Le clash présumé entre Tebboune et le cercle présidentiel continue à alimenter furieusement la chronique politique en ce mois d'août décidément bien agité. Dernière réaction en date : une tribune au vitriol postée par Noureddine Boukrouh sur sa page Facebook sous le titre : «Emeute au sommet de l'Etat». Analysant l'affaire sous tous ses avatars, il explore plusieurs hypothèses qui, toutes, mènent au même constat : un très grave délitement des institutions de l'Etat, à commencer par l'institution présidentielle qui s'en trouve profondément abîmée. L'auteur de L'Algérie entre le mauvais et le pire note d'emblée que le canal privilégié par le pouvoir pour sa communication de crise est la chaîne Ennahar TV aux dépens de l'APS et de l'ENTV, sachant qu'il s'agit-là, souligne-t-il, d'une «chaîne étrangère autorisée à activer en Algérie dans des limites excluant qu'elle puisse se substituer à la communication officielle». «Ennahar TV, fait-il remarquer, est devenue la source de toutes les sources, car ce qu'elle annonce dans ses news depuis deux ans se confirme généralement.» Pour le fondateur du PRA, la place prise par cette chaîne controversée est «un des mystères de la communication de l'Etat sous le quatrième mandat». Et de poursuivre : «Que nous a appris cette fois la source autorisée ? Qu'une émeute a éclaté au sommet de l'Etat et qu'on ne peut compter sur aucune police antiémeute pour restaurer l'ordre, car l'émeutier en chef, selon des informations qu'il est interdit de chercher à vérifier, serait le chef de l'Etat lui-même.» «De mémoire d'Algérien indépendant (si les informations distillées par Ennahar TV se confirment), on n'a jamais vu un président de la République se plaindre publiquement de son Premier ministre et pousser à l'émeute les membres de son équipe en leur enjoignant d'agir en s'affranchissant des directives issues d'un plan d'action adopté en Conseil des ministres, puis par le Parlement», commente Noureddine Boukrouh. «C'est ce qu'aurait fait le Président, selon Ennahar TV, en envoyant aux membres du gouvernement, en l'absence du Premier ministre (en fuite ou en vacances en France, on ne sait plus), ‘‘des instructions urgentes afin de mettre fin à l'anarchie née des dernières instructions relatives aux importations''.» Boukrouh : «Un énième épisode fantasque du quatrième mandat» M. Boukrouh estime que même s'il y avait un profond désaccord entre le chef de l'Etat putatif et son Premier ministre, les choses auraient dû se régler plus élégamment. «Alors qu'il aurait été plus indiqué de convoquer le Premier ministre ou de l'instruire par téléphone en attendant de le limoger le cas échéant sans ameuter l'univers, le Président a parlé de lui en public comme d'un délinquant qui ne tardera pas à être écroué». «Avec ce énième épisode fantasque du quatrième mandat, nous aurons franchi le mur du son. Avant, on n'entendait pas le ‘‘bang'' assourdissant quand un Premier ministre remplaçait un autre ; tout se faisait en douceur, à la vitesse subsonique, voire celle des ultrasons. Mais cette fois-ci, c'est vraiment le ‘‘big bang'', la débandade générale et bientôt peut-être le sauve-qui-peut», observe-t-il avec son habituelle faconde pleine d'ironie. L'ancien ministre passe ensuite en revue les différents scénarios en s'interrogeant sur l'auteur réel de ce tonitruant rappel à l'ordre. «Ces actes et ces paroles, qu'ils émanent du Président, de son frère ou d'Ouyahia selon une autre source, ne sont pas raisonnés ; ils sont incohérents et n'obéissent à aucune logique», dissèque-t-il. «Si l'erreur de casting concernant Benaggoune (l'éphémère ministre du Tourisme, ndlr) a laissé les observateurs pantois, celle s'appliquant à Tebboune pose par les invraisemblances qui l'entourent un très grave problème, celui de l'exercice des pouvoirs présidentiels», assène Noureddine Boukrouh. Il rappelle en passant le statut de Tebboune et sa proximité avec le Président depuis le premier mandat : «Car ce monsieur est un très ancien ami du Président ; il n'a pas un tempérament d'aventurier et n'est pas un gaffeur ; il est dans les rouages du pouvoir depuis des décennies et ne peut pas jouer ce qui lui reste à vivre à la roulette ; rappelons-nous aussi qu'il a été désigné il n'y a pas longtemps à l'Ordre national du mérite.» Autant d'incohérences qui ne font qu'ajouter à la confusion. «Signes de démence» M. Boukrouh met carrément les pieds dans le plat et n'hésite pas à émettre l'hypothèse d'une instabilité psychique du patient de Zéralda : «Si ce qui est imputé au président Abdelaziz Bouteflika par Ennahar TV émane réellement de lui, cela voudrait dire que nous ne sommes plus en présence d'un homme affligé d'une défaillance physique, mais aussi, depuis peu, d'une déficience mentale.» En conséquence de quoi il préconise : «Sa destitution immédiate s'imposerait alors comme une nécessité devant l'apparition de signes de démence, de confusion mentale ou de perte du discernement chez lui, risquant de placer le pays dans une situation de ‘‘péril imminent''.» Une autre piste disséquée avec soin par l'ancien compagnon de route de Malek Bennabi serait que c'est l'autre Bouteflika, en l'occurrence Saïd, qui serait à la manœuvre, ce qui poserait un sérieux problème dans la mesure où l'éminence grise du palais d'El Mouradia s'adjugerait des prérogatives présidentielles sans en être constitutionnellement mandaté : «S'il n'émane pas de lui, c'est donc de son frère, mais cela rendrait les choses encore plus compliquées : cela signifierait une éclipse totale du Président légal, la vacance de la fonction présidentielle et une usurpation de pouvoir.» Boukrouh n'omet pas d'examiner l'hypothèse d'un Ouyahia «volant au secours de ses amis du patronat». Cela ne ferait que «‘‘renforcer'' l'hypothèse de l'évanescence du Président tout en ouvrant instantanément une série d'interrogations sur une collusion inattendue entre lui et le frère du Président». Enfin, «si le Président dispose toujours de ses facultés mentales, pourquoi a-t-il laissé son frère emprunter l'apparat présidentiel à El Alia, et son directeur de cabinet attaquer Tebboune en son nom ?» se demande-t-il encore. Et de conclure, cinglant : «De quelque façon qu'on retourne le problème, on retombe toujours dans l'absurde, un absurde dérivant de l'absurdité du quatrième mandat. Qu'en sera-t-il d'un cinquième ?» Une «déclaration de guerre», selon Nekkaz Outre la lecture de Noureddine Boukrouh, notons la réaction du Parti des travailleurs, qui estime que c'est l'action annoncée des pouvoirs publics dans le sens de l'assainissement du secteur économique qui explique les attaques contre Tebboune. «C'est cette décision qui a déchaîné contre le Premier ministre et le ministre de l'Industrie une cabale médiatico-politique haineuse et abjecte aux relents nauséabonds», pointe le PT dans un communiqué rendu public mercredi dernier. De son côté, Rachid Nekkaz est également monté au créneau pour dénoncer, sur sa page Facebook, la campagne anti-Tebboune. «Rachid Nekkaz prévient les forces occultes qui manipulent et instrumentalisent la parole présidentielle d'El Mouradia : toute démission forcée du Premier ministre, Si Tebboune, sera considérée comme une déclaration de guerre contre tous les démocrates et contre tous ceux qui veulent lutter contre la corruption en Algérie», peut-on lire sur la page officielle de M. Nekkaz. Abderrazak Makri a réagi, lui aussi, sur son compte Facebook en écrivant : «Quels que soient son background et sa capacité à lutter contre la corruption, ses déclarations (celles de Tebboune, ndlr) lui ont conféré une popularité qui lui permet de postuler sérieusement à la présidence de la République de l'intérieur du pouvoir et ceci est une ligne rouge qui autorise tous les coups au-dessus et en dessous de la ceinture.» Makri termine en disant : «Les piliers de la corruption constituent désormais une force importante (dans le contexte de la déliquescence de l'Etat) et ils sont devenus partie prenante de la décision, avec des prolongements à l'extérieur du pays.» L'oligarchie, un «problème de défense nationale» C'est également l'avis du professeur Mourad Benachenhou. Dans une contribution parue dans Le Quotidien d'Oran sous le titre «Les termites n'ont pas de patrie» (édition du 3 août 2017), l'économiste écrit : «Il est évident que tout changement de cap dans le domaine central de la politique économique – qui a erré au cours de ces dernières décennies et a donné lieu à la création d'une classe de parasites pillards tournant autour des centres de pouvoir – aura des conséquences négatives sur cette nouvelle classe qui rêve de prendre les rênes du pouvoir politique en vue de sauvegarder ses milliards de dinars et de dollars mal acquis.» Et de souligner que «toutes les opportunités qui se présentent, si anodines soient-elles, soient exploitées par cette race de termites, dont la seule patrie est l'argent, n'a rien de surprenant.» «L'histoire d'autres pays est là pour prouver que la classe des ‘‘compradores'', ces hommes d'affaires qui construisent leurs richesses et leur puissance sur la dépendance de leurs pays à l'égard de l'étranger, n'hésite jamais à préférer ses intérêts à ceux de son pays, et à pousser, si ce n'est à créer les conditions justifiant l'intervention de puissances étrangères dans les affaires internes du pays.» Pour Mourad Benachenhou, l'enjeu, c'est le contrôle de l'économie, et «dans cette guerre économique permanente, la nouvelle classe des ‘‘milliardaires de pacotille'' algériens n'œuvre pas au profit de la défense des intérêts économiques et financiers du pays, et constitue une menace sécuritaire qui doit être traitée comme un problème de défense nationale à prendre au sérieux». «Ce régime est une catastrophe intellectuelle» Citons, pour finir, cet «appel au peuple algérien» lancé par le Dr Mohamed Belhoucine, un observateur avisé de la scène politique nationale. Dans une contribution adressée à El Watan, il alerte l'opinion au sujet des derniers développements en martelant : «Le principal instrument au service de l'impérialisme et du néocolonialisme sur lequel ce régime a su jouer a été la création de plus de 80 000 importateurs parasites (import-import) par Bouteflika pour mettre en œuvre la vente du marché et de l'économie de l'Algérie au profit de Washington et Paris, pour qu'en échange ce pouvoir obtienne leur soutien et des largesses (notons qu'à l'arrivée de Bouteflika, il y avait à peine 1600 importateurs).» Et de charger de plus belle : «Ce régime corrompu est une catastrophe intellectuelle à laquelle ont œuvré d'un commun accord Bouteflika et l'état-major de l'armée pour vendre l'Algérie afin qu'elle soit la déchetterie des produits industriels occidentaux sous la bénédiction de l'impérialisme et du capitalisme néolibéral visant à fournir soutien et aide politique à ce régime compradore et traître.» Pour M. Belhoucine, «seule la connaissance et la compréhension des rapports entre les classes sociales peuvent permettre de créer la dynamique pour enlever (oui enlever) toutes les richesses et les pouvoirs de cette petite oligarchie (500 personnes au maximum), dont la cupidité à l'égard de l'argent ampute l'anticipation de l'avenir de l'Algérie».