La création du Musée national des beaux-arts d'Alger a fait partie des grands projets de la célébration du centenaire de la colonisation en 1930, une période où la ville européenne se met en place dans un pays considéré comme « pacifié », détruisant au passage une bonne partie de l'architecture urbaine locale. Erigé en fonction de l'idéologie qui consiste à faire l'éloge de la grandeur coloniale et de sa puissance, c'est un savant mélange de néo-classicisme et d'architecture moderne, un monument superbe à la gloire de l'art européen. Son architecte, Paul Guion, l'a implanté de manière à dominer la baie d'Alger. Il offre une vue imprenable sur le Jardin d'essais du Hamma (aménagé par Guion aussi) et sa fameuse perspective, réplique du classicisme triomphant des jardins de Versailles. Ce n'est pas par hasard d'ailleurs qu'il est situé sur les hauteurs. L'accès, assez abrupt, ne fait qu'accentuer le caractère inaccessible aux profanes de l'art comme création réservée. Pendant toute la colonisation, il a servi de lieu de conservation et de consécration de l'esthétique coloniale et de l'art européen. Il est vrai que, dès l'indépendance, devenu propriété de l'Etat algérien, c'est la même fonction de sauvegarde qui a servi à récupérer le patrimoine pictural algérien. Il est de ce fait devenu un haut lieu de mémoire, de conservation et de documentation artistique, riche en informations concernant aussi bien la période coloniale que celle de l'Algérie indépendante. On pouvait penser dès lors que cette nouvelle situation (la réappropriation post-coloniale du lieu) impliquait presque automatiquement la perception du musée comme un nouveau lieu de vie et d'expérience, de sens et de pluralité, d'expression et d'interprétation. Mais, l'héritage de la conception du musée romantique du XIXe siècle, comme espace réservé, où l'art est confiné comme un objet sacré, est lourd et complexe. Il apporte en particulier une résistance au changement, une certaine frilosité face à l'innovation et entretient l'idée d'une perception sélective de l'art par un public choisi et mondain. De là, certains le perçoivent comme beau, mais lointain et élitiste. L'ouverture d'un nouveau musée d'art moderne et contemporain à Alger va certainement soulager l'actuel Musée des beaux arts qui vit des difficultés dues à la surcharge des réserves, aux menaces que constituent les infiltrations et l'humidité pour la conservation. Il vient enrichir le paysage muséal et du coup repenser la conception du musée elle-même en remettant à l'avant-plan la question de son rôle dans notre société ainsi que dans la ville. Le musée aujourd'hui doit jouer un rôle de premier plan au sein du paysage culturel : rôle social, économique et symbolique. Il peut devenir un phare de valorisation de la ville et de son avenir et dépasser ainsi ses fonctions de conservation ou d'exposition des œuvres. C'est peut-être dans cet esprit qu'a été pensée son ouverture, en plein cœur de la capitale, dans les anciennes Galeries algériennes. Parfait exemple de l'architecture néo-mauresque coloniale, rue Larbi Ben M'hidi, l'édifice fut réalisé par l'architecte Henry Petit de 1906 à 1909, à la demande de Charles Celestin Jonnart, alors gouverneur de l'Algérie. Celui-ci fut l'initiateur de ce nouveau style architectural aux tendances orientales, le néo-mauresque, qu'il va imposer à la construction des édifices publics, y voyant un facteur de rapprochement avec les Algériens. La décision d'y installer un musée d'art moderne et contemporain est donc, de ce point de vue, significative à plus d'un titre. L'événement est un acte de souveraineté culturelle qui déplace le réceptacle de la culture dans un lieu plus proche du discours esthétique local et qui dépasse celui de simple ouverture d'un musée. D'abord, il représente l'aboutissement d'une rencontre fructueuse entre culture et politique qui est importante pour deux raisons au moins. La première est qu'elle impose une relecture des représentations architecturales issues du siècle passé et héritées de la colonisation. La deuxième est qu'elle relève de la logique d'une capitale en mouvement, de quartiers à revaloriser et de dynamiques urbaines à promouvoir. D'une part est soulignée la volonté d'écrire notre propre histoire de l'art, puisque ce musée abritera toutes les collections de l'art moderne (du début du XXe siècle) et de l'art contemporain aussi bien algérien qu'international et partant, les rendra visibles au public. D'autre part, il esquisse une réappropriation possible du paysage urbain de la ville car le lieu, connu par les Algérois, est chargé de connotations diverses : rappel de la période coloniale, admiration pour la beauté architecturale et le travail splendide des artisans algériens, nostalgie pour le temps où ce lieu était accessible au large public en tant que centre commercial… De ce point de vue, le choix du lieu, bien que salué dans le milieu de l'art, déroute autant qu'il séduit. Il tient à la fois du palais mauresque, du grand magasin et du musée architectural. D'où la difficulté de le qualifier. Le travail des ébénistes, enlumineurs, sculpteurs sur bois algériens dont parmi les plus célèbres, Hamimouna, créera, à coup sûr, une confrontation esthétique intéressante et sans doute suggérer le passage des différentes générations d'artistes algériens. On peut penser qu'il va contribuer à changer la relation entre la mémoire de la ville et la vision de ses acteurs contemporains, car cette réinterprétation des symboles architecturaux coloniaux en fait un lieu de réappropriation du présent et du passé. Dans tous les cas, il ouvre des pistes fortes de questionnement sur le rapport entre mémoire, musée et espaces. Il est évident qu'il provoque et bouleverse l'image traditionnelle du musée d'art telle que nous l'avons héritée du XIXe siècle colonial. Conçu en ouverture sur la voie urbaine, il peut devenir un véritable lieu d'interprétation par son architecture et par la programmation culturelle novatrice qui en est attendue. Ceci nous permet de penser qu'il va déjouer les habitudes de fréquentation du quartier où il s'installe, et en tant qu'élément de transformation citadine, contribuer à un nouveau rapport symbolique entre espace public et citoyen. L'exemple en a été fourni, dans l'histoire des musées, par les musées Beaubourg de Paris ou Guggenheim de Bilbao, qui ont, de façon beaucoup plus spectaculaire et dans des conditions différentes, il est vrai, modifié le paysage de leurs villes et du même coup, instauré de nouveau rapports entre culture et mémoire, espace public et espace de sens, urbanité et citoyenneté. Les débats que suscite le projet dans différents milieux prouvent bien qu'il ne laisse personne indifférent et révèlent la complexité du rapport que nous avons aux lieux culturels de la mémoire : certains considèrent que le lieu ne correspond pas à sa nouvelle fonction, d'autres qu'elle va l'altérer, qu'on devrait lui redonner sa fonction initiale, etc. Laissé longtemps à l'abandon, le lieu fait l'objet aujourd'hui d'une restauration et de réparations importantes qui, lorsqu'elles seront achevées, livreront au public, en plus d'un nouveau musée, une œuvre d'art. Espace pour la diffusion de l'art vivant, il est appelé à introduire un nouveau discours esthétique mené par nous-mêmes, sur nous-mêmes et sur l'autre.