La gauche française ressemble à un champ de ruines. Une fois de plus, pour la quatrième fois depuis 2002, elle partira divisée au combat électoral. Signe a contrario que les valeurs de la gauche font encore vibrer et qu'ils sont nombreux à vouloir les incarner, alors que le clivage droite-gauche s'estompe. Surtout depuis le recentrage libéral à marche forcée entrepris par les gouvernements socialistes depuis François Mitterrand entre 1981 et 1995, puis Lionel Jospin, Premier ministre entre 1997 et 2002, et enfin le président François Hollande depuis 2012. Ils n'ont eu de cesse de se fondre aux injonctions mondialistes et de la déréglementation lancées depuis les Etats-Unis par Reagan et Thatcher au Royaume-Uni dans les années 1980. La chute du mur de Berlin a aussi brisé les barrages de protection sociale. Du coup, les électeurs de gauche se sont engouffrés dans la déception pour les uns, dans le vote extrémiste de droite pour d'autres, gonflant démesurément le Front national. Aujourd'hui, les militants sont entrés dans l'ère des «gauches irréconciliables», selon les mots de l'ancien Premier ministre Manuel Valls. Les cinq années du mandat Hollande ont bruissé de la mésentente avec ceux qui se réclament d'une gauche réinventée. Ils ne désespèrent pas pour autant. Les idéaux sont occupés à présent par trois candidats en lice pour la présidentielle, si on excepte Emmanuel Macron, transfuge du Parti socialiste «hollandiste», qui campe sur un espace nouveau en France, le centre gauche, position inconfortable idéologiquement, mais payante électoralement. Une simple union entre le parti socialiste et les verts Le trio est constitué de Benoît Hamon (vainqueur de la primaire du Parti socialiste, l'emportant contre ceux qui depuis les années 1980 creusent le lit de la marche libérale du parti). Il redonne confiance à ceux de son parti qui attendaient ce sursaut. Il n'est pourtant pas suivi par l'aile droite qui refuse ce qui est considéré comme une aventure. Son challenger battu à la primaire, Manuel Valls, s'est inscrit aux abonnés absents et ne le soutient pas, ainsi que nombre de ses supporters. Hamon doit donc trancher entre garder l'unanimisme tronqué de son parti en renonçant à changer quoi que ce soit, ou alors lorgner sa gauche, c'est-à-dire vers Jean-Luc Mélenchon et briser ainsi l'unité de façade du PS, le faisant exploser. Le suspense est maintenant clos. Mélenchon a dit qu'il n'a pas «l'intention de s'accrocher à un corbillard», c'est-à-dire le véhicule cahotant conduit par le PS. Il craint le retour à la case départ de son émancipation politique qui l'avait amené à quitter ce parti dans les années 2000. Quant à Benoît Hamon, il maintient les termes politiciens classiques de son parti en disant qu'il est le mieux placé pour faire gagner la gauche. «Je ne courrais pas après Jean-Luc Mélenchon, je ne cours après personne, je n'oblige personne.» Mélenchon est candidat pour la deuxième fois. Il a quitté le PS après 2005 et il se présente sous l'étiquette La France insoumise (soutenue par le Parti communiste), comme en 2012, où il arborait l'étendard du Front de Gauche. Il s'est montré intraitable dans les courriers et entretiens téléphoniques avec Benoît Hamon : si l'union se faisait, ce serait autour de sa bannière : «Tous ont dit qu'ils présenteraient leur candidature. Mais quand bien même il en faudrait une (candidature unique), laquelle ? La mienne», clame-t-il, lui qui veut briser le cadre des partis traditionnels et avancer sur un vrai programme de gauche. Enfin, le troisième candidat est Yannick Jadot, élu à la primaire d'Europe Ecologie Les Verts. Ce dernier s'est rapproché de Benoît Hamon à la suite d'une consultation des Verts qui l'ont entériné. Il se désistera dans les jours qui viennent. Faible pêche pour Hamon dont il devra se contenter. Dommage car, comme l'écrit Libération : «L'addition des intentions de vote des trois candidats oscille, sondage après sondage, entre 26 % et 31 %, toujours devant Le Pen, Macron et Fillon. Cette possible qualification d'un candidat de gauche au second tour de la présidentielle — que personne n'avait imaginée — a de quoi susciter l'interrogation d'un électorat de gauche qui, paumé, veut comprendre.» Le front national récolte les voix des laissés-pour-compte de la gauche Si l'arithmétique est favorable, il n'en demeure pas moins que les dégâts se sont accrus dans la population, causés par 34 ans de social-libéralisme débutés avec le tournant mitterrandien en 1983. Peu à peu, le vote des classes populaires s'est éloigné de la gauche. Même le Parti communiste a été balayé par les promesses déçues. Le Front national d'extrême droite récolte les voix des laissés-pour-compte. Ainsi, l'enquête électorale mensuelle du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), publiée par Le Monde, révèle que «le vote de classe incarné par les ouvriers s'est entièrement éloigné des gauches, puisque l'ensemble des candidats positionnés à gauche (Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon, Yannick Jadot) ne recueillent que 16% du total du vote des ouvriers et 28% du vote de ceux qui sont certains d'aller voter». L'étude ajoute que le clivage gauche-droite est dépassé, avec «une attirance de plus en plus marquée vers des candidats qui prétendent s'affranchir de cette opposition historique», comme le précise au Monde le directeur du Cevipov Martial Foucault : «Les gauches ne parviennent plus à agréger le vote des classes populaires.» Et ce n'est pas dans la division que les choses vont changer.