Younes Adli se définit comme un «libre penseur» qui a choisi sa Kabylie natale comme aire de recherche. «Loin de toute optique ethnocentriste», précise-t-il. Il en est à son huitième ouvrage sur l'identité, la culture et l'espace amazighs. Sa dernière conférence autour de son dernier livre Les efforts de préservation de la pensée kabyle aux XVIIIe et XIXe siècles, récemment réédité, a été interdite manu militari et empêchée par les autorités de la wilaya de Béjaïa. Explication. - Votre dernière conférence en date autour de votre livre Les efforts de préservation de la pensée kabyle aux XVIIIe et XIXe a été interdite par les autorités de Béjaïa. Que s'est-il passé au juste samedi dernier à Aokas, où devait se tenir votre conférence ? Il s'est passé la chose suivante. Tout d'abord, je tiens à rappeler que j'ai eu à animer des centaines de conférences et jamais il n'y a eu un quelconque problème. A mon arrivée à Aokas, invité par une association locale, je trouve le centre culturel de la ville — où devait se tenir la conférence — complètement assiégé par la police. Les organisateurs avaient pourtant pris soin de demander, au préalable, l'autorisation nécessaire, chose qu'ils ont pu obtenir au demeurant, et les autorités locales, représentées par le vice-président de l'APC, étaient présentes sur les lieux et ont confirmé l'octroi d'une autorisation en bonne et due forme. Le commissaire de police, qui a ameuté ses troupes, plus d'une centaine de policiers, nous signifiera expressément l'interdiction d'entrer dans les locaux du centre culturel, arguant des ordres reçus de sa hiérarchie. Parmi les présents, figurent deux membres de l'APW de Béjaïa, un représentant de la Ligue des droits de l'homme aussi venus assister à la conférence. Le commissaire, à qui nous avons demandé de nous présenter une décision écrite d'interdiction, se contentera de nous menacer. «Je vous donne cinq minutes pour déguerpir sous peine d'être embarqués», nous dit-il. Même l'intervention du président de l'Assemblée de wilaya auprès de cet officier fut vaine et les provocations de la police ont été telles, que les nombreux jeunes ont tenté un début de marche de manifestation qui a été arrêtée d'une manière pour le moins musclée, alors qu'il ne s'agissait aucunement de terroristes. Le temps des palabres terminé, la conférence interdite est commuée en vente-dédicace improvisée à la terrasse d'un café mitoyen. - Cette interdiction est-elle imputable au zèle de l'appareil policier ou émanerait-elle de plus haut ? Je n'en sais rien. A partir du moment où un document officiel nous autorisait à tenir conférence, je trouve qu'il n'y a pas lieu d'interdire l'activité. Le commissaire, qui a menacé les gens, moi en tête, affirme pourtant n'être destinataire d'aucune décision formelle d'interdiction. «J'ai des ordres : je les exécute», nous a-t-il signifié. Nous, on est respectueux des lois et règlements de ce pays… - Qu'est-ce qui a justifié, selon vous, cette interdiction ? Encore une fois, je n'en sais rien. Une chose est certaine : c'est que j'en ai été victime. Quant au motif, je ne saurais vous le dire. - Vous n'établissez pas de lien avec le contenu de votre dernier ouvrage. La survivance de la pensée kabyle ne serait-elle pas le mobile ? Ma conférence est articulée autour de ce livre. Mais au-delà du livre lui-même, je crois que c'est le savoir, la culture en général qui sont manifestement sujets à interdiction. - Qu'avez-vous donc écrit d'effrayant dans votre opus pour susciter une telle réaction ? Je crois que l'objectif de cette opération est de faire régner la peur. Car aucune justification n'a été avancée et, à ce propos, j'interpelle publiquement le wali de Béjaïa pour qu'il assume ses responsabilités et qu'il dise pourquoi la conférence a été interdite ! - Le 10 mars 1980, la conférence de Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle ancienne a été interdite par le pouvoir politique, s'en suit alors le Printemps berbère. En mars 2017, c'est autour de la pensée kabyle de Younes Adli de l'être à son tour. L'histoire se répète-t-elle ? Je ne conçois pas la chose de la même façon. Et je n'avancerai pas de certitude. - Soupçonnez-vous une quelconque volonté de provoquer une réaction en chaîne similaire à celle qui a suivi l'interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri ? Je n'ai pas cette prétention de me comparer à Mouloud Mammeri. La police a fait dans la provocation et il a fallu beaucoup de sang-froid pour ne pas y répondre. C'est une éventualité. Que voulez-vous que je vous dise d'autre. Toutefois, en tant qu'Algérien, j'ai été victime d'un abus. Un abus de la police, des autorités de Béjaïa, par ricochet. - Alors qu'est-ce qui dérange dans votre livre exactement ? En quoi la survivance de la pensée kabyle peut-elle incommoder ? Le livre est une thèse de doctorat d'Etat. Je ne vois vraiment pas ce qui peut déranger dans ce livre. Je relève que cette interdiction arbitraire vient au moment où tamazight est consacré langue officielle. J'en déduis que ce genre de productions scientifiques, on n'en veut visiblement pas. - Ne craignez-vous pas que vos ouvrages servent de matrice à des mouvements séparatistes de type MAK ? Non, non, je ne vous suis pas du tout. Dans cette affaire, aucune mouvance n'a interféré. Il s'agit d'une association locale qui a l'habitude d'organiser ce type d'activités et qui m'a invité. Je n'ai pas été invité par un quelconque mouvement ou parti politique. - Pouvez-vous nous parler du contenu de votre livre ? Je ne vous ferai aucune présentation. Cela fait plus de trois ans qu'il a été édité. C'est une thèse de doctorat d'Etat présentée et soutenue à l'Institut national français des langues et civilisations orientales (Inalco). Il n'y a rien d'extrémiste, de terroriste ou de voleur là-dedans. - Vos prises de position résolument antipouvoir algérien, maintes fois exprimées lors de conférences, à l'étranger notamment, y sont-elles pour quelque chose ? Encore une fois, il s'agit d'un livre, d'un travail de recherche. Maintenant, il est vrai, comme vous le dites, que je suis un libre penseur. Si cela les gêne, ma foi, qu'ils nous disent en quoi. Je n'ai pas à me justifier. C'est mon 8e livre et par le passé, j'ai pourtant clairement dit que je ne fais partie d'aucun mouvement, ni parti politique. Maintenant, s'il est interdit de choisir la Kabylie comme aire de recherche, qu'ils nous le notifient par écrit. - Certains vous reprochent vos thèses ethnocentristes. Qu'en dites-vous ? Franchement, cette question n'a pas lieu d'être. Et je la récuse. Le débat est l'interdiction d'une conférence publique d'une manière tout à fait arbitraire. Nous sommes en présence d'une répression : répression du savoir, répression de la culture. Je défends mon aire de recherche qui est la Kabylie. Avant la Kabylie, c'est Tamazgha, l'espace amazigh, qui a été au cœur de mes recherches. - Alors pas d'ethnocentrisme dans l'histoire ? Non, je ne répondrai pas à cette question, car je ne suis pas du tout dans cette optique. Je fais des recherches, je les rends publiques et jusque-là tout s'est bien passé.