Le président américain et le chef du CSRII qu'il s'apprête à recevoir aujourd'hui ont quelque chose en commun. C'est leur inflexibilité ou leur refus catégorique à accepter ce qui relève de l'évidence. Soit le fait largement partagé que l'Irak est en guerre civile, car elle oppose entre elles les différentes communautés de ce pays comme en témoignent les massacres quotidiens, les découvertes macabres et aussi, sinon surtout, cet exil intérieur qui met fin à la coexistence entre ethnies. En Irak, depuis une année, s'est développé l'instinct communautaire. Comme l'ont d'ailleurs prouvé les différentes élections, marquées par l'esprit communautaire. Face à cette réalité qui a coûté aux républicains leur majorité dans les deux chambres du Parlement, George W. Bush est sous pression en attendant la publication mercredi des recommandations du Groupe d'études sur l'Irak sur les options stratégiques de l'engagement américain dans ce pays. Cette commission indépendante, coprésidée par l'ancien secrétaire d'Etat républicain James Baker et l'ancien parlementaire démocrate Lee Hamilton, pourrait proposer un retrait de l'essentiel des troupes de combat américaines déployées en Irak d'ici 2008 et des discussions directes avec Téhéran et Damas, selon la presse américaine. Près de 3000 Américains sont morts en Irak depuis l'invasion de ce pays en mars 2003, et l'impopularité de la guerre a permis à l'opposition démocrate de conquérir la majorité au Congrès, condamnant le président Bush à une difficile cohabitation pour les deux dernières années de sa présidence. Alors que les responsables américains cherchent à définir une nouvelle stratégie pour un pays sombrant chaque jour davantage dans le chaos, la violence s'est poursuivie hier matin en Irak. A Baghdad, les proches des victimes du triple attentat à la voiture piégée ont commencé à enterrer leurs morts. Soixante personnes ont été tuées dans cette attaque visant une patrouille de l'armée irakienne, dans un quartier commerçant à majorité chiite de Rusafa, dans le centre de la capitale, sur la rive est du Tigre, selon un bilan de source médicale. Devant la recrudescence des attaques en Irak, où plus de 13 000 civils ont été tués en quatre mois, entre juillet et octobre, selon un rapport des Nations unies, alors que les violences confessionnelles ont mené le pays au bord de l'explosion, les responsables américains cherchent à formuler une nouvelle stratégie. Le Pentagone a confirmé hier l'authenticité d'une note de service rédigée par le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, obtenue par le quotidien américain New York Times, recommandant un « ajustement majeur » en Irak et une importante réduction des opérations de combat. Quelque 140 000 soldats américains sont aujourd'hui déployés en Irak. Cette note avait été écrite deux jours avant la démission de M. Rumsfeld, survenue après la défaite électorale du parti républicain, qui a perdu au profit des démocrates le contrôle du Sénat et de la Chambre des représentants. « Ce que font actuellement les forces américaines en Irak ne fonctionne pas assez bien ou assez rapidement », a écrit Donald Rumsfeld, l'un des initiateurs de l'invasion de l'Irak. Le secrétaire à la Défense recommande un redéploiement massif des forces américaines en Irak, une accélération de l'entraînement des forces de sécurité irakiennes et le soutien des chefs de guerre irakiens par le versement d'argent américain, « comme le faisait Saddam Hussein ». Le nombre de bases américaines disséminées à travers le pays, devrait, selon lui, passer de 55 à seulement 5 en juillet 2007. Sur le plan tactique, il s'agit de « retirer les forces américaines des positions vulnérables », comme les villes, pour en faire des forces de réaction rapide intervenant quand les forces de sécurité irakiennes ont besoin d'assistance. Sur un autre plan, le président Bush reçoit aujourd'hui à Washington le puissant chef chiite Abdel Aziz Hakim, auquel il va demander de lutter contre l'influence de l'Iran sur les puissantes milices chiites irakiennes. Pour sa part, Abdel Aziz Hakim a rejeté samedi l'idée d'une conférence internationale pour tenter de ramener la paix en Irak. La rencontre entre les deux hommes survient quatre jours après celle entre M. Bush et le Premier ministre irakien Nouri Al Maliki à Amman. M. Hakim dirige le Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII), l'un des principaux partis chiites, réfugié en Iran sous le régime de Saddam Hussein et accusé par ses détracteurs d'être resté lié à ce pays. La branche militaire du CSRII, l'organisation Badr, est soupçonnée de recevoir subsides et armes de Téhéran et d'être impliquée dans l'assassinat de nombreux sunnites, comme sa rivale, l'armée du Mahdi du chef radical chiite Moqtada Sadr. Il a également dirigé la liste de l'Alliance unifiée irakienne (AUI), la coalition chiite conservatrice qui a remporté les élections législatives de décembre 2005, avec 130 sièges sur 275. Vendredi, lors d'un prêche à Amman, M. Hakim a mis en garde contre une guerre civile en Irak qui « embrasera tout le monde, affectera la sécurité de toute la région et la mènera vers l'inconnu ». A Washington, « il s'agira d'une rencontre où chacun devra être prêt à des compromis pour satisfaire les demandes de son interlocuteur. Et le rôle de l'Iran ne peut qu'être évoqué, compte tenu des liens entre Hakim et Téhéran », a estimé le député kurde irakien Mahmoud Othman. La rencontre ne manque absolument pas d'importance. Quel impact aura-t-elle sur les guerres en Irak ?