En 2009. Rayhana, comédienne et metteur en scène, qui a fui l'Algérie durant les années 90', monte sa pièce à la Maison des Métallos à Paris. Le spectacle est un triomphe. Un soir, sont présents dans la salle le cinéaste Costa Gavras et son épouse, la productrice Michèle Ray. Des années durant, cette dernière incitera Rayhana à porter à l'écran ce brûlot féministe qui fustige autant l'islamisme que le patriarcat. Aujourd'hui c'est chose faite. Le film est en salles et la critique quasi unanime dans ses éloges. Pourquoi avoir choisi le hammam comme lieu unique ? Tout simplement parce qu'il symbolise «le lieu cathartique de la mise à nu…». Celui où les femmes peuvent se rendre sans subir la réprimande ou l'anathème. Et pourtant, à l'époque de la décennie noire en Algérie, les islamistes l'ont décrété illicite car identifié à la nudité ! Une femme n'est censée montrer son corps qu'à son époux. La raison première du propos de Rayhana, c'est la diatribe anti-féminine des islamistes pour lesquels «les femmes sont la racine du mal». Tel est le credo du FIS (Front islamique du salut) qui a fait peser une menace lourde sur l'ensemble de la société algérienne. A mon âge je me cache encore pour fumer est une adaptation réussie de la pièce de théâtre éponyme. La réalisatrice développe en effet un récit tout à fait cinématographique où la grammaire du 7e art et la mise en scène sont parfaitement maîtrisées. Rayhana a su diriger une galerie de portraits féminins. Ces femmes, à l'abri du regard des hommes, peuvent se mouvoir dans leur nudité assumée. Elles se frottent, dialoguent librement et surtout fument, ultime interdit levé. Elles se racontent sans gêne ; les mariages ratés, (l'une d'elles mariée de force à 8 ans !), les vies brisées, avenir incertain, rêve du prince charmant, tout y passe dans cette odeur d'huile d'argan et de tabac… A l'extérieur, les bombes explosent et malgré tout on parle d'amour, qu'on soit jeunes ou vieilles, grasses ou maigres, gaies ou apeurées. Le critique cinéma du Nouvel Observateur, François Forestier, fait le rapprochement avec Femmes de Georges Cukor (1939), d'après Francis Scott Fitzgerald, en soulignant que ce tableau de quinze femmes dans un institut de beauté était «fielleux et ironique» et chez Rayhana, «vif et tranchant». Etrange destin : Costa Gavras tourne Z à Alger pour dénoncer la dictature des colonels dans son pays, la Grèce. Rayhana, elle, tourne son adaptation en Grèce où elle trouve le hammam qui va abriter son propos et ses actrices. Pourquoi pas à Alger ? «On a pas essayé en Algérie : il nous fallait un très grand hammam et par ailleurs aucune comédienne locale n'a accepté de tenir un rôle. Je peux les comprendre, elles auraient été contraintes de quitter le pays. C'est le premier film arabe fait par une Arabe et joué par des femmes arabes où il y a une telle nudité. Personne n'en veut en Algérie. Mais une fois qu'il aura quitté les salles, je m'arrangerai pour que les Algériennes le voient en le mettant moi-même sur internet». Bravo donc à Hiam Abass, Nadia Kaci ou la toujours étonnante Biyouna qui ont prêté leur corps et leur talent de comédiennes pour porter… aux nues ce brûlot féministe.