“Je suis une femme et une monaqaba. C'est un double défi pour moi. D'un côté, les libéraux font tout pour me combattre, de l'autre les salafistes me demandent de rentrer chez moi, puisque pour eux la femme ne doit pas participer à la vie politique”, lance le Dr Fatma, candidate aux élections législatives qui porte le niqab. Elle se présente en tant qu'indépendante et ne profite du soutien d'aucun parti politique. Malgré la lourdeur de sa tenue vestimentaire qui pèse plus de 3 kg, le Dr Fatma se déplace avec agilité. Sur le terrain, elle va à la rencontre des citoyens et explique : “L'égypte est comme un oiseau qui ne peut pas voler sans ses deux ailes, à savoir l'homme et la femme.” C'est ainsi qu'elle répond aux conservateurs très critiques à son égard et qui lui conseillent de retourner à son foyer. Il lui arrive même de recevoir des menaces anonymes sur son téléphone portable lui demandant de se retirer de cette bataille électorale. Le Dr Fatma est, cependant, déterminée à poursuivre son périple. L'autre partie de son discours vise à convaincre les anti-niqab que le port du voile intégral n'est pas en contradiction avec son rôle de députée. “Les traits de mon visage n'ont aucune importance. Et aucune loi n'interdit aux monaqabate de se présenter aux élections législatives. En fait, ce qui compte c'est ma prestation sous la voûte”, dit-elle fermement. Elle n'hésite pas à bombarder un citoyen qui lui a fait une remarque concernant sa tenue : “Mais ne dois-tu pas baisser les yeux lorsque tu parles à une femme ?” Et lorsque les discussions deviennent houleuses lors de ses tournées dans les rues de Doqqi et d'Imbaba, elle répond : “Je peux dévoiler mon visage pour des raisons de sécurité, mais je ne vais pas ôter mon niqab pour gagner un siège au Parlement, c'est une question de principe.” Dans la circonscription d'Agouza, le Dr Fatma, ex-responsable de la santé dans les établissements scolaires, est confrontée à l'épreuve la plus difficile de sa vie. à 60 ans, elle décide de se lancer pour la première fois dans la vie politique. “Pendant des années, nous avons cédé la place à des personnes qui n'ont jamais œuvré pour l'intérêt de la patrie, le moment est venu pour agir”, dit-elle, en récitant un hadith du Prophète (QSSSL): “Même si le jour du jugement dernier se présente, quiconque tient une graine dans la main, qu'il la plante.” C'est ainsi qu'elle justifie sa participation tardive à la vie politique. Le Dr Fatma a une profonde conviction religieuse. Cependant, elle a décidé de ne rejoindre aucun parti politique. Selon elle, les partis créés après la révolution manquent encore de maturité et d'expérience. La campagne électorale constitue un fardeau pour cette candidate qui tente pour la première fois l'expérience électorale. “Je viens de vendre un terrain pour financer ma campagne électorale”, dit Fatma. Selon les chiffres de la Haute Commission électorale, 30 femmes portant le niqab participent aux prochaines élections législatives en tant que candidates indépendantes ou sur les listes des trois partis à tendance salafiste : Al-Nour (la lumière), Al-Assala (l'authenticité) et Al-Tanmiya wal Binaa (le développement et la construction). Pour Mahmoud Saadeddine, du quotidien Al-Youm Al-Sabie, la participation des monaqabate aux élections constitue une évolution. Le courant religieux a aujourd'hui l'opportunité d'émerger sur le devant de la scène. Pour la première fois en égypte, le Parlement ouvre ses portes aux femmes qui portent le niqab. Dans les ruelles de la circonscription d'Al-Sahel, Bahiya Mohamad, 35 ans, femme au foyer qui porte le niqab, fait sa tournée électorale. Elle se présente comme une simple citoyenne. Native d'un quartier populaire qui comprend une importante communauté copte, elle tente malgré son niqab de paraître comme une candidate modérée et ouverte. Elle n'hésite pas à entrer dans une église pour faire sa campagne. “C'est Am Bichoy et Am Mohamad qui m'ont confectionné les banderoles et les affiches”, dit-elle. “Je ne donne pas ma voix à un fantôme” Pourtant, sa campagne électorale ne sera pas facile. “Je ne vois pas comment je peux donner ma voix à un fantôme ?”, s'exclame un des passants. Et d'ajouter : “Mon droit est de connaître le visage de celle qui va me représenter au Parlement, pour m'assurer aussi qu'elle est bien présente à toutes les séances.” Un avis qui semble être partagé par l'écrivaine Farida Al-Choubachi : “Comment une députée se donne-t-elle le droit de me voir et de connaître les détails de ma vie alors qu'elle me confisque mon droit le plus élémentaire, celui de voir son visage pour pouvoir communiquer avec elle.” Et d'ajouter : “Une étude effectuée à la Sorbonne sur la charia islamique assure qu'il existe dans la loi coranique un texte qui condamne l'abus de droit. Et donc, si la monaqaba a le droit de porter ce qu'elle veut, il est de mon droit aussi de savoir à qui je m'adresse.” Aujourd'hui, tous les quartiers, dans la capitale et les gouvernorats, sont décorés d'affiches électorales. Celles des monaqabate sont très peu nombreuses. On remarque qu'elles ne mettent pas leurs photos et se contentent d'un signe, comme une fleur par exemple. Certaines candidates se présentent en tant qu'épouse d'un tel ou d'un tel et affichent le nom de leur mari et parfois même leurs photos. “Il ne s'agit pas d'une façon de s'habiller, c'est une idéologie. L'égypte qui a longtemps adopté une approche modérée va-t-elle changer de peau ? C'est un phénomène très inquiétant. Il ne faut pas oublier qu'il y a près de 13 millions de coptes en égypte qui n'accepteront pas une idéologie très éloignée de leurs croyances et leur mode de vie”, commente Tareq, 30 ans, ingénieur en télécommunications. D'autres citoyens, cependant, acceptent les candidates qui portent le niqab. Ils estiment que cet habit est un choix personnel. “Elles sont nombreuses les femmes qui portent le niqab, le prochain Parlement doit refléter cette présence dans la société”, argumente Atef, ingénieur de 60 ans. Karima, 25 ans, femme de ménage portant le niqab, déclare qu'il est temps de changer le stéréotype de la monaqaba. Elle occupe aujourd'hui différentes fonctions et elle doit donc sortir de son ghetto pour participer à la vie politique. D'autres vont plus loin. Pour l'activiste Ahmad Seïf, si les salafistes acceptent les règles du jeu politique en intégrant des femmes sur leurs listes, c'est tout de même un pas en avant. Cela veut dire que ce courant s'apprête à accepter les règles de la démocratie. Le réseau électronique témoigne aussi d'un débat acharné qui soulève de vives controverses. En effet, cheikh Yasser Al-Borhami, vice-président du mouvement salafiste et imam du parti Al-Nour, avait émis avant les élections une fatwa interdisant la participation de la femme aux élections. Pourtant, il a dû revoir son point de vue pour ne pas laisser le champ libre aux laïcs et aux libéraux, surtout que la loi exige la présence d'une femme au moins sur la liste de chaque parti. Pourtant, le courant salafiste a assuré que les candidates femmes une fois élues s'occuperont uniquement des citoyennes. D'ailleurs, un endroit leur sera réservé dans l'hémicycle pour éviter “la mixité illicite”. Une attitude qui a soulevé bien des critiques. Les plaisanteries circulent sur Internet. Sur facebook, un internaute confie que les égyptiens vont être le premier peuple de la planète à voter pour une candidate fantôme. Un autre s'interroge : est-ce que cette candidate va assister aux séances ou bien va-t-elle envoyer cette fleur qu'on voit sur ses affiches électorales ? Un troisième a lancé le slogan : “Cherchez la candidate inconnue”. Une situation qui a poussé le parti à répliquer. Nader Bakkar, porte-parole du parti d'Al-Nour, a assuré que 60% des candidates dans les diverses circonscriptions ne portent pas le niqab. “Ce n'est pas le parti qui ne veut pas afficher leurs photos, c'est plutôt la volonté des candidates”, confie Bakkar. Sur la page du parti d'Al-Nour sur facebook, les partisans de ce parti accusent les laïcs et les libéraux d'avoir trafiqué les banderoles des candidates en se servant du Photoshop en mettant le nom de leur mari pour les ridiculiser. Les femmes en bas de liste Par ailleurs, le mouvement féministe a fini par réagir. Nihad Aboul-Qomsane, directrice du Centre égyptien des droits de la femme, assure que le parti Al-Nour exploite la femme pour réaliser des objectifs politiques. “Comment accepter que la femme soit utilisée comme une marionnette et sans avoir de rôle ?”, dit-elle. Mohamad Salem, responsable du dossier électoral au quotidien Al-Shorouk Al-Guédid, partage cet avis. Il estime que la femme figure en bas de liste des partis salafistes. Cela veut dire que leur chance de succès est presque nulle. Surtout qu'il est très difficile qu'un parti obtienne 100% des voix dans une circonscription. “Ce n'est qu'une tactique pour transgresser la loi. Une astuce pour que ces partis religieux aient le plus grand nombre de sièges au Parlement. La preuve : ces femmes n'ont eu droit à la parole que rarement lors des campagnes, en prononçant un tout petit discours”, conclut Mahmoud Saadeddine. Dina Darwich In Al-Ahram Hebdo Monaquabete