Utopie : c'est le point de départ du film. La réalisatrice avait capté une réflexion proposée par le théâtre d'Epinay-sur-Seine : « Existe-t-il encore, dans cette ville de la banlieue nord de Paris, des énergies, des comportements, qui se rapporteraient à l'utopie ? » « Comme Don Quichotte », elle est partie à la recherche de cette utopie. Dans un entretien accordé à l'écrivain, poète et psychanalyste Nabil Farès, repris dans le site Web de la chaîne Planète, Chantal Briet explique qu'elle est revenue de sa recherche avec, dans ses bagages, « plusieurs rencontres de personnes de toutes les conditions, plus ou moins allumées, passionnées, qui y croyaient encore, ou qui rêvaient encore, ou qui faisaient... » « Par la suite, je suis restée en contact avec Ali, car j'ai senti que son épicerie pouvait être un lieu magnifique pour faire un film », a-t-elle ajouté. Pour elle, l'utopie, ce serait un peu le pays imaginaire où un gouvernement idéal règne sur un peuple heureux, et le petit commerce fonctionnerait de la même manière : « Un microcosme exemplaire : qu'on soit vieux ou jeune, riche ou pauvre ou d'une quelconque des nombreuses nationalités présentes dans cette cité, on peut avoir sa place dans cette épicerie, et venir acheter, ou bavarder, ou boire le café du matin, ou lire le journal, voila le lieu où je désire filmer. Même si c'est fragile, éphémère et forcément pas toujours idéal dans la réalité... » La réalisatrice n'habite pas la banlieue, mais semble s'y plaire beaucoup. Pour elle, on n'y est pas en guerre, mais souvent dans le drame, « pas celui qu'on nous montre, un drame plus profond, plus caché, plus universel ». Et l'épicerie « contient le monde, sa tragédie, mais aussi sa force de vie… » C'est ainsi qu'elle y passera du temps. Beaucoup de temps. Le temps de mûrir le projet puis de l'écrire. En tout, un peu plus d'une année. Puis il a fallu trouver le procédé : « Je voulais filmer la vie, mais comment filme-t-on la vie ? On pourrait placer une caméra de surveillance et ensuite monter les images. Ça aussi, ce serait un film… mais pas le mien. Moi, je cherchais comment filmer des êtres en train de vivre dans ce lieu et comment en faire de vrais personnages de cinéma, auxquels on pourrait s'attacher, avec lesquels on pourrait ressentir des émotions proches de celles qui sont vécues là-bas – là bas, dans ce petit monde d'une épicerie de banlieue. » Et puis, tout en restant dans le documentaire, Chantal Briet voulait sortir des conventions pour ne pas avoir à rejeter les émotions et pour avoir des personnages ambigus, comme dans la vie… d'autant qu'il s'agissait de la vraie vie. D'ailleurs, elle n'a pas eu à choisir des personnages. Certains, d'emblée, ne voulaient pas être filmés et évitaient l'épicerie pendant les tournages. D'autres ont accepté de se prêter au jeu, celui de vivre durant le tournage. « Ils avaient envie de prendre leur place dans le film, et ils la prenaient. Ils devenaient les personnages d'un film. » Le héros, touchant et généreux, c'est le propriétaire des lieux, Ali. Ali dans sa caverne, puisque l'épicerie en est vraiment une. Dans le même entretien, la réalisatrice explique pourtant : « J'aurais aimé, je ne pense pas avoir réussi, éviter l'écueil de faire d'Ali un héros, une icône. C'est forcément réducteur et dangereux, parce qu'après la vraie vie continue. Là, on se retrouve dans les questionnements et la complexité du travail de documentaire... En même temps, Ali est musicien et aussi un très bon chanteur. Il est donc déjà dans le spectacle, et il rêve de pouvoir accompagner le film en chantant. C'est quelque chose de possible… » Un film politique ? Certainement. La réalisatrice était consciente que filmer ce lieu unique comme une « utopie », est une démarche politique. « Aujourd'hui, on est dans le culte de la croissance, du ‘'tout rentable''. J'ai voulu filmer le petit par rapport au gros, l'alimentation générale par rapport à Carrefour… Dans cette épicerie, les gens viennent chercher quelque chose qui ne peut être pensée ni mise en place par les politiques ou par les responsables des grandes surfaces. » Mais avant tout, Alimentation générale est un film profondément humain. Humain, peut-être aussi parce que la réalisatrice ne s'est pas contentée de filmer « ses » personnages en situation, dans « l'épicerie-théâtre ». Elle affirme être allée rencontrer chacun d'entre eux chez lui, à la recherche de ce quelque chose qui est en rapport avec leur vie, « leur être plus que leur paraître ». Et c'est ainsi qu'elle a su filmer la vie…