Le journaliste-fixeur Saïd Chitour ne quittera pas la prison. C'est ce qu'a décidé le juge d'instruction chargé de l'enquête judiciaire, au tribunal de Dar El Beida à Alger, en rejetant la demande de mise en liberté provisoire, déposée par ses avocats la semaine écoulée. Le magistrat devra clore le dossier en début du mois d'août prochain. En détention depuis le 5 juin dernier, le journaliste-fixeur Saïd Chitour restera en prison en attendant que l'instruction prenne fin et que l'affaire soit enrôlée pour être jugée. Ses deux avocats, Khaled Bourayou et Miloud Brahimi, ont vu leur demande de mise en liberté rejetée par le magistrat instructeur, près le tribunal de Dar El Beida, à Alger. «Nous ne nous sommes pas pourvus contre cette décision pour ne pas prolonger la détention du prévenu, surtout que le juge devra clore son instruction, en début du mois d'août, avec la dernière audition et le dossier devra être renvoyé devant la chambre d'accusation juste après», expliquent les avocats. Saïd Chitour, faut-il le rappeler, avait été arrêté à l'aéroport d'Alger, à son retour d'Espagne, par des officiers du contre-espionnage de l'armée, avant d'être maintenu en garde à vue pour être entendu, puis présenté devant le tribunal de Dar El Beida, à Alger, qui l'a placé sous mandat de dépôt en vertu de l'article 45 du code pénal, qui punit «quiconque rassemble des renseignements, objets, documents ou procédés dont la réunion et l'exploitation sont de nature à nuire à la défense nationale ou à l'économie nationale, dans l'intention de les livrer à une puissance étrangère». Des faits qualifiés d'acte criminel et de ce fait passibles de la réclusion perpétuelle. Les avocats sont formels. «Dans le dossier, il n'y a aucun document prouvant que ces faits ont été commis. De par son statut de journaliste, il ne peut avoir accès à des informations aussi importantes. L'article 45 ne s'applique nullement à son cas. J'ai confiance en la justice et j'espère profondément que la qualification des faits soit revue», déclare Me Miloud Brahimi. Lui emboîtant le pas, Me Khaled Bourayou récuse totalement «la notion d'espionnage» contenue dans le dossier en raison, dit-il, de l'absence de preuves matérielles sur lesquelles s'appuie l'accusation. Selon lui, «pour avoir ce genre de renseignement, il faut accéder aux sources qui les détiennent. Saïd Chitour n'a ni la qualité, ni la fonction, ni le statut pour obtenir ces informations. Ce n'est qu'un simple journaliste-fixeur. Comment aurait-il pu détenir des renseignements classés secret défense ou d'Etat ?» L'avocat tente de démonter l'accusation en relevant par ailleurs : «Si l'on accepte le fait d'avoir livré des informations de nature à nuire à la défense nationale, pourquoi le ministère de la Défense ne s'est-il pas constitué partie civile dans le dossier ?» Me Bourayou s'attarde sur l'article 65 du code pénal qui, d'après lui, est l'une des dispositions les plus rares qui n'a pas été touchée par la réforme depuis les années 1960. «Cet article, qui prévoit la prison à vie, comporte trop d'imprécisions. Il rappelle le code militaire avec sa disposition élastique de ‘‘non-respect des consignes'' dans laquelle on peut tout mettre. Plus un article est précis, plus il respecte les libertés et les droits», note Me Bourayou. En tout état de cause, l'affaire du journaliste a fait tache d'huile dans les milieux médiatiques et associatifs. Normal, Saïd Chitour est très connu dans les rédactions d'Alger, qu'il fréquente depuis les années 1990. Il servait de «fixeur» interprète pour de nombreux journalistes et universitaires étrangers, mais aussi à des personnalités politiques qui se rendaient en Algérie. La nouvelle de sa mise en détention très discrète s'est répandue comme une traînée de poudre lors d'une réception de l'ambassade américaine à Alger.