Organiser une manifestation en plein été à Hassi Messaoud, sous des températures sahariennes extrêmes et au moment où tous les PDG sont en congé et que d'autres sont partis à La Mecque, tel est la pari fou d'un groupe de jeunes qui ont vu leur petite protestation réprimée par la police s'ancrer et attirer de la sympathie. Eux, ce sont une cinquantaine de jeunes diplômés de l'université de Ouargla ; ils maintiennent depuis trois semaines un sit-in en face de la direction générale de l'entreprise des services aux puits ENSP à Hassi Messaoud. Après avoir épuisé toutes les démarches — y compris celles entamées par le secrétaire général de la wilaya de Ouargla le 20 juillet dernier, qui se serait engagé d'entamer des démarches de contrôle et l'intervention de Abdelkader Cheddad, chargé de communication de l'Anem Ouargla pour régler la situation — une cinquantaine de jeunes diplômés de l'université de Ouargla — dont une douzaine se disent lésés par les résultats du test d'embauche effectué par l'Ensp en avril dernier et dont les résultats ont conduit au recrutement de 40 personnes — accusent l'entreprise d'avoir «maquillé un parachutage de techniciens en well testing en un test professionnel bidon». Ils attendent depuis le retour de congé de Mansour Kerris, PDG de l'ENSP. Bain de soleil Des parasols pour supporter la canicule sous +50°C, des bouteilles d'eau qui chauffent vite, le bain de soleil a failli coûter la vie à six d'entre eux admis en urgence à l'hôpital de Hassi Messaoud pour insolation. «Nous sommes obligés de nous ménager depuis en nous relayant sur le site et en réduisant nos heures de présence à la demi-journée», explique Ouassama Guemaoune, licencié en électronique, master en instrumentation et fraîchement diplômé de la formation professionnelle. Trois titres qui lui valent une place debout devant l'Ensp. «Le plus touchant est la solidarité des gens qui fréquentent ce coin isolé de la ville où seuls les pétroliers se rendent chaque jour», explique Abdelhakim Mezzar, licencié en production pétrolière, qui ajoute que désormais «nous sommes approvisionnés en eau glacée par des automobilistes choqués de nous voir chaque matin ici». Cet élan de solidarité a valu à six manifestants diplômés en HSE d'être recrutés dans une entreprise voisine qui cherchait des profils similaires, explique un activiste. Pour Mohamed, Oussama, Abdelhakim et leurs camarades, pas question de quitter les lieux. «Maintenant que la police nous laisse tranquilles, c'est la paix. Ils nous ont violemment malmenés avant de comprendre notre détermination.» Photographiés, fichés et sommés de déguerpir par les agents de l'ordre, les manifestants se sont vu arracher la moindre parcelle d'ombre devant le portail principal de la société pétrolière, les agents ayant coupé les palmes des washingtonias et palmiers-dattiers pour les pousser à partir. «Vous voyez ce liquide noir, ce sont des hydrocarbures déversés la semaine dernière pour nous empêcher de nous asseoir.» Les jeunes ont bien été reçus par un assistant de l'administration, mais aucune suite n'a été donnée à leur doléance, même pas les notes du test qu'ils ont soigneusement préparé et attendu. Ils l'ont passé en décembre 2016 pour apprendre à la mi-juillet que les 40 lauréats étaient déjà sur chantier sans eux. Obstacles Le problème de ces jeunes est simplement expliqué. «Dépassé le stade de l'orientation par l'Anem suite à une offre d'emploi, nous pouvons dire que globalement et malgré les obstacles bureaucratiques et avec une présence régulière au bureau de main-d'œuvre, un diplômé arrive à bénéficier d'une orientation pour passer un test d'embauche.» Ce sont des opportunités tout à fait possibles dans le cadre d'une offre d'emploi régulière et valide, donc avec un poste à la clé. Le problème qui se pose actuellement se situe au niveau des entreprises qui recrutent, car c'est là que les ennuis commencent. Primo : le délai d'étude des candidatures est trop long, avec une absence de communication qui dure 4 mois minimum. Aucun moyen de s'informer ni auprès de l'Anem ni auprès de la société qui recrute. Entre-temps, le candidat est dans l'impossibilité de postuler à une autre offre du fait que le logiciel le tague comme étant en cours de recrutement. Après l'attente, la liste globale des candidats «intéressants» est rendue publique. Ces derniers sont conviés à passer un test professionnel d'essai. Là, le candidat est confronté à de nouvelles contraintes. Dans le rapport donné au secrétaire général de la wilaya, le collectif des chômeurs diplômés attire l'attention des autorités sur le fait que «l'entreprise organise elle-même le test, élabore le sujet, le corrige et donne les notes. Le candidat n'a droit à aucune information officielle, ni de connaître son résultat ni au recours. Seuls les candidats retenus sont contactés. D'où la proposition d'une mesure où les résultats individuels et une liste des candidats embauchés seraient communiqués à l'Anem pour garantir la transparence de l'opération et éviter tout quiproquo». La question de la transparence du traitement des candidatures est primordiale, selon les jeunes, elle permettra de régler de nombreux problèmes. «Nous voulons que les pouvoirs publics imposent aux entreprises nationales et aux multinationales de suivre l'exemple de Sonatrach qui confie l'organisation de ses tests d'embauche aux universités territorialement compétentes selon le découpage des postes à pourvoir», explique Abdelhakim. Pour eux, l'organisation publique de ces tests en dehors de l'entreprise permettra d'apaiser les inquiétudes et les suspicions. «Personne n'osera remettre en cause les résultats, bien au contraire, les candidats s'y prépareront avec le sérieux voulu. Les critères seront revus à la hausse.» Les contestataires reconnaissent aussi que certains profils professionnels n'existent pas à Ouargla, mais relèvent que les orientations de la circulaire du Premier ministre, datant de 2013, donnent la priorité à la main-d'œuvre locale à égale qualification. Ils proposent par contre que les mesures édictées par le ministère de l'Emploi concernant la présence d'un représentant de la collectivité locale lors des tests professionnels soit mise en application au même titre qu'à Illizi et que les mécanismes de contrôle soient mis en œuvre. «Chacun de nous a eu au minimum un 14 de moyenne au bac et il est intolérable que les entreprises nous taxent d'incapables ou d'opportunistes sachant que les PDG des filiales de Sonatrach ne tarissent pas d'éloges sur la qualité de la formation des étudiants de l'université de Ouargla», affirme leur représentant. Pour les manifestants qui ont mené leur propre enquête, «le fait que des camarades de classe venus d'autres wilayas et ayant bénéficié de faux certificats de résidence aient été recrutés au même titre que d'autres ayant le bras long et les épaules larges est tout simplement une fraude», explique Abdelhakim.