La commissaire du Festival Archi'Terre, Yasmine Terki, a toujours préconisé l'utilisation de la terre pour les constructions. Dans cet entretien, elle revient sur la 5e édition de son festival, qui se tient du 23 au 27 avril, dans le cadre du Salon Batimatec, aux Pins maritimes, à Alger. Un festival qui a été, cette année, amputé d'un budget adéquat. - Le Festival Archi'Terre a été créé pour pallier un grand manque relatif à la chaîne du bâtiment ? Exactement, le festival a été créé pour pallier un grand manque au niveau de la formation des acteurs du bâtiment, dont des architectes, des ingénieurs et des ouvriers du bâtiment. Il y a un énorme manque dans leur formation, car ils n'utilisent que les matériaux et les techniques de construction industriels. Or, tout le patrimoine algérien et du monde est construit en matériaux locaux : terre, pierre et bois. Face à cette situation, le ministère de la Culture s'est retrouvé dans l'incapacité d'assurer une prise en charge sérieuse du patrimoine. Tout simplement parce qu'il n'y a pas de professionnels capables de prendre en charge ce patrimoine. Nous nous sommes dit qu'il fallait pallier cette situation. C'est comme cela que nous avons eu l'idée de créer ce festival, qui, chaque année, pendant dix jours, faisait venir traditionnellement des étudiants et des enseignants de tous les départements d'architecture et de génie civil du pays pour les sensibiliser sur la question de la préservation du patrimoine et à la question de la relance de l'utilisation des matériaux locaux dans l'architecture contemporaine. Il faut comprendre une chose, c'est que sur la question du patrimoine, nous sommes obligés de réfléchir à long terme, à l'échelle du siècle. Nous sommes obligés de nous dire : qu'est-ce que nous allons mettre en place comme stratégie pour assurer que ce patrimoine qui nous arrive après avoir traversé des siècles puisse continuer à être transmis pendant des siècles ? Nous comprenons très vite une chose, c'est que l'unique moyen de préserver ce patrimoine est de faire évoluer les techniques qui ont présidé à sa création. Le seul moyen de préserver ces techniques, c'est tout simplement de continuer à les utiliser dans l'architecture contemporaine. C'est dans ce sens-là que le Festival Archi' Terre œuvre. Ce festival promeut la préservation du patrimoine, mais dans le cadre de l'utilisation des matériaux locaux dans la construction à des fins patrimoniales. Mais il y a d'autres matériaux. On peut trouver énormément d'avantages. Ce sont des matériaux recyclables et naturels, pas du tout nocifs pour la santé humaine et ultra- économiques. - Après une absence fort remarquée en 2016, le festival revient cette année, mais sous la forme d'une micro-édition ? Etant donné que nous n'avons pas eu de dotation, nous n'avons rien fait en 2016. En 2017, nous nous sommes dit, ‘‘ce n'est pas parce que nous n'avons pas de dotation que nous allons baisser les bras''. Nous avons décidé d'essayer de composer avec le reliquat qui nous restait de 2015 et d'essayer de sensibiliser quelques sponsors. Il faut dire que les sponsors, c'est très compliqué. Il faut comprendre qu'il n'y a pas dans notre pays de culture de sponsoring culturel. Nous avons tout de même réussi à en trouver quelques-uns, à l'image du CNRPAH (Centre national de recherche préhistorique, anthropologique et historique). Cette année, le Batimatec est notre partenaire. Il nous accueille et prend en charge beaucoup de choses. - Justement, quelles sont les grandes lignes de cette micro-édition ? Nous avons prévu, cette année, trois moments forts. Nous avons une exposition intitulée «Architecture en terre d'aujourd'hui». C'est une exposition que nous avons réussi à obtenir gracieusement. Il s'agit d'une exposition qui a été faite dans le cadre de la conférence mondiale sur les architectures de terre qui s'appelle «Terra Award 2016», qui s'est tenue en juillet dernier, à Lyon. Dans ce cadre-là, les organisateurs ont lancé un prix mondial des architectures contemporaines. Avec les 40 finalistes de ce prix, ils ont monté une exposition. C'est cette exposition qu'on présente aujourd'hui, montrant 40 projets réalisés partout dans le monde avec le matériau terre, mais d'une manière contemporaine. Cette exposition est en train de tourner sur les cinq continent. Nous avons la chance de pouvoir la faire tourner, aussi, en Algérie, car nous avons réussi à obtenir les droits, non seulement pour «Archi' Terre», mais également pour le capteur. Ce dernier va continuer à porter cette exposition et à lui assurer une itinérance en Algérie à travers les départements d'architecture et de génie civil du pays. Toujours dans le cadre de ce festival, nous avons organisé, cette année seulement, un atelier. D'habitude, sur «Archi'Terre», il y a sept ateliers. Cet unique atelier repose sur un bloc de terre comprimé. C'est une technique contemporaine d'utilisation du matériau terre, qui est la plus proche de notre technique traditionnelle, qui s'appelle l'adobe (terme en arabe e'tob). Dans le cadre de cet atelier, nous recevons les étudiants de 1re année de l'EPAU. Malheureusement, les autres étudiants des départements d'architecture et de génie civil ne seront pas là cette année. On le regrette vraiment. Nous avons fait appel, également, au ministère de l'Enseignement et de la Formation professionnels, qui nous a envoyé des enseignants -issus de tout le territoire national- du module de maçonnerie. Ils vont être initiés à travers cet atelier de l'importance de l'utilisation de ces matériaux. On espère que cela va aboutir à une coopération de grande haleine avec le ministère pour la définition de la formation. La troisième halte du festival repose sur l'organisation de trois conférences. Elles se tiendront dans la matinée du mercredi, à la salle Mâachi. C'est une journée d'information et de sensibilisation sur les constructions contemporaines en terre. Il y aura trois intervenants, à savoir l'architecte algérienne, Ilhem Benhatéme, la directrice américaine de l'Institut Auroville en Inde, Lara Devis, et le chercheur et architecte spécialisé dans la construction en terre, Jean Marie Le Tiec. Si habituellement nous convions une trentaine d'experts, cette année, nous avons essayé de trouver une solution à cette crise, car nous sommes des amoureux du patrimoine algérien. C'est une solution qui est tellement viable. - Pour le bon déroulement de l'édition 2018, vous comptez lancer un appel pressant ? Nous faisons appel à tous ceux qui sont amoureux du patrimoine et qui ont envie de faire quelque chose pour nous aider à faire en sorte que nos enfants et nos petits-enfants aient la même chance que nous d'avoir un patrimoine. C'est une chance pour moi qui suis architecte d'avoir découvert ce patrimoine. Notre patrimoine est réellement partout sur le territoire national. Ce sont des leçons d'architecture. J'ai parcouru le territoire pour faire des photos. Et chaque fois que j'arrivais, je me disais : qu'est-ce que nous étions et qu'est-ce que nous sommes devenus. On avait un génie constructif fabuleux en Algérie. Aujourd'hui, on a besoin d'un bulldozer. Si on ne terrasse pas, on est capable de construire une maison. Nos ancêtres ont eu cette intelligence fabuleuse de réaliser un patrimoine absolument génial. Il faut qu'on s'entraide pour faire en sorte de le préserver. Que nos jeunes architectes et maçons s'investissent pour que ce patrimoine parvienne à des générations futures. - N'envisagez-vous pas de déplacer le festival à l'intérieur du pays ? Si nous ne le faisons pas, c'est juste à cause des moyens logistiques. Faire arriver des étudiants de tous les départements d'architecture et de génie civil du pays, c'est très compliqué. Quand j'ai préconisé la création de ce festival, j'avais l'intention à moyen terme d'essayer de convaincre, ensuite de créer, toute l'année, de petits festivals nationaux. Aujourd'hui, on sait très bien que les conditions économiques ne le permettent pas, mais j'espère que la relève le fera un jour.