Comme beaucoup d'autres, c'est un sujet qui échappe aux unes des journaux. Une affaire qui intéresse purement les plus avertis parmi les scientifiques. Pourtant, depuis l'Antiquité, l'homme s'est toujours posé des questions sur ces objets qui viennent de l'espace pour finir leur course sur le sol terrestre, et qu'on appelle les météorites. L'histoire des météorites dans le monde est liée aux premières découvertes de ces «cailloux tombés du ciel» depuis des siècles, et qui n'a commencé à susciter l'intérêt des scientifiques qu'à partir du XVIIIe siècle. Mais qu'en est-il vraiment en Algérie ? Que savons-nous de ces objets qu'on retrouve en grande quantité dans notre Sahara, mais qui ne disent pas grand-chose pour les profanes ? Il y a quelques années, des découvertes plus fréquentes de météorites dans les déserts de certains pays (Ru'b El Khali, en Arabie Saoudite, et Dhofar et El Wusta, à Oman), mais aussi en Algérie, ont déclenché une véritable chasse à ces pierres très recherchées, devenues l'objet d'un commerce très juteux, qui peut atteindre des millions d'euros. Ce qui a ouvert la porte à une activité prenant les allures d'un trafic nouveau. L'affaire devient encore plus sensible, surtout qu'il s'agit de réseaux spécialisés et bien organisés se cachant derrière le tourisme pour brader des richesses nationales. La tentation d'aborder le sujet des météorites en Algérie a commencé suite à une émission radiophonique intitulée Wahet El Maârifa (L'oasis du savoir) diffusée récemment sur les ondes de la radio régionale de Constantine et animée par des membres de l'association d'astronomie Sirius, avec comme invités de marque Djamel Mimouni, professeur de physique à l'université Mentouri de Constantine, et Djelloul Belhaï, professeur de géologie et chef d'équipe de planétologie à l'université des sciences et de la technologie (USTHB) d'Alger. Il était question de météorites, de leur histoire, de leur étude et de l'intérêt porté par les scientifiques à ces «cailloux tombés du ciel». Les débats ont révélé l'existence d'un commerce frauduleux à grande échelle de ces météorites, notamment en Algérie. Appelés à nous donner plus de détails sur la question, les deux invités de l'émission ont bien voulu nous apporter de précieux éclairages pour l'opinion publique, mais aussi pour les décideurs à l'échelle nationale. Des cailloux tombés du ciel D'abord, commençons par expliquer ce phénomène de météorites. «Pendant longtemps, les milieux scientifiques étaient incrédules là-dessus et considéraient les récits de chute de roches comme des affabulations. Ceci jusqu'à ce que la documentation de pluies de météorites les convainquit que c'était dans l'ordre des choses. Apparues au début de la formation du système solaire, ces météorites ont vagabondé depuis au milieu des planètes pour un jour entrer en collision avec la Terre, traverser l'atmosphère à une vitesse sidérale, en se fragmentant souvent, et finir à la surface terrestre pour être recueillies. Ce sont donc des témoins précoces de la naissance tourmentée du système solaire, d'où leur importance scientifique», nous précise le professeur Djamel Mimouni. Il est désormais établi que les météorites tombent sur terre de manière assez aléatoire. Elles peuvent se trouver un peu partout. La plupart tombent dans les océans. Mais ce sont les grandes étendues, telles que le Sahara, qui en contiennent un nombre plus important. «En Algérie, les météorites sont tombées depuis toujours dans le Tell, l'Atlas saharien et le Sahara. Seules quelques-unes ont été retrouvées dans le Tell et dans l'Atlas saharien, mais la majorité a été ramassée dans le Sahara. Même dans ce dernier, on connaît des champs de récolte célèbres pour avoir abrité des centaines de météorites telles que celles du Reg Açfer ou Aguemour, au nord du Hoggar. D'autres champs sont connus, tels que celui de Tanezrouft ou El Atchane et El Djouf. On trouve souvent les météorites dans ces zones, car il s'agit de régions sahariennes, ce qui signifie rareté des personnes susceptibles de les avoir ramassées, absence de végétation et caractère aride (absence d'altération)», ajoute Pr Belhaï. Ramasseur de météorites, un métier Mais qui sont ces personnes qui ramassent ces roches pour les vendre ? Le professeur Belhaï explique qu'«on utilise le terme de chasseur de météorites pour ceux qui parcourent les déserts et trouvent ces pierres. Souvent, ce sont des amateurs, mais les professionnels aussi se mettent parfois à en chercher, mais rarement. Les chasseurs utilisent souvent les détecteurs de métaux, car beaucoup de classes de météorites contiennent du fer métallique, mais pas toutes. Dans le désert algérien, ce sont soit des nomades, soit des professionnels déguisés en touristes, qui viennent écumer le Sahara. D'ailleurs, ils en ont pris des milliers». Le professeur Mimouni ajoute de son côté que «ce sont parfois des connaisseurs déguisés en touristes des sables qui utilisent des techniques modernes alliées à une évaluation optimale des lieux de chute suivant la géologie et la topologie du terrain, mais ce sont surtout des nomades et des habitants locaux qui, au gré de leurs pérégrinations à travers ces vastes étendues, remarquent des objets extrinsèques au sol de la région et les recueillent». L'on est aussi en droit de s'interroger si les nomades algériens qui ramassent ces objets connaissent vraiment leur valeur, sinon pourquoi ils les vendent ? Les raisons de cet engouement pour ces météorites résident dans leur valeur scientifique. La naissance de certains sites web qui proposent l'achat et la vente de ces objets n'en est pas étrange. De véritables réseaux d'intermédiaires organisés ont vu le jour, car il s'agit bel et bien d'un commerce prospère, qui a pris les allures d'un nouveau genre de contrebande. Ce sont généralement des chercheurs en planétologie qui en ont besoin pour comprendre le système solaire, la Terre et le reste de l'univers. Il y a même des laboratoires étrangers et de grands musées qui sont derrière cette chasse aux météorites. Pour Pr Mimouni, ceux qui les recueillent, notamment les nomades, ne savent pas que certaines de ces «pierres» qu'ils refilent à des touristes ou des intermédiaires à vil prix valent 10, parfois jusqu'à 100 fois et même plus la somme qui leur est versée. «Les plus chères étant les météorites qui s'avéreront lors d'une analyse ultérieure être d'origine lunaire ou même martienne, comme c'est parfois le cas. Le prix peut alors atteindre des milliers, voire des dizaines de milliers, d'euros. Quand on réalise que pour obtenir un échantillon de roche lunaire lors des missions Apollo vers la Lune on a payé des sommes faramineuses et que des missions semblables vers Mars n'ont même pas été effectuées encore, on imagine leur valeur par rapport aux météorites ordinaires issues de simples astéroïdes vagabondant dans le système solaire», notera-t-il. Il ajoutera : «Les acquéreurs de ces cailloux célestes qui les font passer à travers les frontières en contrebande ne sont intéressés qu'à les revendre à juste prix dans les circuits de vente de météorites souvent sur internet, et rachetés souvent par de grands laboratoires scientifiques, comme ce fut le cas pour la météorite nord-ouest 7635 d'origine algérienne étudiée à l'université de Houston. Rappelons que cette découverte, annoncée en grande pompe, il y a quelques semaines, permet de dater à deux milliards d'années l'activité volcanique sur Mars, ce qui en fait les plus vieux volcan connu dans le système solaire.» Lutter contre un nouveau fléau Puisqu'il s'agit d'un trafic d'un nouveau genre qui touche des richesses recueillies sur le sol, avant d'être revendues à des étrangers où passées à travers les frontières, on se pose la question : l'Etat algérien est-il au courant ? Nos deux interlocuteurs soutiennent que c'est grâce à des géologues algériens qui travaillent sur les météorites, et qui savent très bien ce qui se trame dans le Sahara algérien, que ce phénomène a été porté aux différentes institutions de l'Etat algérien, à travers des campagnes de sensibilisation menées avec l'appui de certains responsables auprès des services concernés, comme la police, la gendarmerie et les Douanes. Ces derniers sont désormais mobilisés, mais aussi formés pour pouvoir reconnaître les météorites et limiter ce trafic, «même s'il faudra de grands moyens devant le défi que constituent ces réseaux organisés et souterrains et leurs techniques de contrebande mues par l'appât du gain», soutient Pr Mimouni. «Un décret a même été promulgué récemment interdisant formellement le commerce et le trafic des météorites», nous informe Pr Belhaï. Même s'il ne s'agit pas d'un problème d'économie nationale, c'est surtout un patrimoine national de grande portée scientifique qu'il faut préserver. Mais le plus gros travail reste à mener auprès des populations qui habitent ces régions, en commençant par la mobilisation du mouvement associatif. «Il faut commencer par une campagne de sensibilisation auprès du grand public. L'existence d'associations algériennes sur le terrain qui s'intéresseraient à la collecte de météorites et qui donc auraient pignon sur rue, permettrait d'acquérir les premiers des météorites potentiellement intéressantes et donc de préempter leur acquisition par des trafiquants. Malheureusement, où sont-elles ? J'imagine aussi qu'au niveau des départements de géologie, on devrait encourager la formation de clubs pour collecter et étudier de manière scientifique les météorites. On peut même aller plus loin et envisager un réseau automatique d'alerte météoritique national du ciel nocturne (un ensemble de caméras grand champ positionné de manière optimale et couvrant de vastes régions du pays) qui signalerait en temps réel la chute de météorites, ce qui permettrait de les récupérer immédiatement. Beaucoup de choses restent à faire», conclut Pr Mimouni.