L'Algérien le plus connu des Italiens n'est pas Yasmina Khadra ni Zidane (les Italiens croient qu'il ne peut être que Français de souche, avec des yeux aussi clairs), et encore moins Abdelaziz Bouteflika. Beaucoup d'Italiens, à cause de la décennie noire du terrorisme, croient que ce sont les mollahs qui gouvernent en Algérie. Heureusement que le chantre de la musique raï Khaled est là pour tenir haut le prestige du pays dans la péninsule, surtout que depuis des années, il est convié chaque été par les organisateurs de la Fiesta Della Musica, pour animer un concert et faire danser des centaines de Romains et de touristes dans l'hippodrome des Capannelle à Rome. En tout cas, l'art et la culture servent à la géographie, puisque les mélomanes italiens savent désormais situer l'Algérie sur la carte de l'Afrique. Quant aux mordus de littérature, ceux qui ignorent la langue de Voltaire connaissent parfaitement les œuvres, traduites en italien, de Rachid Boudjedra (surtout La Répudiation), Assia Djebar, Malika Mokkedem, Waciny Laredj et, plus récemment, Mohammed Dib et Kateb Yacine, depuis qu'une petite maison d'édition du Nord, Epochè, a traduit La grande maison et Le cercle des représailles. Yasmina Khadra intrigue encore certains lecteurs italiens qui croient encore qu'il s'agit d'une femme alors que ceux qui se sont déplacés pour l'écouter à la dernière Foire du livre de Mantova, se sont dit « très déçus ». Certains nous ont avoué n'avoir pas compris son discours « arrogant et agressif », dans lequel il a usé à outrance du « vous » et du « nous ». Ces derniers se référaient sans doute au ton virulent et sec que l'auteur a mis dans les réponses à certains présents, désireux d'en savoir plus sur la thèse galvaudée par certains intellectuels occidentaux qui prédisent au monde un choc de civilisations et une guerre des religions. Et si les jeunes générations italiennes savent si peu de l'Algérie, leurs aînés, en revanche, gardent le coup de cœur qu'ils ont eu pour notre pays lors de la guerre de libération. Stimulés par les intellectuels d'outre-Alpes, comme Jean-Paul Sartre, plusieurs Italiens durant les années 1950 et 1960 ont soutenu la révolution algérienne. Certains se sont même engagés dans le réseau Janson pour contribuer à l'effort de l'ALN dans les maquis. A l'indépendance, l'expérience du socialisme et le rôle de pays leader du mouvement des non-alignés ont valu à l'Algérie une nouvelle vague de sympathie, qui a coïncidé avec la sortie sur les écrans italiens de La Bataille d'Alger, le chef-d'œuvre de Gillo Pontecorvo. Ce long métrage, tourné dans les ruelles de La Casbah en 1965, fait partie intégrante de la conscience politique de plusieurs générations d'Italiens. Et si la langue a souvent gêné l'exportation de la culture algérienne en Italie, la récente immigration algérienne dans la péninsule a déjà creusé une brèche dans cette épaisse ignorance qui entoure la culture algérienne. Des artistes peintres, comme Mohamed Houamel, Brahim Achir, Nadia Chekoufi ou des cinéastes comme Rachid Benhadj, des écrivains comme Amara Lakhous, installés dans des villes italiennes, favorisent la divulgation d'une culture enracinée dans le vécu de l'Algérie contemporaine. Il faut dire que les artistes et intellectuels algériens, qui vivent en Italie, se caractérisent par une création solitaire ou immergée dans la société italienne, discrète et de qualité. Les Algériens, contrairement à d'autres immigrés arabes, comme les Egyptiens ou les Syriens, ne vivent pas dans des ghettos culturels. Ils percent dans leur domaine, aux côtés des Italiens, fuyant la facilité et le chant de l'exotisme et du nihilisme que les artistes de la diaspora choisissent souvent pour se frayer un chemin vers une gloire rapide mais éphémère. Et c'est sans doute grâce à leur génie créateur et à leur persévérance que les Italiens finiront par se familiariser avec la littérature, la musique et les arts plastiques de l'Algérie. Et tant pis s'ils croiront encore un moment que Zidane est français d'origine et que le couscous est un plat pour végétariens.