Si c'est le chef de l'Etat qui a véritablement ordonné la disgrâce de Haddad, pourquoi Saïd Bouteflika a-t-il pris sur lui de lui éviter l'infortune politique ? Plutôt deux fois qu'une, Saïd Bouteflika, le frère conseiller du président de la République, s'est illustré dans des attitudes pour le moins intrigantes, qui ont tout de suite constitué la trame à la chronique politique. Il a surpris une première fois, lorsqu'il sacrifia un vendredi pour aller battre le pavé dans une action de soutien à l'écrivain Rachid Boudjedra, victime d'une caméra cachée-traquenard de la chaîne de télévision Ennahar TV. La sortie a été largement commentée. Diverses supputations ont été émises. Y compris les plus invraisemblables, comme celle qui le présentait comme un candidat lorgnant la présidence de la République. Alors qu'on est toujours à tenter des décodages, voilà qu'il aggrave son mystère. Avant-hier, en effet, à l'enterrement de l'ancien chef de gouvernement Rédha Malek, au cimetière El-Alia, dans la proche banlieue est d'Alger, Saïd Bouteflika s'est fait comme un devoir de s'afficher, et de manière ostensible, avec le président du Forum des chefs d'entreprise (FCE), Ali Haddad, dont le démêlé public avec le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, était interprété comme une tombée en disgrâce. Tout le monde aura noté cette proximité chaleureuse entre lui et Ali Haddad qui venait de sortir d'une rencontre plutôt froide avec le Premier ministre. Saïd Bouteflika, qui n'ignorait certainement pas que son accolade appuyée au "patron" des patrons n'allait pas échapper à l'œil scrutateur des médias, devait finir par un autre geste fort significatif : faire monter Haddad dans la voiture de la présidence de la République pour quitter le cimetière. Le message ? Le président du FCE est toujours en odeur de sainteté chez le frère du président à qui l'on prête beaucoup de pouvoir. Et il suffit de juste un peu de perspicacité dans l'observation pour saisir que Saïd Bouteflika a, ce jour, travaillé à la réhabilitation d'Ali Haddad, objet d'une quarantaine de la part d'Abdelmadjid Tebboune. Un Premier ministre qui, dans sa réplique sèche à la bravade du binôme Haddad - Sidi-Saïd, a signifié qu'il agissait au nom du chef de l'Etat. D'ailleurs, dans ses confidences à des patrons qu'il a reçus le lendemain de la fameuse réunion des signataires du pacte économique à El-Aurassi, il a fait part d'une réunion restreinte avec Bouteflika, en présence du chef d'état-major de l'ANP, durant laquelle, le président de la République l'aurait instruit d'aller de l'avant. L'information n'a jamais été démentie. Elle a donc bien eu lieu. Alors, une question se pose : si c'est le chef de l'Etat qui a véritablement ordonné la disgrâce de Haddad, pourquoi Saïd Bouteflika a-t-il pris sur lui de lui éviter l'infortune politique ? Pas facile de répondre à une telle interrogation. Peu d'analystes se laisseraient aller à dire que le frère conseiller s'inscrirait dans un agenda politique autre que celui arrêté ou cautionné par le chef de l'Etat. Aussi, si le président de la République et son frère Saïd sont sur une même longueur d'onde, c'est, donc, forcément le Premier ministre qui ne le serait pas. Ce qui est difficile à admettre, à moins de se convaincre qu'Abdelmadjid Tebboune pourrait être impliqué dans un projet politique distinct de celui de Bouteflika, voire nourrir une ambition propre pour 2019. À moins de se convaincre aussi que Saïd Bouteflika jouerait en brouilleur de pistes, ses sorties devant distraire du vrai scénario qui se mettrait en place pour l'élection présidentielle de 2019. L'organisation de la succession à Bouteflika, en somme. Sofiane Aït Iflis