... Tous les responsables du secteur du transport maritime ont pris part, jeudi, à la réception au port d'Alger du navire Timgad, de transport de marchandises appartenant à la Cnan-Nord (dont le nouveau directeur général a été installé la veille), filiale de la Compagnie nationale algérienne de navigation (Cnan). D'un montant de 25 millions de dollars, le bateau a été acquis dans le cadre de la formule Resale auprès d'un armateur qui l'avait commandé à un chantier chinois et qui a fait sa dernière livraison de marchandises avant de le remettre à la Cnan au port d'Envers, en Belgique, pour regagner Alger. Pour les spécialistes, à partir du moment que le Timgad n'a pas été livré par le chantier lui-même, et a fait un voyage au profit de son premier propriétaire avant d'être remis au groupe Cnan, il n'est plus considéré comme neuf. D'une capacité de 12 000 tonnes, il est le septième navire que la filiale Cnan-Nord réceptionne et le deuxième, avec le Timzeran acquis sous la formule Resale, puisque les cinq autres ont été achetés au marché de l'occasion. C'est en exécution d'une résolution du Conseil des participations de l'Etat (CPE) que la décision d'opter dans un premier temps pour des navires d'occasion de moins de cinq ans d'âge, puis pour la formule Resale, avant de recourir aux chantiers, a été prise pour atteindre une flotte de 25 navires, dont 18 cargos au profit de Cnan-Nord et 7 navires pour Cnan-Med, financée entièrement par le Fonds national d'investissement (FNI). Or, à en croire les différents cadres avec lesquels nous nous sommes entretenus, la situation au sein des deux filiales Cnan-Nord et Cnan-Med, bénéficiaires de cette flotte, n'est pas reluisante. Ils font état de graves problèmes liés au «manque de compétence» et à «un management défaillant», qui sont à l'origine, disent-ils, «des pannes techniques récurrentes et coûteuses» des navires. Des griefs qui ont fait l'objet de nombreux écrits adressés au ministre des Transports, mais restés sans suite. Certains de ces courriers reviennent sur la situation des navires nouvellement acquis «sans plan de charge et mis sur le marché de l'affrètement et gérés par un management de retraités, ayant des liens avérés avec des concurrents étrangers». Pour nos interlocuteurs, le groupe Cnan «vit un véritable problème de compétence et de carence en matière de management et d'équipage pour les deux filiales Cnan-Med et Cnan-Nord…». Nos sources s'interrogent sur le fait que Cnan-Med, filiale spécialisée dans le cabotage méditerranéen, s'apprête à acheter des navires qui ne correspondent pas à sa prestation de service. «Pourquoi acheter un porte-conteneurs de 1500 boîtes, dédié exclusivement à un contrat à durée de vie limitée avec un constructeur automobiles, pour l'importation non pas de kits de montage de véhicules, mais plutôt de pièces de rechange ?» se demandent-ils et de rappeler que deux des navires achetés il y a un peu plus d'une année, le Gouraya et le Titteri, sont immobilisés aux ports de Marseille et de Tunis en raison d'une panne technique. Selon nos sources, le contrat de cession signé vers 2008 avec un partenaire italien «n'a pas donné» les résultats escomptés. «Avec 1,8 million de dollars de rachat des 49% des parts de la filiale qui avait deux navires, le Tleghma et le Tébessa, l'Italien Dario Perioli devait assurer le management, le transfert du savoir-faire et le renforcement de la flotte par l'achat de 1000 conteneurs et du matériel servant à leur gestion. Or, rien n'a été fait. Il n'a fait qu'utiliser les deux navires jusqu'à leur vente à la casse il y a deux ans. Il n'a apporté aucune plus-value à la filiale, qui assure le paiement de toutes les factures des navires qu'il affrète et des réparations des arrêts techniques. Mieux, c'est sur les fonds de l'Etat que de nouveaux navires ont été achetés et d'autres vont l'être à l'avenir dans le cadre du renforcement de la flotte de Cnan-Med. Aujourd'hui, cette filiale vit des problèmes énormes de manque de compétences et de management. Le choix même de ce partenaire suscite des interrogations. Le cahier des charges de la cession exige que le partenaire retenu pour ce contrat soit un armateur. Or, l'Italien est un transitaire à l'origine. C'est d'ailleurs à ce titre qu'il a deux entreprises à Alger, qui font de la consignation et concurrencent Nashco et Gema, les deux filiales du groupe Cnan», s'insurgent nos sources. Et de préciser : «Le programme d'investissement dans le domaine risque de voler en éclats parce que les autorités n'ont pas pensé à l'encadrement et aux équipages qui vont assurer l'exécution des plans de charge et la gestion des navires. Depuis le recul du pavillon national, le personnel marin formé a été récupéré par la concurrence. Le rappel de retraités ayant des liens directs avec les intérêts de celle-ci a été catastrophique pour les filiales. Il faudra repenser la gestion de la ressource humaine spécialisée et faire appel à des professionnels de la boîte qui ont fait leurs preuves dans le passé», affirme-t-on. Nos interlocuteurs «regrettent» qu'en dépit des résultats des enquêtes de l'Inspection générale des finances, de l'Office national de la répression de la corruption et de la Gendarmerie nationale sur la «gestion suspicieuse de la Cnan, notamment de ses filiales Cnan-Nord, Cnan-Med et surtout Cnan-Maghreb Line, déclarée en faillite en raison de graves anomalies de gestion, les autorités continuent à faire appel à ceux-là mêmes qui ont été éclaboussés par les scandales et poursuivis en justice». Ils rappellent l'affaire actuellement pendante devant la cour d'Alger relative aux «dysfonctionnements» constatés dans la gestion des filiales de la Cnan et dont le procès est prévu pour mercredi prochain, en disant : «Comment peut-on croire à une nouvelle stratégie du transport maritime lorsque nous constatons que parmi les cadres rappelés, il y a ceux qui ont participé à cette opération de dépècement de la Cnan ? Nous voulons attirer l'attention des autorités pour éviter que les fonds dégagés pour le renforcement de la flotte et du pavillon national ne partent en fumée.»