Comment rendre visite en premier à l'un et éviter de froisser l'autre ? Scruté, sur-interprété et chargé de spéculations, le déplacement du chef de l'Etat français dans les deux principaux pays du Maghreb – Algérie et Maroc – est un exercice d'équilibre diplomatique soigneusement orchestré auquel sera soumis le prochain périple d'Emmanuel Macron à Rabat prévu pour les 14 et 15 juin. Un casse-tête diplomatique ! Soucieux des «rivalités politiques et symboliques» entre les deux pays, Paris s'arrange souvent pour ménager les susceptibilités des deux capitales qui «se chamaillent pour s'adjuger les bonnes grâces de Paris». Traditionnellement, le premier voyage du nouveau chef de l'Etat français à l'étranger en dehors de l'Union européenne est réservé, pour des raisons évidentes, au Maghreb. Souvent Alger est la première escale. C'était le cas avec Jacques Chirac en décembre 2002, avec Nicolas Sarkozy en juillet 2007 et François Hollande en décembre 2012. Pour les autorités politiques, il s'agit d'un geste de «préférence» et «un choix d'amitié». Le nouveau locataire de l'Elysée, Emmanuel Macron, va rompre avec cette tradition en se rendant d'abord au Maroc. Il va sans dire que le gouvernement algérien aurait aimé qu'il entame son premier déplacement dans le Maghreb par l'Algérie. Cependant, en l'état actuel des choses, une visite officielle à Alger serait «risquée» en raison de l'état de santé du président Abdelaziz Bouteflika. L'embarrassant épisode Merkel du 20 février 2017, contrainte d'annuler sa visite le jour même, pèse encore. Partagé entre une proximité avec Rabat et le souci de préserver le niveau des relations avec Alger, Paris n'a nulle envie de froisser les autorités algériennes. A quelques jours de sa visite marocaine, le président français a tenu à «rassurer» son homologue algérien. Selon un communiqué de la présidence de la République, M. Bouteflika et M. Macron se sont «entretenus au téléphone jeudi passé» où il était question d'«un échange de vue sur la situation en Libye et au Mali et de leur détermination commune pour conjuguer leurs efforts d'extirper le terrorisme de la région du Sahel». Une occasion surtout pour Emmanuel Macron d'assurer de «son projet de visite en Algérie dans les prochaines semaines», ajoute la même source. Et pour mieux rassurer encore, le gouvernement français dépêche à Alger son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian – un connaisseur de l'Algérie – pour une visite de travail lundi et mardi prochains. Mais, pour nombre d'observateurs des relations franco-maghrébines, le choix de la première escale du président français pour son déplacement dans la rive sud de la Méditerranée «n'est pas aussi déterminant pour les relations bilatérales. Elles obéissent à d'autres critères plus sérieux et stratégiques mais pas des humeurs de conjoncture liées à un voyage…» La France, qui compte des intérêts vitaux en Algérie et au Maroc, «s'arrange souvent pour ne pas se prendre au piège des rivalités inter-maghrébines». «Le souci de Paris est d'avoir une même symétrie nonobstant les avantages qu'offre le Maroc, la proximité qui peut y avoir entre l'establishment parisien et le palais royal», nous confie un ancien diplomate algérien. Cela étant dit, avec l'Algérie les relations sont tout aussi denses, multiples et complexes, mais parfois tumultueuses en raison du poids de l'histoire. La coopération entre les deux pays couvre tous les domaines et certains voient la relation comme relevant aussi de la «politique intérieure». Pour le président français, l'Algérie constitue une «porte d'entrée» vers le continent africain. Un chantier stratégique ambitieux.