Pourquoi l'élection présidentielle française, au plan émotionnel, passionne-t-elle plus les Algériens que les prochaines élections législatives qu'ils s'apprêtent à vivre dans moins de deux mois ? Posez de manière tout à fait anodine cette question autour de vous et vous aurez à peu près la même réponse : c'est parce que de l'autre côté de la Méditerranée, il y a une vie politique intense, des débats contradictoires, des expressions plurielles, une liberté de ton, une participation citoyenne effective, une couverture journalistique sans censure et en quête du moindre détail pouvant influer sur la décision de l'électorat, des rebondissements à répétition qui ajoutent au suspense, des familles politiques bien distinctes pour défendre leurs idées et leurs territoires, en somme tous les ingrédients politiques, juridiques, médiatiques y figurent pour offrir une compétition électorale ouverte, transparente, palpitante, malgré son côté dramatique parfois, qui ne laisse pratiquement personne insensible ou indifférent. Tout ce décor en mouvement constant, qui s'adresse à nous sous forme de spectacle, est répercuté par des médias performants, notamment les chaînes de télévision, dans un souci d'élargir (ou de conditionner) les réflexions et les opinions sur la trajectoire de l'événement. Il est sûr qu'une élection présidentielle ne ressemble pas, par l'enjeu qui la caractérise, à une élection législative, ayant elle aussi son ciblage et ses propres motivations. Il est vrai aussi que les atmosphères des campagnes électorales diffèrent par rapport aux sociétés dans lesquelles elles se répandent et ne peuvent par conséquent être confrontées pour ce qu'elles apportent dans la vie quotidienne aux citoyens. Mais un scrutin qui se respecte, quel que soit le terrain où il évolue, ne peut se fondre avec la légitimité citoyenne s'il n'est pas lui-même trempé dans la réalité démocratique. Il perd ainsi de son intérêt quand il n'interpelle plus les consciences pour devenir un devoir citoyen assumé. Plus il reste un instrument administratif pour honorer les calendriers électoraux, et moins il devient un sujet participatif. Toute la différence entre nos élections, qu'elles soient présidentielles, législatives ou locales, et celles qui nous parviennent des pays démocratiques, se situe à ce niveau de comparaison. Pour être plus précis, disons que la raison qui pousse les Algériens à suivre avec une certaine exaltation la campagne pour l'élection présidentielle française est liée avant tout à l'aspect démocratique qui singularise cette dernière, à son mode de fonctionnement totalement ouvert aux analyses et aux critiques les plus pertinentes, contrairement à celle qui prépare nos législatives dans un cadre emphatique où tout semble se mouvoir en cercle fermé, et où les acteurs donnent l'impression de jouer dans une pièce qui ne fait plus recette depuis longtemps déjà. L'évidence de notre réalité électorale est que nos élections se suivent et se ressemblent. Celles qui auront lieu le 4 mai prochain pour renouveler le personnel parlementaire de l'Assemblée populaire nationale ne feront pas exception à la règle. Même si par miracle il y aurait une très forte volonté politique pour donner un visage plus avenant à l'hémicycle, les fondamentaux y seront toujours présents. A savoir que cette élection ne suscitera aucun suspense, ni aucune surprise, que la configuration générale des représentants du peuple ne changera pas d'un iota, sinon pour être pire que la précédente, que la voix du peuple précisément ne servira que de tremplin pour alimenter la caisse de résonance… Plus prosaïquement, on peut se demander comment les citoyens pourraient investir leur confiance sur des candidats qu'ils ne connaissent pas et dont le militantisme prête à équivoque. Et comment ces candidats qui négocient leurs places dans les listes moyennant de fortes sommes d'argent pourraient-ils défendre l'intérêt général, eux qui pensent d'abord à leur carrière ? En fait, le jeu au sein de l'APN est biaisé au départ. En voulant la caporaliser pour mieux la contrôler, le pouvoir a détruit toute perspective en mesure de conférer un jour à la députation sa véritable mission. En 2017, alors que le monde bouge à une vitesse impressionnante, l'Algérie se montre incapable d'avoir un véritable Parlement à vocation de faire avancer la société par la justesse de ses débats contradictoires et la confrontation des idées émanant d'une élite désintéressée, et non par la persistance d'un auditoire courtisan synonyme de régression. Mais en l'absence d'un système démocratique pouvant libérer les énergies les plus talentueuses, la transformation de l'APN par un simple discours démagogique demeure une utopie. Et c'est cette violence politique antinomique avec les exigences de notre temps qu'on veut renouveler à travers la future assemblée croupion, où les majorités fabriquées par le pouvoir feront la loi encore et toujours. Car la seule vérité qui compte est celle qui consiste à instrumentaliser une institution, au mépris de toute considération citoyenne. D'ailleurs, les grands absents de cette campagne, ce sont les citoyens eux-mêmes qui ne sont invités à aucun débat pour exprimer leurs visions, leurs espérances. Les Algériens n'ont jamais connu ce genre d'engagement participatif en vigueur dans les pays avancés. Les maîtres penseurs des échéances électorales ne pensent à eux que lorsqu'il devient indispensable de remplir les urnes. Le ministre de l'Intérieur vient d'en faire la confirmation, en appelant les Algériens à voter massivement. C'est une tradition au niveau du pouvoir de montrer que c'est dans l'intérêt des citoyens que les élections sont organisées, alors que c'est le contraire qui se produit, comme l'ont si bien illustré toutes les mandatures parlementaires précédentes. Pourquoi donc aller voter, c'est finalement la question de fond qui vaille, sachant que tant que le FLN reste la tête de pont du régime et de toutes les institutions le représentant, il n'y aura aucun espoir de bouleversement de cet échiquier central qui demeure, par extension, le reflet le plus fidèle de la vie politique nationale dans sa stagnation, voire son incapacité à s'émanciper, même si les partis de l'opposition font parfois des efforts colossaux pour changer les choses. Le FLN (ou le RND, c'est kif-kif) c'est la présidence de la République, c'est l'institution militaire, c'est le gouvernement, ce sont les walis, ce sont les médias publics, les services d'ordre, les fonctionnaires de l'administration et tous les autres rouages de l'Etat. Comment le battre par les élections ? Lorsqu'on réglera cette équation, le changement ne sera plus impossible. Vous avez tout compris.