Baisse de la publicité, érosion du lectorat, concurrence du numérique. La presse vit une situation préoccupante, aggravée par la crise économique qui s'installe dans la durée. Les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs d'aide directs et indirects au profit des entreprises de presse. Au lendemain de sa nomination en mai 2014, le ministre de la Communication, Hamid Grine, a expliqué que la répartition des aides, notamment la publicité, prendra en compte la «capacité de tirage des journaux, leur rayonnement et leur impact». Plus tard, il appellera les éditeurs, annonceurs et journalistes à respecter «le cercle vertueux» de l'éthique pour pouvoir bénéficier des subventions publiques. «Voilà trois ans que ce monsieur est à la tête de ce ministère, mais pour quel bilan ? Tout d'abord, on remarque que la répartition de la publicité étatique via l'ANEP se fait toujours dans l'opacité la plus absolue. Pour ces critères de distribution de la rente publicitaire, je remarque que ‘‘le rayonnement et l'impact'' restent des concepts trop vagues, voire trop subjectifs, car ils obéissent à des appréciations idéologiques et politiques et pas professionnelles», estime Redouane Boudjemaa, enseignant à la faculté des sciences de la communication et observateur averti du champ médiatique national. Et de détailler : «Pour le respect de l'éthique comme critère, il n'est pas clair dans le discours du ministre et dans les pratiques des pouvoirs publics, vu qu'il n'existe aucun instrument objectif qui publie des rapports clairs, construits sur des méthodologies scientifiques sur les différentes formes de violation de l'éthique journalistique. On remarque également que dans la pratique, l'éthique prend de plus en plus la forme de censure politique ; la preuve, beaucoup de journaux très corrects politiquement envers les différents cercles du pouvoir et qui font dans le sensationnel et dans la haine raciale, la xénophobie, le sexisme, etc., bénéficient d'une moyenne de 4 à 5 pages de publicité ANEP quotidiennement, avec des facilités extraordinaires avec les imprimeries publiques.» La loi de finances 1991 a créé un compte d'affectation spécial n° 309 059 intitulé : «Fonds de promotion de la presse écrite et audiovisuelle». Ce fonds de soutien à la presse, alimenté par les différentes lois de finances, est gelé pour des raisons essentiellement politiques. «Le fonds de soutien à la presse, estimé à 80 ou 79 milliards de centimes selon la déclaration du ministre de la Communication, est gelé. Pourquoi l'avoir gelé ? Cela ne pouvait être que pour des raisons politiques puisque les mêmes raisons qui sont derrière le mode de gestion de la publicité de l'ANEP ont été derrière cette décision», estime Kamel Amarni, secrétaire général du Syndicat national des journalistes (SNJ). Et de préciser que le fonds «n'est rien du tout» comparativement à la taille du champ médiatique national (171 quotidiens en 2016, des périodiques, des télévisions satellitaires privées et une soixantaine de radios). Membre de l'Initiative nationale pour la dignité des journalistes (INDJ), Zahir Mahdaoui s'étonne du gel du fonds «depuis 20 ans» et l'explique par des tiraillements à l'intérieur de la corporation (éditeurs, syndicat et pouvoirs publics). «Ce fonds devait servir notamment à la formation des journalistes, mais aussi aider les journalistes en difficulté (décès, maladies, etc.)», signale le journaliste. Répartition «opaque» Le ministre de la Communication a demandé en novembre dernier aux journalistes de s'organiser pour permettre de rendre opérationnel le fonds d'aide. Dans une déclaration plus récente faite en marge d'une conférence animée à l'Ecole de journalisme de Ben Aknoun (Alger), le ministre a affirmé que le fonds ne sera finalement pas réactivé puisqu'il a été annulé comme tous les comptes publics. Le secrétaire général du SNJ affirme qu'il y a un cadre organisationnel sur lequel la tutelle aurait pu s'appuyer pour gérer ce fonds. «Cette chanson (organisation de la corporation), je l'ai tellement entendue ! On nous demande de nous organiser, alors qu'il y a un cadre légal qu'on ignore. On ne prétend pas représenter tout le monde, mais on est là. On a essayé de nous casser à plusieurs reprises à travers l'UGTA. Ils ont créé des syndicats à travers ce syndicat. Eux ont disparu, nous, nous sommes toujours là», relève le secrétaire général du SNJ. Redouane Boudjemaa, enseignant à l'ex-ITFC, s'étonne que le ministre s'ingère dans les affaires de la corporation. «Sur le plan de la forme, un ministre a-t-il le droit ou la mission de s'ingérer dans les affaires et les problèmes internes à l'organisation de la corporation ? C'est une aberration sur le plan de l'éthique politique, c'est même une forme de négation de l'éthique politique», estime-t-il, en soulignant que la corporation journalistique a été affaiblie par des luttes et des dysfonctionnements liés à la nature du système et du contexte socioéconomique, mais aussi par des entraves bureaucratiques. Pour l'enseignant, il faut s'interroger pourquoi le ministère de tutelle ne publie jamais les chiffres liés aux aides directes ou indirectes des différents titres de la presse. «On a le droit de se demander pourquoi on ne publie pas les bilans financiers des fonds de soutien à la presse, les bilans des imprimeries publiques, les bilans de la distribution publique de la presse et les bilans de l'ANEP», fait-il remarquer, en précisant que la publication de ces chiffres devra renseigner sur les orientations données par le système politique aux médias et le rôle qu'il leur aura été attribué dans les différentes étapes qu'a connues l'Algérie de 1990 à nos jours. Quels critères adopter alors pour la distribution des aides publiques et quelle presse veulent les pouvoirs publics ? Kamel Amarni propose d'assainir d'abord le champ médiatique et laisser faire le marché. «Des éditeurs n'ont rien à faire dans le métier. De faux médias continuent de bénéficier d'une manne publicitaire que ni leur taille ni leur lectorat ne justifient, alors qu'ils ne payent ni n'assurent leurs travailleurs. De l'autre côté, il faut cesser de pénaliser des journaux qui ne sont pas forcément très favorables au gouvernement, tout en maintenant en vie des canards boiteux grâce aux deniers publics. Laissons faire le marché une fois mises en place toutes les règles du jeu», poursuit le syndicaliste. Il nous a été impossible d'avoir la version du ministre de la Communication, malgré nos appels incessants.