Le retard mis par le ministère de la Santé dans la délivrance des programmes d'importation et la volonté de réduire les quantités importées conduisent à l'aggravation des ruptures de stock et à la pénalisation des patients qui se trouvent ainsi livrés à la merci des spéculateurs. La Fédération algérienne du médicament (FAM) a récemment tiré la sonnette d'alarme sur la pénurie croissante des médicaments. Selon la fédération, la pénurie des médicaments va encore s'aggraver dans les prochains mois. Dit-elle vrai ? La Fédération algérienne du médicament, qui regroupe les représentants de tout ce que peut comporter comme intervenants dans la chaîne du médicament, depuis son importation et sa production jusqu'à sa dispensation à l'officine en passant par sa distribution, a effectivement dénoncé, si ce n'est une pénurie, une forte perturbation de la disponibilité de certains médicaments à tous les niveaux du circuit. Cette perturbation est fortement ressentie au niveau de nos officines, ce qui se répercute immanquablement sur la prise en charge sérieuse des malades qui désespèrent de trouver certains médicaments nécessaires à leurs soins et prescrits par leur médecin traitant. La raison avancée par ces opérateurs, bien au fait de la question puisque directement concernés, est le retard mis par le ministère de la Santé dans la délivrance des programmes d'importation et la volonté de réduire les quantités importées. Selon les mêmes intervenants, le retour à une situation normale n'est pas pour les tout prochains jours, les procédures d'importation et de mise sur le marché étant assez longues. Y a-t-il une liste bien précise des médicaments en rupture de stock ? Si certains médicaments sont en rupture de stock depuis assez longtemps, voire des années, d'autres qu'on appelle communément en officine les «manquants» subissent des perturbations dans leur disponibilité et sont, quand ils surgissent sporadiquement sur le marché, distribués avec parcimonie par les distributeurs. Une liste de manquants peut être établie, elle concerne des dizaines de médicaments, toutes formes confondues ; le chiffre de 200 produits concernés par la perturbation a été avancé par les représentants de la FAM au moment de la déclaration au mois de février. Quels sont les risques d'une telle pénurie ? En plus de priver les malades de ces produits en rupture, ces perturbations occasionnent un stress permanent chez les pharmaciens qui vivent dans la hantise de ne pas pouvoir satisfaire leurs clients. Il est connu que toute distorsion d'un marché provoque une tension sur les produits concernés avec l'apparition dans leur commercialisation de phénomènes préjudiciables au pharmacien comme la vente concomitante. L'une des plus graves conséquences de l'indisponibilité du médicament, qu'elle soit temporaire ou de longue durée, est l'apparition du phénomène des produits «cabas», qui est train de sévir et de prospérer. En effet, des pharmaciens peu scrupuleux s'engouffrent dans la brèche et se mettent à importer frauduleusement des pays voisins les produits en rupture pour les commercialiser à des prix exorbitants, ce phénomène prend des allures effrayantes et de véritables réseaux sont constitués pour alimenter ce trafic hautement lucratif qui porte un préjudice à l'image de notre système de santé. Plus grave encore en cas de la persistance du problème des ruptures sera l'apparition et l'installation chez nous de la contrefaçon qui profitera de ces opportunités pour investir le marché algérien du médicament, mettant alors sérieusement en danger la santé du citoyen . La FAM pointe du doigt la restriction d'importation des matières premières indispensables pour la fabrication de médicaments. Etes-vous du même avis ? La FAM compte en son sein les représentants de l'UNOP. Ces industriels dénoncent et mettent en garde contre les risques inhérents à certaines ruptures dans l'approvisionnement en matières premières nécessaires à la fabrication des médicaments produits localement. Il faudrait, à mon avis, les prendre au sérieux en répondant en extrême urgence à leurs doléances si nous voulons échapper à une crise multidimensionnelle qui concernera en premier lieu l'approvisionnement du marché en médicaments produits localement et éventuellement le ralentissement ou la cessation d'activité des unités de production avec toutes les conséquences économiques qui en découleront. Certaines parties accusent «les lobbys du médicament» qui essaient d'imposer leur diktat en créant «délibérément» des ruptures de stock. Est-ce que cela est possible ? Au sein de la FAM il y a les représentants des distributeurs en médicaments qui se joignent aux autres opérateurs pour dénoncer la perturbation des approvisionnements liée au retard dans les signatures des programmes d'importation. Cependant, la spéculation peut exister à tous les niveaux. Certains distributeurs disposant de petites quantités de médicaments en rupture peuvent faire de la rétention afin de pratiquer la vente concomitante mais, à mon avis, le phénomène est très restreint, il concerne quelques rares grossistes et ne peut être à lui seul à l'origine de la crise actuelle Y a-t-il des discussions entre les pharmaciens et les médecins afin d'informer ces derniers de la liste des médicaments introuvables afin de ne pas les prescrire ? Ce qui est regrettable, c'est l'absence d'un mécanisme de concertation et de dialogue officiel à l'échelle nationale ou régionale en réaction aux perturbations de l'approvisionnement. Les initiatives sont individuelles, en rapport avec l'existence d'un bon relationnel entre praticiens et il arrive que des médecins s'enquièrent par des visites aux officines ou par contact téléphonique de l'état des disponibilités pour pouvoir prescrire efficacement afin d'éviter des marathons inutiles aux patients. Mais, souvent, le médecin est embarrassé, la substitution étant impossible ou risquée pour le patient. Ce qui est déplorable, bien que cela soit compréhensible parfois, c'est l'orientation des malades vers les officines qui pratiquent les produits «cabas». Pourquoi la question de la «pénurie de médicaments» revient-elle souvent sur le tapis ? Si la question des ruptures est récurrente, pour ne pas dire permanente avec des gravités relatives, c'est qu'il y a un vrai problème de gestion certainement dû à l'absence d'un organisme de régulation et de suivi autonome qui pourrait anticiper les situations sur la base de renseignements statistiques fiables. Cette année et la précédente, nous serions tentés d'incriminer la crise économique, mais nous remarquons que ce phénomène s'est manifesté même au moment de l'embellie financière, rendant ainsi le déficit de gestion encore plus responsable. Selon vous, que faut-il faire pour mettre un terme à cette situation dramatique ? Afin de mettre un terme à cette situation, il faudrait, à mon avis, plus de rationalité dans tout le circuit du médicament, de l'importation à la dispensation en officine, en passant par la production et la distribution. La récente mise en service de l'Agence nationale des produits pharmaceutiques pourrait apporter des solutions à ce dérèglement ; bien entendu, il faudrait aussi pouvoir consentir le coût de la santé du citoyen qui n'est pas moindre, mais jamais superflu. La future loi sanitaire introduit la notion d'Etablissement pharmaceutique qui se substituera au système actuel et qui rendra plus précise la responsabilité des intervenants dans l'approvisionnement.