La question universelle de la préservation de l'environnement se décline au théâtre. C'est certainement l'une des pièces les plus décapantes du Festival Off cette année, Au bout du rouleau, que la compagnie Boni and prod' aborde au Théâtre des Carmes. Le dénommé Loiseau est un chômeur, victime de la mondialisation, qui enrichit les grosses sociétés internationales au détriment de larges pans de la population dans tous les pays. Pour protester, il prend en otage le leader mondial du papier toilette. Il veut rappeler à tous que les actes de consommation, même les plus insignifiants, ont des conséquences écologiques, économiques et humaines insoupçonnées. Ce preneur d'otages débutant devra composer avec un homme froid et cynique qui fera tout pour contrarier ses plans. Une œuvre traitée avec humour et un ton décalé. Chaque spectateur est libre, à la fin du spectacle, d'apprécier qui, du ravisseur ou de notre monde, est réellement au bout du rouleau. Didier Landucci, auteur et comédien, nous en parle : «La pièce est venue d'une idée que nous avions eue avec Gérard Dubouche avec qui je joue. Nous avions toujours été intéressés par la surconsommation, sur l'influence de nos gestes sur la planète. Il y a quatre ans, nous avions été interpellés par ce qui se passait au Venezuela. Après la mort d'Hugo Chavez et l'arrivée de Maduro au pouvoir, le Président a essayé de rendre accessible les produits de première nécessité aux gens, en cassant les prix. C'était une belle intention qui est devenue catastrophe. Les producteurs d'œufs, de viande, ou fabricants locaux, ont fait faillite en raison des prix trop bas. Ce qui était le plus étonnant et déroutant, c'était le papier toilette que l'Etat avait dû importer par millions de tonnes pour satisfaire les besoins, à tel point que c'est devenu une denrée rare, stockée dans des zones militaires gardées. Il y avait une manifestation devant. Ou bien aussi, quand les gens étaient invités, au lieu de porter des fleurs, ils portaient du «papèl higiénico !» Cette histoire apparaît comme irréelle, même si l'actualité de ces dernières semaines et jours mettent de nouveau le Venezuela au cœur des interrogations. «Cela paraît impensable, mais c'est vrai, même si c'est incroyable. En 2013, il y a eu des gens qui sont morts pour ça dans une manifestation, avec une charge militaro-policière. Mais dans quel monde vit-on où des gens meurent pour du papier toilette ? Et comment on en arrive là, dans un pays qui est l'un des producteurs de pétrole les plus riches au monde. Cette absurdité de la situation, même si on n'en parle pas dans la pièce, nous a amenés à traiter cet élément en apparence le plus futile qui soit dans la consommation. Un produit essentiellement occidental, car dans de nombreux pays, Maghreb, Japon, il n'est pas entré dans les mœurs, puisque l'eau est généralement utilisée. En France, au début du XXe siècle aussi. Ce sont les Américains, qui avaient déjà cette coutume-là, qui l'ont importée lors du débarquement de la Seconde Guerre mondiale.» Une inspiration écologique Voilà comment, avec un produit parmi les plus intimes, «les papetiers peu à peu sont devenus milliardaires, avec la destruction de forêts et l'utilisation de milliards de litres d'eau pour la fabrication. Enfin, ce qu'il faut savoir, c'est qu'un tiers de la population mondiale utilise le papier toilette, les deux tiers s'en passent», précise à El Watan Didier Landucci. Dans leur montage théâtral, ils font appel à la pensée et l'action d'inspiration écologique de Pierre Rabhi, d'origine algérienne. Pour Didier Landucci, c'est «un penseur, un humaniste, un écolo intelligent et qui a du bon sens, on a approfondi la connaissance de son travail. On a mêlé les deux. On part du principe, comme Pierre Rabhi, que chacun doit avoir une prise de conscience sur ses actes de consommation». Le spectacle est une fable. Il commence dans la dérision puis il devient de plus en plus sérieux. «On aime le mélange des genres. Pour que ce soit drôle, il faut qu'il y ait un drame plus fort. On a essayé d'aller dans le sens des comédies à l'italienne, genre ‘‘Pain et chocolat''. On ne voulait pas faire quelque chose d'uniquement drôle comme le sujet du papier toilette aurait pu le permettre, on ne voulait pas non plus à l'inverse faire un truc noir qui culpabiliserait. Poésie et lyrisme accompagnent notre démarche non pas moralisatrice mais d'un spectacle en forme de piqûre de rappel.»