Michel Nardini, 45 ans, a laissé sa famille durant ces fêtes pasquales pour observer un sit-in permanent dans la salle du conseil de la commune de Piombino, auprès de ses collègues de l'usine sidérurgique Aferpi (Aciérie et fer de Piombino). Fait inédit pour un Italien attaché aux traditions qui veulent que Pasque soient passées en famille. Ce syndicaliste qui travaille depuis 30 ans devant les fourneaux de l'aciérie historique, qui date de 1865, ne mâche pas ses mots : «Le gouvernement doit nous dire si Cevital est encore un partenaire crédible et surtout s'il est solvable. Dans le cas contraire, il doit trouver un autre investisseur pour sauver notre usine». Michel a connu Issad Rebrab quand il avait été chargé de faire visiter à l'homme d'affaires l'usine en 2014. «C'est un bon manager, mais il ne maîtrise pas les aspects techniques de notre filière», nous explique l'ouvrier, qui regrette que le nouveau patron, qui lui avait promis la remise en marche du haut fourneau symbole de l'aciérie, devant lequel Michel a passé son adolescence et sa jeunesse, n'ait pas tenu sa promesse. Il nous montre la pancarte collée sur la précieuse tribune de la salle du conseil de la mairie, sur laquelle l'effigie de l'ancien haut fourneau figure en bonne place. Très ému, l'ouvrier nous raconte que son père aussi y a travaillé et que le futur de 3000 familles et celui de toute la région dépendent de cette usine, qui demeure le second grand complexe sidérurgique de la péninsule. Un autre syndicaliste, Lorenzo Fusco, a planté sa tente et son sac de couchage dans cette prestigieuse salle communale. «Les renvois successifs de toute confrontation avec les syndicats sont inacceptables. Cevital doit expliquer au gouvernement pourquoi les projets figurant dans l'accord signé dans cette même salle il y a deux ans n'ont jamais été réalisés», nous affirme le secrétaire provincial de la Uilm (Unione italiana lavoratori metalmecanici). Il faut dire que le groupe Cevital, qui a relevé 70% des actions de l'ex-aciérie Lucchini, s'était engagé à porter la production annuelle de l'usine à un million de tonnes par an. Et pour concrétiser cet objectif, Rebrab a promis d'installer deux nouveaux fours électriques que la société allemande Sms Demag devait fournir à Aferpi. Mais cet équipement n'est jamais arrivé et seul un train de calibrage des roues de train exportés dans le monde entier est encore en fonction. Roberto Rinaldi, du syndicat Fiom, nous explique que les ouvriers sont très préoccupés car ils savent que l'application de la loi Marzani, qui oblige l'acquéreur d'une entreprise en difficulté à ne pas licencier de salariés pendant les deux premières années, ne sera plus possible après la date de juillet 2017, d'où la course contre la montre pour faire pression sur Cevital . Il faut dire qu'une partie de l'effectif d'Aferti avait déjà accepté de voir sa rémunération réduite de 30% pour pouvoir conserver l'emploi pour tous. La production d'acier de l'usine a chuté de 50 000 tonnes par mois à 25 000. Les représentants des travailleurs estiment que les 110 millions d'euros environ que Rebrab, grâce aussi aux activités d'export de l'usine a injectés dans les caisses d'Aferpi restent très en deça du capital promis, environ 1,2 milliard d'euros, entre investissement et maintien des activités traditionnelles de l'aciérie.Les ouvriers de Piombino et leurs familles sont angoissés par le futur. Ils savent que si Rebrab devait jeter l'éponge, aucun autre repreneur ne relèvera l'usine. Ce qui signifie l'agonie du port et de la ville de Piombino qui vivent depuis de l'industrie sidérurgique. C'est pour cette raison que le maire de la ville, Massimo Giuliani, du parti Pd au pouvoir, a décidé de passer la nuit de ce dimanche aux côtés des ouvriers d'Aferpi. Il occupera sa propre salle des réunions pour obliger le gouvernement de son pays à faire pression sur Cevital . En attendant, les syndicats ont loué huit bus pour transporter 500 ouvriers, qui marcheront sur Rome le 19 avril prochain pour manifester devant le siège du ministère du développement économique, où se tiendra le jour même une réunion entre l'Exécutif italien et les représentants de Cevital . Echaudés par le comportement de l'ancien détenteur de leur usine, le groupe russe Severstal, qui après avoir réalisé des bénéfices importants avec cette aciérie l'avait cédée à un euro à une société-écran de Chypre, plongeant la société dans une crise encore non résolue. Avant lui, la riche famille Lucchini de Brescia avait acheté l'usine, alors étatique, grâce à la privatisation menée par l'Iri (Institut pour la reconstruction industrielle) en 1993. Cevital pourra-t-il sauver cette usine historique vieille de 140 ans ? Les ouvriers d'Aferpi espèrent bien trouver cette bonne surprise dans leurs œufs de Pâques.