L'affaire Alexandre Litvinenko, l'ex-espion russe mort la semaine dernière dans un hôpital londonien victime d'une « minuscule bombe nucléaire », pose un sérieux problème de vocabulaire dans son traitement médiatique. Pour des raisons encore mystérieuses, l'événement qui a eu pour théâtre le cœur de Londres est volontairement écarté de son sens à caractère terroriste par la presse britannique et Scotland Yard qui tentent de réduire cette « mort suspecte » en simples séquelles de la guerre froide. Les experts ont retrouvé « des traces » de radioactivité dans trois avions qui ont transporté 33 000 personnes susceptibles d'avoir été contaminées et dans une dizaine de lieux publics affectés par le rayonnement, fréquentés par l'ex-espion russe depuis sa contamination le 1er novembre. On relèvera, en outre, la modération des propos qui tendent de banaliser l'utilisation du polonium 210, une substance hautement radioactive que les spécialistes classent sans ambiguïté dans la catégorie des armes à destruction massive. Le Premier ministre Tony Blair, qui a manifesté des appréhensions outrancières et mobilisé beaucoup de moyens pour une vaine recherche de ces armes en Irak, se montre réservé dans cette affaire qui met les citoyens de Sa Majesté en situation de péril sur leur propre sol. Les exécuteurs ont eu recours à des moyens qui donnent froid au dos, sans commune mesure avec la méthode bulgare des parapluies truqués, tout aussi mortels mais sans risques de dégâts collatéraux. Dans le chapitre des mystifications auxquelles les lecteurs britanniques ont eu droit, on a avancé la mort aux rats comme poison à l'origine de l'attentat. Or, personne ne doute qu'aucun raticide dans le monde ne comporte de radioactivité à dose mortelle en raison des conséquences sur l'homme. On a l'impression que les auteurs du crime ont cherché à terroriser en utilisant cette arme à forte dose dans un espace européen censé être sous haute surveillance sécuritaire. Les faits ont eu lieu pendant le sommet d'Helsinki (Finlande) entre l'Union européenne et la Fédération de Russie. Vladimir Poutine avait bien martelé son message à l'adresse des Britanniques pour éviter d'« alimenter les scandales politiques ». Le message d'intimidation a été bien retenu puisque le Foreign Office a réagi avec une courtoisie inhabituelle par une demande formelle à Moscou de « fournir toute information pour aider Scotland Yard dans son enquête ». Et pour mieux disperser l'opinion, le ministre britannique de l'Intérieur, John Reid, élargit le champ des hypothèses en se calant sur les enquêteurs de Scotland Yard qui n'excluent « aucune hypothèse ». Cette interpellation peu adaptée par rapport aux moyens déployés pour l'élimination d'un réfugié politique éclipse la question brûlante de la quantité de polonium 210 introduite au Royaume-Uni et éventuellement le lieu de son stockage. Et c'est justement ce sujet qui semble inquiéter les autorités médicales au plus haut niveau. Ainsi, la Dr Pat Troop, chercheuse la Health Protection Agency (Agence de protection de la santé) affirme, de façon mesurée, que la quantité significative de l'isotope radioactif polonium 210 dans le corps du malade est « un événement sans précédent au Royaume-Uni ». En d'autres termes, le niveau d'alerte dépasse les capacités de nuisance traditionnelles des groupuscules extrémistes qui ont défrayé la chronique ces dernières années en Angleterre.