Pour la première fois depuis que le président de la République est élu au suffrage universel, un débat télévisé mettait aux prises, lundi soir, cinq des onze candidats, et ce, pendant trois heures et demie. Lundi soir, les postulants à la magistrature suprême ont débattu devant les caméras et un public estimé par l'institut Médiamétrie à 9,5 millions de téléspectateurs, sans compter ceux qui, de par le monde, étaient devant leur téléviseur ou devant leur ordinateur. C'est dire qu'après une campagne de plus de deux mois assez folle, marquée par des affaires jamais vues et des retournements insensés dans l'opinion publique, François Fillon, Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon pouvaient enfin s'exprimer sur leurs idées et leurs programmes et être entendus. Cet exercice inédit et historique était d'autant plus attendu que c'est aussi la première fois qu'un candidat d'extrême droite, en l'occurrence Marine Le Pen, était invité au festin télévisuel. Alors que son père Jean-Marie avait toujours pris soin de rester en dehors du système, sa fille Marine, dans sa démarche de normalisation de son parti le Front national, avec ses 25 à 28% d'intentions de vote, selon les sondages, est désormais inévitable. En 2002 pourtant, alors que le FN de Jean-Marie Le Pen était qualifié pour le second tour et que se formait un «barrage républicain» contre lui, Jacques Chirac avait refusé le débat d'entre-deux tours avec lui, un débat pourtant instauré dans les habitudes depuis le célèbre face-face Giscard-Mitterrand en 1974. C'est d'ailleurs le même débat, sept ans plus tard, en mai 1981 qui avait permis à Mitterrand de surpasser son concurrent Président sortant. Avec sa fameuse phrase : «Je ne suis pas votre élève, vous n'êtes pas mon professeur.» Signe qu'un débat bien mené peut changer la donne. A ce jeu-là, selon les deux sondages, publiés hier matin, c'est finalement Emmanuel Macron (mouvement En Marche, centriste) qui est apparu le plus convaincant lundi soir, devant Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise, gauche de la gauche). Suivent Marine Le Pen et François Fillon (droite et centre), ce dernier ayant été largement épargné concernant sa mise en examen, pour, entre autres, détournement de fonds publics. Ce silence sur les affaires a été remarqué par nombre d'observateurs. On a ensuite compris pourquoi personne ne voulait trop secouer la poussière, car le même soir on apprenait que le ministre socialiste de l'Intérieur, Bruno Le Roux avait, lorsqu'il était député, embauché ses filles de 15 et 16 ans durant les étés pour aider sa permanence parlementaire. La somme de 55 000 euros aurait ainsi rémunéré les deux adolescentes, selon l'émission Quotidien, de la chaîne TMC. Enfin, bon dernier de l'affection du public lundi soir, le candidat de la gauche socialiste, Benoît Hamon, reste très fragilisé, à la fois par la percée de Jean-Luc Mélenchon sur sa gauche et par le fait qu'il s'emmêle dans des promesses, qui apparaissent comme un catalogue dont la gauche socialiste est coutumière depuis 1981. Son idée de revenu universel, seule thématique vraiment nouvelle de cette campagne 2017, est le signe le plus flagrant d'un projet difficile à mettre en œuvre. ENTRE IDEES NAUSEABONDES ET VOLONTARISME HUMANISTE Parmi les thèmes abordés par les candidats, ceux relatifs à la laïcité, au droit d'asile, à l'immigration, à l'islamisme et au terrorisme ont été ceux qui ont clivé le plus. Marine Le Pen a battu le record en mélangeant tous ces sujets pour en faire une soupe assez «nauséabonde». Ce terme est de Benoît Hamon après que la candidate du Front national ait débité son credo : «Il faut retrouver la maîtrise de nos frontières ; interdire les organisations islamistes, une idéologie totalitaire ; expulser les étrangers islamistes ‘‘fichés S'' ; et il faut la déchéance de nationalité pour ceux convaincus de fondamentalisme.» Elle a voulu créer un climat de peur comme à son habitude. Avec un langage que le journal Le Monde qualifiait d'anxiogène : «réarmer», «assassins», «lit de douleur», «milices». «Vous êtes une vraie droguée aux pages faits divers», lui signale Benoît Hamon, l'accusant de diviser, ce à quoi se sont joints Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. François Fillon, quant à lui, continua sur le registre d'affrontement avec la majorité en place : «La politique française contre l'Etat islamique est un échec.» Il a réitéré son projet de «contrôler l'islam de France», précisant que cela consisterait à encadrer les mosquées pour savoir ce qui s'y dit dans les prêches et d'expulser les extrémistes. C'est-à-dire ce qui se fait déjà. Jean-Luc Mélenchon a estimé que «dans tout ça la religion est un prétexte». François Fillon affirme qu'«une partie (des demandeurs d'asile) fuient la guerre en Syrie, mais l'immense majorité de ces hommes et femmes fuient la pauvreté et viennent de toutes les régions du monde». Ce qui est démenti par les statistiques. Mélenchon lui rétorquant qu'on ne quitte pas son pays par plaisir. Il a cité les Grecs et les Espagnols partant de leur pays en raison de la crise : «Si nous partions comme eux, nous serions heureux d'être accueillis.» Devant l'instrumentalisation du phénomène autant par la droite que l'extrême droite, Jean-Luc Mélenchon a mis la balle au centre : «Une limite aux illégaux ? Et comment vous les comptez. C'est une vieille discussion. On propose des épuisettes qui ont des trous dedans. Vous pouvez inventer des quotas, des tickets. Celui qui passe à travers les mailles du filet, vous le jetez à la mer ? Vous le frappez ? Ce n'est pas sérieux.» Benoît Hamon eut beau jeu de préciser qu'il valait mieux avoir «une démarche qui favorise l'intégration plutôt que le commerce électoral».