Poutine a estimé que les accusations dont fait l'objet son pays répondent «à des fins de provocation politique.» La mort de l'ex-officier du KGB, Alexandre Litvinenko, après trois semaines de lutte contre le poison qui rongeait son corps (du polonium 210, un métalloïde hautement radioactif, dit-on) relance le débat sur la responsabilité du Kremlin dans un certain nombre de liquidations physiques d'éléments «encombrants». Surtout que ce nouvel épisode intervient quelques jours seulement après l'assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, qui, curieusement, entretenait des rapports étroits avec Litvinenko, qui la recevait régulièrement à Londres, où il s'est exilé depuis six ans. D'ailleurs, interviewé par le journal Sunday Times, l'ex-colonel du KGB a dit avoir rencontré un Italien, un certain Mario Scaramella, dans un restaurant japonais qui lui aurait transmis une lettre relative à l'assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, sur lequel l'ex-agent russe enquêtait. La rencontre avec l'«Italien» eut lieu quelques jours seulement avant que Litvinenko ne rencontre, autour d'un thé, deux Russes à l'hôtel Millenium, dans le centre de Londres. Commence alors la descente aux enfers; son état de santé s'étant, depuis, détérioré d'une façon spectaculaire. Qui a donc intérêt à éliminer l'ex-agent russe? Les spéculations vont bon train, même si globalement toutes les hypothèses mènent au FSB (ex KGB) pour lequel avait travaillé Litvinenko depuis des années. Les déclarations du chef du renseignement russe, Serguei Ivanov, ne trompent pas: «Les services secrets russes ne pratiquent plus depuis longtemps l'empoisonnement ou toute forme d'assassinat». Un aveu de taille, attestant que l'empoisonnement était une pratique courante au Kremlin. Qu'est-ce qui motiverait une telle décision du renseignement russe? En sus de son enquête sur l'assassinat de Politkovskaïa, Litvinenko avait accusé les services d'avoir perpétré des attentats en 1999 contre des immeubles d'habitation en Russie, qui avaient déclenché la guerre en Tchétchénie et contribué indirectement à l'élection de Vladimir Poutine. Comme il avait affirmé avoir refusé un ordre de ses supérieurs d'assassiner l'homme d'affaires controversé, Boris Berezvoski. D'anciens officiers de l'ex-KGB approuvent la piste de la liquidation. Oleg Kalouguine, ancien général du KGB affirme que «Litvinenko a durement critiqué Vladimir Poutine. Et depuis que le Conseil de la Fédération a autorisé le président à recourir aux services secrets pour combattre le terrorisme à l'étranger, ceux-ci ne se privent pas de tester cette méthode». D'autant plus que des observateurs ont vu dans cette tentative d'empoisonnement la signature du KGB de la guerre froide et l'ont immédiatement comparée à celle dont a été victime un dissident bulgare, Guéorgui Markov, empoisonné à l'aide du fameux parapluie bulgare. Par ailleurs, sur le plan politique, la mort de Litvinenko n'a pas manqué d'exacerber la tension entre Londres et Moscou, notamment après que le gouvernement britannique eut demandé à Moscou de lui fournir toute information susceptible d'aider Scotland Yard dans son enquête. Répondant pour la première fois, en marge du sommet Russie-Union européenne tenu à Helsinki, le président Vladimir Poutine a estimé que les accusations dont fait l'objet son pays répondent «à des fins de provocation politique». Comme il a émis des doutes sur l'authenticité de la «lettre posthume» dans laquelle l'ancien agent accuse le président russe d'être responsable de sa mort. «Si cette lettre existe vraiment, je me demande pourquoi elle n'a pas été publiée lorsqu'il était vivant», s'interroge celui qui fut un digne produit des services de renseignement russes.