Placé en détention et poursuivi pour «avoir livré des informations de défense», le journaliste fixeur Said Chitour entame son deuxième mois depuis son interpellation par les agents du contre-espionnage militaire, alors que sa famille et sa défense plaident son innocence et craignent une «détérioration» de sa santé, affaiblie par le diabète. L'un de ses deux avocats, Me Khaled Bourayou, estime que les faits qui lui sont reprochés ne reposent sur aucune preuve, et l'article 65 du code pénal sur la base duquel il est poursuivi manque de précision et appelle à une autre lecture… Incarcéré depuis le 5 juin dernier à la prison d'El Harrach, à Alger, le journaliste fixeur (qui organise les rendez-vous des personnalités étrangères médiatiques ou autres avec leurs homologues algériens lors de leurs visites en Algérie), Saïd Chitour, se trouve mal dans sa cellule, en raison de complications liées à son diabète. Très inquiète, sa famille reste convaincue qu'il sortira de cette rude épreuve et plaide son innocence. Selon des sources bien informées, le mis en cause a été arrêté à son retour d'Espagne, à l'aéroport d'Alger, après une filature par les services du contre-espionnage de l'armée, qui aurait duré des mois, avec au moins deux interpellations, pour être interrogé sur son travail en tant que «fixeur» et interprète auprès de certaines ambassades anglo-saxonnes, avant d'être présenté devant le tribunal de Dar El Beïda, près la cour d'Alger, qui l'a placé sous mandat de dépôt. Il serait soupçonné «d'avoir livré», à ces ambassades, des «informations classées confidentielles de nature à porter atteinte à l'intérêt du pays». Deux ténors du barreau d'Alger, Mes Khaled Bourayou et Miloud Brahimi, assurent sa défense. D'emblée, Me Khaled Bourayou affirme que dans ce dossier, qui a fait couler beaucoup d'encre, «il n'y a aucune preuve» sur les faits qui lui sont reprochés. «Le prévenu est poursuivi en vertu de l'article 65 du code pénal qui stipule : ‘‘Est puni de la réclusion perpétuelle, quiconque, dans l'intention de les livrer à une puissance étrangère, rassemble des renseignements, objets, documents ou procédés dont la réunion et l'exploitation sont de nature à nuire à la défense nationale ou à l'économie nationale.'' Or, il n'y a aucun document prouvant que ces faits ont été commis.» L'avocat récuse la notion «d'espionnage» en précisant : «Pour avoir ce genre de renseignements, il faut accéder aux sources qui les détiennent. Saïd Chitour n'a ni la qualité, ni la fonction, ni le statut pour d'incarcérationobtenir ces informations. Ce n'est qu'un simple journaliste fixeur. Comment aurait-il pu détenir des renseignements classés secret-défense ou d'Etat ? Mieux encore. Si Saïd Chitour avait livré des informations de nature à nuire à la défense nationale, pourquoi le ministère de la Défense ne s'est pas constitué partie civile ?» Me Bourayou relève, en outre, qu'il y a une faille dans l'article sur la base duquel a été poursuivi son mandant. «Cette disposition du code pénal est l'une des rares qui n'a pas connu de changement depuis les années 1960. Elle comporte trop d'imprécisions et est devenue comme celle du code militaire, ‘‘le non-respect des consignes'', dans laquelle on peut tout mettre. Plus un article est précis, plus il garantit les libertés et les droits», explique Me Bourayou. Interrogé sur les violations de la procédure en matière d'interpellation et de garde à vue, l'avocat répond : «Je sais que dès le moment où il a été arrêté, Chitour a appelé son épouse pour l'informer, tout comme il a mis au courant d'autres membres de sa famille, avant qu'il ne me constitue pour assurer sa défense, et sa présentation au parquet s'est faite dans les délais.» Concernant son état de santé, Me Bourayou confirme que Chitour est «très affaibli» en raison du déséquilibre de sa glycémie. «C'est un diabétique, les interrogatoires, le choc, la détention sont autant de facteurs qui altèrent sa santé. Il est très fatigué mais serein», lance l'avocat. A signaler que Saïd Chitour est très connu dans les rédactions à Alger, et ce, depuis le début des années 1990. Il accompagnait souvent les professionnels des médias et les personnalités politiques étrangères, auxquels il servait d'interprète. L'information sur son arrestation très discrète a été distillée lors de la réception de l'ambassade américaine à Alger, lundi dernier. Elle s'est répandue comme une traînée de poudre, et a choqué plus d'un…